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Октябрь
2024

Pourquoi le pastoralisme est essentiel à l'élevage herbager du Massif central mais aussi à son avenir touristique

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Perché à 1.397 mètres d’altitude, le buron de Paillasseyre-Bas se mérite. D’Allanche, après l’ascension du col de Fortunier, il faut s’embarquer sur une piste de plusieurs kilomètres qui semble vous mener au bout du monde. Comme un parfum de rendez-vous en terre inconnue à la découverte d’une nouvelle planète : le plateau du Cézallier et ses paysages dignes des steppes infinies de Mongolie. Le royaume de Marie-Paule et Thierry Felut.

Open bar entre copines

Depuis 25 ans, le couple, qui passe plus de temps au buron que dans sa vraie maison, fait office de parents de substitution dans la plus grande colonie de vacances pour bovins de France. Ici, à la belle saison, aux confins du Cantal et du Puy-de-Dôme, 2.500 bovins viennent se fleurir la panse d’herbe fraîche et grasse à souhait. Du 25 mai au 15 octobre, après avoir été laissés en pension par leurs papas éleveurs, c’est open bar entre copines.

Les 1.200 hectares de prairies naturelles appartiennent à la Coptasa (Coopérative de transhumance et d’amélioration des structures agricoles) qui en possède 900 autres sur le site de Récusset, toujours dans le Cantal. « Au total, nous accueillons 3.800 bovins », dévoile Laurent Bouscarat, son directeur.

Pour les 190 éleveurs, qui profitent du système, les avantages sont multiples. « Au-delà d’une charge de travail diminuée, ils peuvent faucher ce que leurs animaux ne mangent pas pendant cette période et faire des réserves pour l’hiver. C’est loin d’être anecdotique avec le changement climatique et les périodes de sécheresse. Il y a aussi la tranquillité d’esprit car tous les frais, y compris vétérinaires, sont pris en charge. En plus, grâce à notre structure coopérative, ils touchent des aides PAC qui couvrent une partie des frais de pension », poursuit-il.

Garder les paysages ouverts

Créée en 1963, la Coptasa est arrivée à point nommé à un moment où le système traditionnel des burons était en train de mourir. Les producteurs laitiers renonçant les uns après les autres à monter en estives pour y façonner leurs tomes de cantal, des centaines d’hectares menaçaient d’être laissés à l’abandon. Le basculement vers la production de viande et la mise en place de coopératives d’estives collectives comme la Coptasa ont permis de préserver ce patrimoine ancestrale et de garder les paysages ouverts. « On le voit sur d’autres sites quand l’activité d’élevage disparaît, c’est la friche qui gagne et cela va très vite. A contrario, si vous avez des pistes qui permettent d’accéder à ces espaces pour vous promener, c’est parce que vous avez de l’élevage. Dans le même esprit, si des passionnés peuvent aujourd’hui réhabiliter des burons, c’est encore grâce au pastoralisme que l’on peut envisager un autre usage. Nous ne sommes pas dans la brocante », glisse Bruno Dufayet, président de l’Apramac (Association pour la promotion agricole du Massif central), qui orchestre la présence des animaux et les concours au Sommet de l’élevage. Ici, à la belle saison, aux confins du Cantal et du Puy-de-Dôme, 2.500 bovins viennent se fleurir la panse d’herbe fraîche et grasse à souhait.

Au final, le Cézallier, comme beaucoup d’autres parties du poumon vert du centre de la France, a échappé à une déprise agricole qui aurait eu des conséquences funestes sur l’identité et le visage de territoires entiers. Souvent associé aux Alpes et aux Pyrénées, le pastoralisme a longtemps été un impensé du Massif central. « Il y a encore dix ans, on n’en parlait pas du tout. On laissait ça à la haute montagne. En fait, on était comme monsieur Jourdain, on faisait du pastoralisme sans le savoir. Car qu’est-ce que le pastoralisme si ce n’est l’ensemble des activités d’élevages valorisant par un pâturage extensif les ressources fourragères spontanées d’espaces naturels pour assurer tout ou partie de l’alimentation des animaux », pointe le directeur de la Coptasa.

"La notion d'espaces partagés"

Une réappropriation qui a abouti à la création en 2015 d’Auvergne estives, qui regroupe toutes les estives collectives de l’ex région et les accompagne dans leurs projets de développement et leur adaptation aux réglementations sanitaires. « Nous avons recensé les surfaces et nous dépassons les 200.000 hectares. Ce n’est pas rien », ajoute celui qui est également le directeur d’Auvergne Estives, dont la particularité est d’associer au sein de son conseil d’administration les chambres d’agriculture, les collectivités territoriales et l’Ipamac, le regroupement des Parcs naturels régionaux.

