Si ces vieilles maisons pouvaient parler…
Bien sûr, lorsque l’on visite Cusset, on pense en premier à la Tour Prisonnière et aux souterrains, derniers vestiges des anciennes fortifications.
Mais il reste du Cusset médiéval dans le centre-ville, plusieurs maisons qui valent qu’on lève les yeux quelques instants pour les admirer.
La place centrale, dédiée depuis 1881 au poète et homme politique Victor Hugo possède, en sa partie basse, au départ du boulevard du Général-De-Gaulle, deux superbes demeures du XV e siècle, aux toits pentus, qui se font face, et lui donnent son charme si particulier.
« Maison valade »La maison dite « maison Valade » (en l’honneur du pâtissier chocolatier de renom qui, établi ici, régala pendant des dizaines d’années les Cussétois avec ses délicieuses spécialités) eut l’honneur d’accueillir dans ses murs, si l’on en croit les récits de l’époque, le dauphin futur Louis XI venu à Cusset pour faire amende honorable et se réconcilier avec son père, le roi Charles VII.
En effet, le jeune dauphin avait eu le tort de se rallier aux puissants seigneurs (dont l’influent duc de Bourbon) qui s’étaient révoltés contre l’autorité royale qui désirait leur retirer leur pouvoir politique. C’était la révolte de la Praguerie (en référence à la ville de Prague où des évènements similaires eurent lieu).
Mais Charles VII fit plier les révoltés et la paix de la Praguerie, ou paix de Cusset, fut signée le 14 juillet 1440 dans la vaste et magnifique demeure qui se trouve juste en face, l’Hôtel de la Borderie, dont fait partie la Taverne Louis XI.
L’ensemble témoigne du goût de la haute société de l’époque pour une architecture qui souhaitait montrer la toute-puissance du propriétaire du lieu. Jehan de la Borderie était un conseiller royal fortuné et c’est dans une des salles de l’aile arrière, reconnaissable de loin avec sa haute tour de cinq étages, que se réconcilièrent Charles VII et son fils le dauphin.
Ce bel hôtel particulier, la plus imposante demeure de Cusset, fut victime d’un incendie en 1922. L’ensemble, racheté par la ville en 1979 et réhabilité, était il y a encore peu de temps le siège de l’école de musique, dans les différentes salles de la tour, remarquable avec sa porte à tympan ogival et ses fenêtres à meneaux.
Maison des chanoinesDe l’autre côté de la place, une autre demeure, fort ancienne, est la maison dite des chanoines (occupée actuellement par le Crédit Mutuel) qui a encore belle allure avec son haut toit en tuiles plates duquel émergent ses deux lucarnes.
Qui étaient donc ces chanoines qui logèrent ici dès le XIII e siècle ? Les abbesses de Cusset, alors qu’existait déjà l’église Saint-Saturnin avec son porche à l’arrière de la place (tournée différemment par rapport à l’église actuelle) firent édifier approximativement à l’avant de cette maison, une vaste église dédiée à Notre-Dame, pour abriter une statue de la Vierge en majesté qui était vénérée et fêtée chaque année lors de pèlerinages qui rassemblaient une foule de fidèles. La gestion de ce lieu de culte fut confiée à un chapitre de chanoines qui, dans leur maison, enseignaient également la cléricature à de jeunes hommes.
L’église Notre-Dame fut détruite en 1793 par les révolutionnaires qui exécraient le fait religieux. Tout ce que contenait le lieu, victime de la vindicte populaire, fut sorti et brûlé sur place. De la Vierge de Cusset, seules les mains furent miraculeusement extraites des cendres du brasier par deux enfants.
Ex-église Notre-dameÀ quelques pas de là, on peut remarquer la construction qui fait l’angle de la rue, face à la Caisse d’Épargne, plus modeste avec sa tourelle et comporte un bel escalier à vis. Il est fort difficile de s’imaginer qu’ici s’élevait, il y a fort longtemps, l’imposante église Notre-Dame, à la place de la vaste agora de centre-ville que nous connaissons maintenant, dédiée aux rassemblements, fêtes et réjouissances.
Maison GuytonÀ quelques pas, derrière l’église Saint-Saturnin, au 8, rue du Censeur, une autre maison remarquable est la maison de l’ancien bailliage, connue sous le nom de « Maison Guyton » depuis 1482, qui fut le tribunal de district après la Révolution.
maison CorrierAutre demeure importante, la maison Corrier (ou château Béraud), située rue Gambetta, qui possède une jolie cour intérieure de style Renaissance, malheureusement inaccessible, les lieux étant le siège du Palais de justice depuis 1971.
Le propriétaire de cet ancien hôtel particulier, Jean Corrier, était lieutenant général du bailliage, de 1551 à 1586. Encore une demeure qui vaut le coup d’œil, c’est la Maison de bois, du XV e siècle (appelée ainsi en raison de ses magnifiques colombages médiévaux), ou maison Chatard, du nom de son premier propriétaire, Jacques Chatard, qui fut le premier élu de la ville (premier maire de Cusset en quelque sorte), délégué aux États d’Auvergne, et fit construire sa maison au beau milieu de la ville close, un lieu privilégié.
Elle a vu passer de nombreux commerces avant d’être acquise par la ville, en 1974, et restaurée. Siège du syndicat d’initiative pendant longtemps, c’est maintenant un commerce à l’essai. La porte basse, à gauche, a une histoire singulière qui mérite d’être contée.
À l’époque de la Guerre de Cent ans, deux archers, alors en garnison, avaient un différend à propos d’une dette de jeu. Le nommé « Pied de vache » alla jurer avoir remboursé son dû selon la coutume, sur la relique de Saint-Antoine, à la chapelle de la Commanderie (en haut du faubourg actuel), mais sans pour autant convaincre son créancier, un certain Goupil.
Célèbre rixe entre « Pied de vache » et Goupil, à propos d’une dette de jeuUne rixe s’engagea toutes épées dégainées, les témoins s’en mêlant, et Goupil se retrouva raide mort, étendu en travers du faubourg. « Pied de vache », poursuivi, dévala la pente, traversa la porte fortifiée, enfila la Grand-Rue à toutes jambes pour aller se cacher chez Chatard. La petite porte de gauche n’étant pas verrouillée, il se dissimula dans l’escalier à vis demeurant introuvable.
Plus tard, le meurtrier, à son procès, sauva sa vie grâce à une lettre de rémission ainsi rédigée : « Attendu qu’il n’a agi que par chaude colère, il est besoin de conserver un bon soldat à notre bon roi ». Lorsque nos pas nous porteront devant la petite porte de la maison Chatard qui l’a si bien dissimulée, nous pourrons avoir une pensée pour « Pied de vache » qui a bénéficié de la mansuétude des juges de l’époque…