Quand le magazine «ELLE» fait la chasse aux «influenceuses de l’extrême»
La journaliste Cécile Ollivier vient de dresser dans le magazine Elle la liste noire des nouvelles nauséabondes, dont les femmes doivent apprendre à se méfier.
Le lectorat du magazine ELLE est un lectorat trié sur le volet : féministe, moderne, citadin, progressiste, politiquement convenable, c’est-à-dire se castorisant au moment des grandes frayeurs électorales alimentées par les médias. Chaque production hebdomadaire de cette revue est composée aux deux tiers de publicités ; les stéréotypes ayant la vie dure, ces dernières vantent essentiellement des marques célèbres de vêtements, de bijoux, de parfums, de maroquinerie et de produits cosmétiques. Au milieu de ces pages glacées incitant les petites bourgeoises désœuvrées à de somptueuses dépenses, le magazine aime de temps en temps glisser un article supposé être le résultat d’un véritable travail journalistique. À titre d’exemple, nous évoquerons le papier que la journaliste Cécile Ollivier a récemment écrit sur « les influenceuses de l’extrême ». De l’extrême ? De l’extrême quoi ? De l’extrême droite, bien entendu, puisqu’il s’agit de faire le portrait de ces « influenceuses au discours xénophobe et antiféministe qui gagnent du terrain sur les réseaux sociaux et dans les médias ». Tout un programme.
Jeunes et jolies
On a vraiment envie de savoir qui sont ces méchantes créatures qui, d’après un dénommé Samuel Bouron, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine, « ont contribué à dédiaboliser l’extrême droite, longtemps associée à la domination masculine, ce qui avait pu susciter la défiance des femmes par le passé ». Certains médias seraient friands de ces monstres féminins ayant versé dans le presque-fascisme. Magali Della Sudda, chercheuse au CNRS, considère que « des entrepreneurs d’extrême droite, comme Vincent Bolloré ou Pierre-Édouard Stérin, ont racheté ou créé des médias qui ont mis en valeur ces nouvelles femmes de droite ». Cécile Ollivier note que les « idées xénophobes et réactionnaires » prennent parfois « un visage avenant, celui de jolies jeunes femmes aux cheveux lisses et brillants et à la voix douce ». Il ne peut donc s’agir de Mathilde Panot ou d’Ersilia Soudais – nous voilà rassurés.
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Mais alors, de qui s’agit-il ?
Il s’agit d’abord de Thaïs d’Escufon. Cette militante de feu Génération identitaire, aujourd’hui chroniqueuse dans l’émission de Cyril Hanouna, réalise des vidéos dénonçant les travers d’un certain féminisme. Cela ne plaît pas du tout à la journaliste de ELLE qui se tourne à nouveau vers Samuel Bouron. Cet universitaire a des révélations fracassantes à faire : « Cela recouvre une pensée typique de l’extrême droite, qui prétend que les hommes ne seraient plus vraiment des hommes, et les femmes plus vraiment des femmes. C’est ainsi que les régimes fascistes ont pensé les rapports hommes-femmes. » J’ai écrit « révélations fracassantes », j’aurais pu écrire « époustouflantes ».
Deuxième cible, Marguerite Stern. L’article qui lui est consacré a pour titre : « Des Femen à la transphobie » – tout est dit. La journaliste tient à souligner qu’après l’interdiction de l’affichage publicitaire à Paris de son essai Transmania – co-écrit avec une autre vilaine,Dora Moutot – Marguerite Stern « avait aussitôt couru sur le plateau de Pascal Praud, animateur vedette de CNews » – autant dire dans l’antre des médias réactionnaires. Pas un mot, en revanche, sur les intimidations de ces gentilles « féministes antifascistes » qui obligèrent de nombreux libraires à annuler les séances de dédicaces prévues avec Mlles Stern et Moutot ou sur les insultes et menaces que ces deux femmes reçoivent régulièrement de la part des sympathiques militants pro-trans. Un oubli, sans doute. Qui sera sûrement réparé dans un prochain article qui ne manquera pas d’évoquer également les tags « antifascistes » peints sur les murs de l’ISSEP et l’incendie criminel qui a failli détruire les locaux de cet institut privé lyonnais devant accueillir le lendemain Marguerite Stern pour une conférence.
