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Le Salers tradition par Guy et Marie-Jo Chambon, héritiers du pastoralisme cantalien

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Petit, il était déjà là, et tout y est encore. Les vaches et le labeur. Le puy Violent et le buron. Les étés et les estives. L’homme ne s’épanche ni sur le passé, ni sur le travail. Ici, au buron d’Algour, Guy Chambon déroule le fil des tâches, et des parcelles éphémères qu’il crée avec son épouse, Marie-Jo, pour la traite. Du passé, il garde ça. Un savoir-faire transmis, le patrimoine conservé. Le goût du terroir. Celui du fromage AOP salers tradition. Car, au passé, il préfère l’actualité. Le rugby a sa préférence. La politique aussi. Il lit. Il écoute. Ça le fait rire, les jeux de pouvoir. Il en savoure les ficelles invisibles. Qui se déploient dans le monde, sous son regard à lui, d’éleveur auvergnat. Dans son Cantal, dans ses montagnes. Il observe tout ça, depuis la vie qu’ils mènent tous deux à 1.392 mètres d’altitude. Guy Chambon, a “vraiment commencé” le travail de buronnier à 14 ans. Dans les pas de son père, Jean-Marie Chambon. Depuis, il trait les salers et fabrique le fromage, en altitude.Une vie rythmée par la traite. Deux fois par jour. À 6 heures et à 16 heures. Deux fois par jour aussi, le travail du lait qui deviendra du salers tradition. 

Le soleil balaie le puy de l’Agneau. Le vent se lève. 16 heures. “Il faisait 8°C ce matin.” Chaud, par rapport au fond de vallée, qui s’est réveillé à 6 degrés. Une vingtaine de salers se regroupent sur le lieu de la traite, en plein champ. Elles connaissent l’heure et le lieu du rendez-vous. Elles viennent d’elles-mêmes. Pas toutes, ce jour-là. Le troupeau est scindé en deux. Les autres se trouvent ailleurs. Quelque part, sur les 85 hectares de pâture. Elles y broutent de juin à septembre. “Mais quelle idée elles ont eu, d’aller par la montagne ? C’est bizarre, ça.” Si tôt en saison, “rare”, dit le paysan. Marie-Jo et Guy chargent le tracteur.

"On est complémentaires"

Quatre machines à traire mobiles, une gerle. Lui, au volant, s’avance vers les bovins. Elle, plus loin, guide les veaux vers leurs mères. “Ils ne connaissent que ma voix. Depuis qu’ils sont nés. Si Guy leur parle, ils ne viennent pas.” Elle dresse un couloir. Fait de piquets et de ficelle, il divise provisoirement la parcelle en deux. Guy prépare les machines à traire. Marie-Jo réunit les veaux. “Sans Guy, il n’y a pas de traite. Sans moi, il n’y a pas de traite. On est complémentaires.”

Marie-Jo attache et détache les veaux sous la mère, pour la traite. Les velles que Guy et Marie-Jo gardent pour le renouvellement sont baptisés à 3 mois. 

À mesure que la traite avance, toutes les quatre vaches, elle appelle les petits. “Paulette !” Le veau a le nom de sa mère. “Margot !” Marie-Jo les reconnaît tous. “Gentiane !” C’est inscrit là, qu’elle dit index sur le front. “Odile !” Le veau amorce la tétée. “Lucette !” Puis Marie-Jo l’attache à la patte maternelle, et la machine à traire prend le relais. “Hortense !” Quand Guy ôte la machine, Marie-Jo détache le veau. Et il tète.À la fin, instinctivement, le veau reste contre le ventre maternel, après la tétée. Spectacle ému.Guy Chambon : “ Le pic de lactation est en mai ou juin. Puis ça baisse.” Une meule pèse 40 kg. La production dépend de la lactation des vaches. Parfois, c’est 420 litres par jour. “Parfois moins.”

“On voyage en restant là !”

 

Marie Jo suit la cadence. Ça dure deux heures. Ils ne sont pas seuls : les spectateurs connaissent l’adresse. Autour d’eux, ils observent. Parfois, les mêmes que l’an passé. “Ils se trouvent bien ici !”, suppose Guy. “On a des éleveurs d’ailleurs qui viennent nous voir aussi, dit Marie-Jo. Des Savoyards qui nous amènent du comté, du reblochon faits de façon traditionnelle. Des Basques... Ils sont venus avec une tomme entière d’Osso-Iraty. On est habitués à ne manger que du fromage traditionnel. Comme ça, on voyage en restant là !”  Quand la traite est finie, avant tout retour, Marie-Jo ouvre son thermos.

Le café, qu’il vente, qu’il pleuve, c’est matin et soir, devant le puy Violent !

Elle est née “en-bas”, dans la vallée. Quand elle était petite, son père lui disait “Toi, sans le puy Violent, t’es perdue”. Elle a bien essayé de partir, plus jeune, pour voir. Rien à faire. Magnétique, ce puy Violent. Elle est revenue. Marie-Jo, ça fait 24 ans qu’elle fait ça. Ici, avec Guy. “C’est un choix de vie”, dit-elle. Le reste de l'année, ils sont à la ferme, à Saint-Martin-Valmeroux. “Le plus beau jour, c’est le moment où on fixe la date de la montée en estives, avec le transporteur.” Ensuite, ça s’accélère. Deux jours avant, elle monte faire le ménage. La veille, elle y porte les vivres. “On a du monde, des amis, qui viennent ici le jour J. Moi, je me lève à 3 heures ce matin-là. En général, je suis la première arrivée.” Dans sa fratrie, ils sont treize. De son audace et son aplomb, Marie-Jo tire le savoir-vivre, et le savoir-mettre les limites aussi. Le respect est l’une des valeurs fondamentales pour le couple de buronniers.  

Toujours, avant de vendre, elle fait goûter. “On ne fait que du fromage d’herbe.” Elle dit qu’il faut le manger à température ambiante. Même s’il fait chaud. Le conserver dans un torchon humide. Elle détaille un bouquet qu’elle connaît par cœur. “En ce moment, elles mangent de la réglisse, de la bruyère, de l’arnica. Tout ce qui est en fleurs. De la gentiane aussi.” Dense en saveurs, le fromage est fabriqué après chaque traite, par Guy. Le fromage AOP Salers tradition est vendu par les Chambon après 8 mois d’affinage minimum, directement à la ferme, et aussi chez leur affineur, Bonal. Le soir, il s’occupe de la tome du matin, qu’il pèse et qu’il broie. Il ajoute le sel : 22 grammes par kilo. Puis, il décaille le lait frais dans la gerle, d’un geste assuré. Il l’essore : c’est là qu’émerge le début de la tome. Il retourne le fromage, qui partira ensuite dans la caisse de maturation. Toujours le même processus, pour l’AOP. L’histoire du buron est moins linéaire. Dans les années 70, partout en France, le fromage ne se vendait plus. Peu après, une tempête a fait tomber le buron. Son père était âgé. Il a dit qu’il ne le remonterait pas. “On a commencé à vendre le lait en coopérative.” Les vaches, elles, restèrent en estives quand même. En 1999, la mairie et le conseil général proposent à Guy de remonter le buron. Il n’accepte pas tout de suite. En 2000, le buron est remis sur pied. Et l’histoire a repris.

Anna Modolo

Le magazine Éleveurs du Massif central (100 pages, 9,90 euros) est en vente en kiosque et sur le site internet de la boutique Centre-France.