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Октябрь
2024

Pourquoi Bigard et Lidl draguent les producteurs au Sommet de l'élevage de peur de manquer de viande

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Dans le hall bovins viande du Sommet de l’élevage à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), le stand Bigard ne passe pas inaperçu. Et rivalise par son design léché comme par sa superficie avec celui, voisin, d’Interbev, l’interprofession bovine. Tout un symbole.

"Pas d'animaux, pas de Bigard"

Absent depuis 2011 du premier salon d’élevage d’Europe, qui attend cette année 120.000 visiteurs en provenance du monde entier, le premier abatteur français opère un retour en force qui dénote un virage stratégique à 180 degrés. « Notre présence souligne notre volonté de montrer que l’amont est important. S’il n’y a pas d’animaux, il n’y a pas de Bigard. C’est aussi simple que ça », pose David Girardon, responsable des achats pour l’abattoir de Villefranche (Allier).Avec ses 5,7 milliards de chiffres d’affaires, ses 15.000 salariés et ses 30 abattoirs, le groupe breton a écrasé au fil des années la concurrence, au point d’être aujourd’hui ultra-dominant dans le secteur de la viande en France. Sauf que cette insolente réussite économique est aujourd’hui, sinon menacée, tout du moins fragilisée. C’est que depuis 2016, l’Hexagone a perdu un million de vaches (600.000 races à viande, 400.000 laitières). Et comme dans les dix ans à venir, 50 % des éleveurs vont faire valoir leurs droits à la retraite, la chute de la production menace de se transformer en plongeon.

"Garder la valeur ajoutée"

Longtemps accusé par les éleveurs de ne pas payer les animaux à leur juste prix, Bigard est désormais en pleine opération séduction. « C’est vrai que les relations ont parfois été tendues par le passé, reconnaît David Girardon. Nous sommes là pour recréer du lien car nous avons besoin de construire avec les éleveurs. Le cheptel baisse et va encore baisser. Mais il y a encore des choses à faire en France pour garder la valeur ajoutée sur notre territoire. »Pour sécuriser son approvisionnement, Bigard lorgne clairement vers les animaux maigres aujourd’hui exportés dans les pays limitrophes comme l’Italie et l’Espagne. « Vous avez 900.000 broutards et 400.000 veaux laitiers qui sont valorisés hors de nos frontières. L’idée est d’en prélever une partie pour les finir chez nous. Plutôt que de voir les Espagnols engraisser un veau français et le vendre aux Algériens, nous avons une carte à jouer pour gagner des parts de marché de la Turquie jusqu’au Maroc », poursuit le responsable de l’abatteur français. « Notre problème aujourd’hui est plus l’approvisionnement que la baisse de la consommation. Même si celle-ci est réelle, l’augmentation de la population compense presque en termes de volumes », précise Marion Salaville, en charge du marketing amont et boucherie chez Bigard.Pour son retour au Sommet de l'élevage après treize ans d'absence, le groupe Bigard a fait les choses en grand avec un stand XXL où le numéro 1 français de la viande peut échanger avec les acteurs de l'amont.

"Le caviar du Cantal"

Pour joindre les actes à la parole, le numéro 1 français de la viande entend multiplier les démarches en contractualisant avec des groupements d’éleveurs. En juin, la marque Perle du Massif, du bœuf issu de vaches salers croisées charolais produit à l’herbe, a été lancée et présenté par Jean-Paul Bigard lui-même comme « le caviar du Cantal ». « La segmentation par le haut a toujours été vertueuse. C’est un peu comme la haute couture dans la mode, une locomotive qui crée une dynamique pour toute une filière. »Dans le sillage de Bigard, l’enseigne Lidl est également présente pour la première fois au Sommet. Même si son stand est plus modeste, l’ancien hard discounter allemand poursuit son repositionnement vers le segment « magasin de proximité ». « Notre but est de montrer que nous travaillons avec des producteurs locaux et que par le biais d’accords tripartites, les éleveurs reçoivent une juste rémunération. Les éleveurs sont aussi nos clients. Mais nous sommes là aussi pour rencontrer les groupements de producteurs et discuter de notre approvisionnement », dévoile Clément Garnier, responsable développement en Auvergne-Rhône-Alpes.

"Donner envie aux jeunes de s'installer"

Autant de marques d’affection auxquelles ne sont pas insensibles les responsables professionnels. « La présence de Bigard et de Lidl est un signe positif, convient Patrick Bénézit, président de la Fédération nationale bovine (FNB). L’éleveur est plus recherché. Ces deux acteurs développent des démarches contractualisées en prenant en compte les indicateurs de coûts de production. Mais nous espérons qu’ils aillent plus loin en généralisant la prise en compte de ces indicateurs. Aujourd’hui, cela représente encore des volumes trop limités. Or, avec le mur générationnel qui s’annonce, on ne réussira le renouvellement que si l’on donne de la visibilité aux futurs repreneurs. »

Un constat partagé chez Bigard. « Le Sommet de l’élevage est la vitrine du modèle français qui est unique avec ses races. Ça n’existe nulle part ailleurs. On a tout en France mais encore faut-il donner envie aux jeunes, en particulier non issus du monde agricole, de s’installer. Et si la question du revenu est importante pour la visibilité, il faut aussi parvenir à avoir un discours positif », conclut David Girardon.

Dominique Diogon

Photos Thierry Lindauer