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Vient ensuite le cas d’Alice Cordier. Porte-parole du collectif Némésis, cette dernière cette dernière a le tort de faire un lien entre l’insécurité qui croît dans l’espace public et touche surtout les femmes et l’immigration incontrôlée et irrégulière – certains récents et tragiques événements semblent pourtant malheureusement lui donner raison. Mais, pour la chercheuse Magali Della Sudda, tout cela relève du fantasme et les militantes de Némésis sont surtout des « professionnelles de la communication ». Mila, elle, serait passée « du trauma à la haine ». La journaliste est heureuse de rappeler que Mila, 16 ans à l’époque des faits, avait, sur le plateau de Quotidien, présenté ses excuses à ceux qui « vivent leur religion en paix », suite à ses propos « islamophobes » sur les réseaux sociaux. Elle omet simplement de dire que Mila a confié, il y a peu, qu’elle avait subi des pressions incroyables de la part des journalistes de Quotidien qui lui auraient dicté mot pour mot son petit discours de repentance, et qu’aujourd’hui elle refuserait de se prêter à une telle mascarade.
Tatania Ventôse, nouvelle cible à abattre
Mais le cas le plus intéressant est celui de la cinquième femme visée par ce journalisme de bas-étage. Tatania Ventôse a créé il y a dix ans une chaîne YouTube sur laquelle elle analyse en particulier la détérioration de la vie des Français suite aux décisions politiques et économiques prises par les « élites » de notre pays et de l’UE. Cette jeune femme a été une militante active du Parti de gauche qu’elle quitte en 2015. Déçue par les mouvements politiques dans leur ensemble, Tatiana Ventôse refuse d’être rangée dans telle ou telle case. Le succès de sa chaîne YouTube (318 000 abonnés) est dû à un véritable travail de recherche et d’analyse sur les différentes politiques menées par les gouvernants nationaux et européens sous la férule de planificateurs peu inspirés et leur impact sur la vie de la majorité des Français, c’est-à-dire de ceux qu’elle appelle « les producteurs », à savoir les agriculteurs, les artisans, les petits entrepreneurs, les ouvriers, tous les travailleurs qui produisent les biens nécessaires à la vie des ciotyens mais finissent souvent broyés par des entreprises internationales, les marchés financiers ou la Commission européenne de Mme Von der Leyen.
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Sur sa chaîne TouTube, dans une vidéo intitulée “De la gauche au populisme” (du titre que le magazine féminin a donné à l’article parlant d’elle), Tatiana Ventôse a magistralement répondu à Cécile Ollivier et à son papier. Elle précise avoir eu, début juillet, une longue conversation téléphonique avec la journaliste en question, conversation durant laquelle elle a expliqué sa pensée et, surtout, le fait qu’elle ne se réclame d’aucun parti politique puisqu’elle considère que « les étiquettes de gauche et de droite n’ont plus aucun sens aujourd’hui ». Mais Cécile Ollivier, qui avoue pourtant au début de son article avoir eu « plus de mal à situer [Tatiana Ventôse] dans la galaxie des influenceuses d’extrême droite » – et pour cause – a tenu quand même à la faire entrer de force dans une des cases censées représenter les différentes tendances de l’extrême droite : réac, identitaire, facho, tradi, etc. Pour cela, la journaliste de ELLE va se livrer à une acrobatie assez courante, mais périlleuse, dans les médias mainstream : le grand écart mental, au risque d’un déchirement cérébral. Après avoir avoué situer difficilement Tatiana Ventôse, la voici qui se lamente parce que cette dernière décrit dans une de ses vidéos « une France vidée de son outil de production par la “caste de la bourgeoisie financière” qui a engendré chômage, insécurité et pauvreté tout en s’alliant avec “ses larbins, habitants des banlieues perfusées d’aides publiques” ». Oui, bon, et alors ? Et