ru24.pro
World News in French
Сентябрь
2024

Les conseils de Juliette Hazart, médecin addictologue, pour aider les parents d'ados accros aux réseaux sociaux

0

Médecin addictologue nutritionniste, chargée d’enseignement à l’université de Lorraine, conférencière spécialisée en santé mentale et communication, Juliette Hazart vient de signer Mon ado est accro aux réseaux sociaux. Dans ce premier ouvrage, la Clermontoise livre ses conseils pour gérer l’usage des réseaux sociaux.

Mon ado est accro aux réseaux sociaux, c’est le titre de votre livre mais aussi ce que disent beaucoup de parents… À partir de quand doit-on vraiment s’inquiéter ?

On a tendance au quotidien à employer le terme addiction dans des contextes variés comme "Je suis accro ou je suis addict à cette série télé". Il ne s’agit pas ici d’une addiction. Il est important de distinguer une passion d'une addiction. Une passion est une activité qui va enrichir notre vie psychique et sociale, alors que l’addiction est une maladie qui va l’affaiblir. Le signe clé de l’addiction, c’est la perte de contrôle : je voudrais diminuer ou arrêter mon usage des réseaux sociaux mais je n’y arrive pas malgré ma volonté.

Instagram, Snapchat, TikTok, YouTube, Threads, Twitch, Facebook, LinkedIn, WhatsApp, Telegram, Twitter devenu X… autant d'opportunités que de risques ! Photo Franck Boileau

Comme une drogue ?

Oui, même si l’addiction aux réseaux sociaux n’est à l’heure actuelle pas officialisée en tant que maladie, elle fonctionne sur les mêmes mécanismes que l’addiction à des substances comme l’alcool, le tabac ou le cannabis.

La réception de like et de commentaires sur les réseaux sociaux, tout comme la consommation de drogues sont perçues par le cerveau comme une récompense, ce qui peut renforcer le comportement et favoriser une addiction.

Les ados comme les adultes sont concernés. En tant que conférencière en entreprise, je constate que les addictions sont désormais un sujet majeur de préoccupation des dirigeants et des managers qui ne savent pas toujours comment l’aborder.

Concrètement, quels sont les signes à repérer ?

N’étant pas une maladie officielle, il n’y a pas de critères diagnostiques établis mais on peut repérer des signes qui montrent le passage d’un usage récréatif à un usage addictif. Et c’est indépendant du temps passé ou de la fréquence d’usage qui ne sont forcément de bons indicateurs.Photo Thierry Lindauer

En fait, tout est lié au contrôle et c’est l’acronyme que j’ai choisi : CONTTROLE. Le C pour craving, cette envie irrépressible d’aller surfer sur les réseaux sociaux : l’ado ou l’adulte ne peut pas s’empêcher de vérifier son fil d’actualité et ses notifications?; le O pour obsession, la préoccupation constante de ce qui se passe sur les réseaux sociaux?; le N pour nécessité croissante : il a un besoin d’augmenter son temps passé sur les réseaux sociaux pour avoir le même plaisir?; les deux T sont pour tentatives infructueuses quand il n’arrive pas à décrocher malgré sa volonté, et temps passé avec une connexion qui dure plus longtemps que prévu, le fameux "je me connecte deux minutes" et il reste scotché bien plus longtemps?; le R pour répercussions, quand l’usage entraîne des conséquences physiques, psychologiques ou sociales, par exemple une baisse des performances scolaires ou professionnelles, des troubles du sommeil, un isolement social, des conflits avec la famille ou les amis?; le O pour obligations, qui ne sont plus remplies à cause de l’usage des réseaux sociaux avec des difficultés à se concentrer sur ses devoirs, à ranger sa chambre ou à remplir ses obligations professionnelles?; le L pour les loisirs qu’il réduit ou qu’il abandonne au profit des réseaux sociaux?; le E pour évasion, quand les réseaux sociaux permettent de soulager le stress ou la charge mentale, fuir ses soucis et ça peut aller jusqu’à la rupture des liens sociaux réels et un retrait social.

Que faire dans ce cas-là ?

La première étape est de déculpabiliser les personnes qui perdent le contrôle car elles éprouvent souvent un sentiment de honte qui les retient de demander de l’aide. Je propose dans mon ouvrage une approche pas à pas pour retrouver ou maintenir un usage équilibré des réseaux sociaux.

Ce qui fait l’addiction, ce n’est pas l’écran ni le réseau social, c’est l’usage qu’on va en faire.

Il est important de se questionner sur les raisons de l’usage des réseaux sociaux. La vigilance doit être de mise lorsque le réseau social a comme fonction de faire face à une souffrance. L’addiction aux réseaux sociaux peut par exemple être le "symptôme" d’une souffrance psychologique, d’un dysfonctionnement familial ou d’un manque de lien. Il ne faut pas hésiter à faire appel à l’aide d’un professionnel.

Le réseau social Facebook, avec trois milliards d'utilisateurs, fête ses 20 ans

Comment aborder la question avec un ado et prévenir du danger ?

La communication ouverte et éclairée sur les enjeux du numérique est primordiale dans l’éducation des jeunes. Je conseille de privilégier un ton équilibré et factuel, évitant l’alarmisme ou la moralisation excessive, tout en faisant comprendre les risques. Il est judicieux de faire des parallèles avec des expériences quotidiennes, comme la consommation de sucre, pour illustrer comment certaines substances, bien qu’agréables au début, peuvent devenir problématiques si consommées en excès. Il est crucial de faire comprendre aux jeunes que ces échanges visent leur bien-être et leur sécurité, et non à restreindre leur liberté ou leur épanouissement.

En adoptant cette posture bienveillante et informative, les parents peuvent efficacement sensibiliser leurs enfants aux potentiels risques des réseaux sociaux, tout en reconnaissant les opportunités qu’ils offrent.

L’apprentissage des réseaux sociaux se fait par mimétisme, en observant les comportements en ligne de ses amis ou de sa famille. Et si avant d’aborder la question avec son ado, on faisait soi-même le point sur sa propre relation avec les réseaux sociaux ? Et pourquoi pas remodeler tous ensemble en famille vos habitudes technologiques…

Mon ado est accro aux réseaux sociaux est sorti le 12 septembre aux éditions De Boeck Supérieur, 240 pages, 16,90 €.

Propos recueillis par Maud Turcan