Mort d’Hassan Nasrallah : le conflit Israël-Hezbollah entre dans une nouvelle ère
La date du 27 septembre 2024 marquera l’un des chocs les plus brutaux de l’histoire du Liban - pourtant jalonnée de nombreux épisodes très violents. L’armée israélienne a annoncé avoir "éliminé" Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah qui fait figure depuis des années d’ennemi numéro un de l’Etat hébreu. Le parti libanais de la résistance islamique a mis près de 24 heures à confirmer l’information qui représente un séisme géopolitique, tant le leader chiite était devenu un acteur incontournable sur la scène libanaise et régionale.
Tout autant que l’événement lui-même, dont les répliques sont impossibles à mesurer à ce stade, ce sont les modalités de l’opération qui ont fortement ébranlé les Libanais de toutes obédiences. Pour atteindre sa cible, située dans des fortifications souterraines de la banlieue sud de Beyrouth, l’aviation israélienne a largué sur plusieurs immeubles résidentiels des centaines de kilos d’explosifs. L’éclat des multiples explosions a créé une onde de panique dans tout le pays. La terreur a ensuite laissé la place à la stupeur lorsqu’il est apparu que les immeubles avaient été réduits en cendres, comme ses habitants. Pour preuve, malgré l’ampleur des destructions, les urgences des hôpitaux, sollicitées comme jamais depuis qu’Israël concentre ses attaques sur le Liban - après Gaza -, n’ont pratiquement pas accueilli de blessés.
Tandis qu’à la tribune des Nations unies, Benyamin Netanyahou rejetait ouvertement la perspective d’un cessez-le-feu dont Washington (avec Paris) venait d’entamer la négociation, le Premier ministre israélien donnait l’aval à son armée de poursuivre le modus operandi déjà éprouvé à Gaza : à peine des appels à l’évacuation de plusieurs quartiers de la banlieue sud de Beyrouth étaient-ils diffusés que, quelques minutes plus tard, l’aviation les pilonnait.
Il n’y a pas encore de bilan définitif pour cette nuit d’horreur, qui a suscité une peur sans commune mesure avec les bombardements de l’été 2006 qui avaient rasé le quartier Dahieh, dans la banlieue sud de Beyrouth. Pour l'heure, le ministère de la Santé a fait état de 11 personnes tuées et 109 blessées. Au total, depuis le 8 octobre, il déplore 1 640 morts - un millier depuis la mi-septembre – dont 104 enfants.
Tournant historique
Pour beaucoup de Beyrouthins, ce modus operandi est révoltant, faisant presque passer au second plan la décapitation et l’écrasement militaire du Hezbollah. "Chaque frappe israélienne détruit ce que l’humanité a construit de tribunaux, de lois et de valeurs et impose la normalisation du crime à un monde mutique", écrit Nizar Saghié une figure de la défense des droits et de la justice au Liban. "Lorsque tous les décombres de Beyrouth seront déblayés, apparaîtront alors également les vestiges de l’ordre international libéral", augure Karim Makdissi, professeur de science politique à l’Université américaine de Beyrouth.
Tout en étant conscients de vivre un tournant historique, les Libanais sont avant tout pris dans la gestion immédiate d’un traumatisme collectif d’autant plus fort que les bombardements se poursuivent à travers le pays, et que le déplacement massif de dizaines de milliers de personnes représente une catastrophe humanitaire géante pour un pays à bout de souffle, dont les institutions sont incapables d’assumer la responsabilité.
Les conjectures des experts vont bon train quant aux intentions de l’Iran et à l’état des capacités de combat de l’organisation para-étatique chiite, jusqu’ici considérée comme l’atout majeur de la stratégie d’influence régionale de Téhéran au Moyen-Orient et le fer de lance de "l’axe de la résistance" à Israël et aux Etats-Unis.
Affrontement à venir
Sans un mot sur le sort d’Hassan Nasrallah, un communiqué du Guide suprême iranien souligne la "solidité des forces de la résistance" qui continuent de soutenir le Hezbollah. Sur le plan opérationnel, de nombreux tirs transfrontaliers vers l’Etat hébreu ont eu lieu pendant les opérations israéliennes, signalant que les capacités balistiques du Hezbollah n’étaient pas anéanties. L’information israélienne selon laquelle Hachem Safieddine, un dirigeant du Hezbollah, est encore en vie laisse entendre qu’il pourrait succéder à Hassan Nasrallah. Cet assassinat "est emblématique d’une confrontation frontale entre Israël et l’Iran sur l’avenir du Liban et du Levant. Il s’agit probablement du début d’un affrontement à venir et non de la fin", estime Firas Maksad, du Middle East Institute, à Washington. Tandis que pour Afshom Ostovar, du Foreign Policy Research Institute, si "le Hezbollah n’est pas fini, l’Iran n’a montré aucune volonté de le défendre".
Chacun a conscience qu’une nouvelle ère à très hauts risques s’ouvre pour le Liban, un pays qui a payé un lourd tribut à la "guerre des autres" sur son territoire.
Plusieurs dirigeants du système communautaire libanais, dont Hassan Nasrallah était un pilier ont publié des messages de condoléances, après l’officialisation de son décès. Cet assassinat "a plongé le Liban et la région dans une nouvelle phase de violence. Il s’agit d’un acte lâche que nous condamnons dans son intégralité", a dénoncé l’ancien premier ministre Saad Hariri désormais en exil, et dont l’assassinat du père, Rafik Hariri, a pourtant été imputé à un membre du Hezbollah.
Désormais, tout le monde s’inquiète de la façon dont la société libanaise traumatisée et très polarisée va absorber le choc. Les appels à la solidarité dominent pour l’instant. Mais, s’interroge une journaliste libanaise : "Comment va réagir une communauté (chiite) qui s’est laissée griser par un sentiment de surpuissance et est aujourd’hui brisée ? Jusqu’où va aller la jubilation de ceux qui n’ont cessé de dénoncer l’hubris du Hezbollah ? Qui va ramasser les gens jetés sur les routes ?"