alors c’est évident, du moins pour Cécile Ollivier : « Tout ce champ lexical renvoie à la fachosphère ». Ça fume là-haut ! On entend d’ici les sinistres craquements des synapses écartelées… Et ce n’est pas tout. Comme il ne suffisait pas que Tatiana Ventôse soit supposément d’extrême droite, notre acrobate médiatique organise cette fois un numéro de trapèze intellectuel avec la chercheuse au CNRS déjà citée afin de démontrer que, si elle n’est pas explicitement raciste, Ventôse est sûrement antisémite : « Si l’on ne retrouve pas de diatribes explicitement racistes dans ses vidéos, Magali Della Sudda y voit “une vision très simpliste et autoritariste de la société. Cette prétendue élite financière et financiarisée dont elle parle a beaucoup de points communs avec les traits prêtés à la bourgeoisie juive par les antisémites de la fin du XIXe siècle”. » Il fallait oser ! L’argumentation est bien sale – et la langue pratiquée par cette universitaire bien étrange. Qu’est-ce qu’une « vision autoritariste de la société » ? demande Tatiana Ventôse, et nous avec elle. Que signifie la phrase : « Cette prétendue élite […] a beaucoup de points communs avec les traits prêtés à la bourgeoisie juive par les antisémites… » ? Il eut été plus correct d’écrire, par exemple, que « cette prétendue élite […] a beaucoup de points communs avec la bourgeoisie juive telle que décrite caricaturalement par les antisémites… » – cela n’aurait pas édulcoré la stupidité de l’argumentation mais aurait eu au moins le mérite d’être écrit en français. Mais il y a longtemps que nos « élites et leurs agents ne maîtrisent plus les règles élémentaires de la langue française », fait justement remarquer Tatiana Ventôse.
Ultime requête
Tatiana Ventôse démonte les petites manipulations des journalistes officiels dont la grande peur est, dit-elle à juste titre, qu’il émerge dans l’espace public et médiatique quelque chose qui n’entre pas dans leurs cases pré-établies. Indolents, grégaires, dociles, l’idéologie dominante leur va comme un gant – elle leur évite de réfléchir en leur prémâchant des articles sans originalité censés avertir sur la montée du fascisme mais cachant en réalité le monde réel, la pauvreté qui s’installe, l’insécurité qui augmente, le déclin de la France dans tous les domaines. Qu’il y ait des personnes comme Tatiana Ventôse leur est proprement insupportable – difficilement classable, cette dernière ne cesse de dénoncer la classe dirigeante dont ils font partie. On peut ne pas partager toutes les convictions de Tatiana Ventôse – personnellement, je la trouve excessivement optimiste quand elle affirme que « la classe dirigeante » et son bras armé, le système médiatique actuel, ont « déjà perdu ». Il n’empêche, ses vidéos sont à prendre en considération pour les informations qu’on y trouve, pour les réflexions, souvent originales, qu’elle y livre sur la société actuelle, pour les solutions pragmatiques qu’elle propose afin de la changer pour la rendre à nouveau vivable.
Pour conclure sur une note joyeuse : Tatiana Ventôse promet, si les internautes le lui réclament avec insistance, de faire une vidéo drolatique sur d’autres articles du même numéro de ELLE. Parmi les choses délectables, elle a par exemple repéré, dans un article consacré aux « dilemmes »des femmesayant des problèmes de conscience relatifs à l’écologie ou aux relations entre les hommes et les femmes, quelques confessions qui valent le détour : « Je mange des tomates cerises (achetées à Franprix) en plein hiver. » – « Je dis à mes filles de ne pas se laisser faire, mais j’aime qu’on me tire les cheveux au lit. » Y’en a comme ça une pleine page. Chère Tatiana Ventôse, si vous nous lisez, entendez notre requête : les temps sont difficiles, les occasions de rire se font rares. S’il vous plaît, faites-nous cette vidéo sur les âneries que vous avez lues dans ELLE !
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