Grâce à la mise en place d’un programme d’actions pour le pastoralisme à l’échelle de la grande région Auvergne-Rhône-Alpes, la dynamique est forte. Des Plans pastoraux territoriaux (PTT) sont en cours de déploiement. « Le premier en Auvergne a été lancé dans le Parc régional des Volcans. Pour sa mise en œuvre, dont Auvergne estives à la charge, nous avons rencontré plus de 500 acteurs du territoire. La synthèse a fait ressortir des besoins en matière de gestion de l’eau, de contention des animaux et d’accès aux estives pour le multi-usages », dévoile Laurent Bouscarat. « Les PTT permettent de mettre tout le monde autour de la table pour cerner les enjeux et les besoins. Cela sert aux agriculteurs mais pas que. Nous sommes sur la notion d’espaces partagés, en premier lieu pour le tourisme avec les randonneurs, les vététistes. Le but est de faciliter la vie de tout le monde et de sensibiliser les citoyens comme les élus de la nécessité de préserver ce bien commun », abonde Jean-Michel Vigier, président d’Auvergne estives et de la coopérative d’estive du Mont Mouchet au coeur du massif de la Margeride.

"Identifier nos marges de progrès"

Concrètement, sur le site de Paillasseyre-Bas, le PPT a permis de financer l’électrification de la station de pompage alimentée jusque-là par un groupe électrogène. Cet investissement de 75.000 euros, qui a bénéficié de 70 % de subventions, en provenance de la Région, du Département et du Feader européen, s’inscrit dans une démarche globale de respect de l’environnement, totalement en phase avec la philosophie même du pastoralisme. « Sur l’écologie au sens scientifique du terme, nous avons plein d’enjeux à partager afin d’identifier nos marges de progrès », avance Bruno Dufayet. Pause café pour Thierry et Marie-Paule Felut, Dominique Charbonnel et Franck Chanet, les parents de substitution de la plus grande colonie de vacances de bovins de France.

Tout naturellement, le réseau pastoral régional s’est rapproché du Sommet de l’élevage. Le premier salon européen a fait de la promotion de l’élevage durable l’axe central de son développement. « L’agriculture du Massif central a longtemps été montrée du doigt en tant que village gaulois pour ses pratiques extensives alors que l’époque était au productivisme. Aujourd’hui, ce qui pouvait apparaître comme un retard est une force et un atout pour un territoire qui a voulu garder son identité sans bouleverser les systèmes. Ici, le pastoralisme, qui est une composante forte de notre modèle herbager, fait vivre les villages. Au contraire, dans la Beauce, la production céréalière n’a pas maintenu des villages vivants. Cette vitalité, c’est un sacré atout. De plus, dans une société qui s’individualise, les territoires pastoraux dénotent par leur dimension collective où dominent les valeurs humaines », tranche le président de l’Apramac. « Tout cela s’explique. Quand vous avez tout un tas de d’handicaps à surmonter comme l’altitude, les pentes, etc, c’est plus facile quand il y a un collectif. Des vertus que des éleveurs à la tête d’estives individuelles redécouvrent d’ailleurs avec plaisir », enfonce Laurent Bouscarat. « C’est justement le coeur des valeurs de la coopération agricole », enchérit Jean-Michel Vigier.

Plusiers modèles de pastoralisme

Alors que l’Onu a fait de 2026 l’année internationale du pastoralisme, le Sommet de l’élevage, le réseau pastoral régional d’Auvergne-Rhône-Alpes et le Sidam (Service interdépartemental pour l’animation du Massif central) ont décidé, cette année, de s’ouvrir aux autres territoires pastoraux de France avant de basculer sur une dimension européenne en 2025. « Ce sera l’occasion de montrer qu’il y a plusieurs modèles de pastoralisme dans lequel le Massif central devient un acteur parmi les autres », souligne Bruno Dufayet. « L’envergure du Sommet permettra de faire rayonner le pastoralisme », complète le président d’Auvergne estives.

Une montée en puissance progressive en vue de 2026 qui n’est pas une finalité en soi. « Cette année du pastoralisme ne sera qu’une étape. Le but est d

« Derrière tout cela, il y a l’objectif ultime de tout mettre en œuvre pour défendre et faire perdurer demain notre modèle d’élevage durable en réussissant le pari du renouvellement des générations », conclut le président de l’Apramac.

Dominique Diogon