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2024

Boisguilbert : aux origines du libéralisme français

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Chez Boisguilbert, l’économie ne se distingue pas de la critique radicale d’un gouvernement arbitraire et autoritaire. Mais son principal objet est de remédier à la misère du pays en recherchant les sources du progrès économique et social.

 

Pierre Le Pesant de Boisguilbert, né le 17 février 1646, est mort le 10 octobre 1714, à l’âge de 68 ans. Il offrit la première réflexion théorique en France sur les conditions de fonctionnement de l’activité économique. Il peut en outre être considéré comme le père fondateur de l’école française du libéralisme économique.

Petit-neveu de Corneille, il fut d’abord magistrat, président du tribunal civil de Rouen. Il fut également l’élève de Pierre Nicole (1625-1695) qui constatait déjà que l’échange marchand « remplit les besoins humains d’une manière que l’on n’admire pas assez, et où la charité commune ne peut arriver ». Des jansénistes et des moralistes français, Boisguilbert retiendra l’idée qu’une société prospère peut naître de l’égoïsme et de l’amour-propre des êtres humains : « Dans le cadre des relations d’échange, les rapaces que sont les hommes sont obligés de se conduire de façon raisonnable ». Alors que la relation politique est source de conflits, la relation économique est favorable à la coopération et contribue à pacifier la société.

Chez Boisguilbert, l’économie n’est pas encore une science. Elle ne se distingue pas de la critique radicale d’un gouvernement arbitraire et autoritaire. Mais son principal objet est de remédier à la misère du pays en recherchant les sources du progrès économique et social.

En 1695, il publie à titre anonyme une enquête sur l’état économique et politique de la France : Le Détail de la France. Il fait le portrait d’une France appauvrie et n’hésite pas à accabler l’élite dirigeante. En effet, l’année suivante il publie son ouvrage sous un nouveau titre : La France ruinée sous le règne de Louis XIV. Boisguilbert s’en prend tout particulièrement à Colbert et au mercantilisme, c’est-à-dire au protectionnisme et aux monopoles.

Dans le titre complet de son livre on lit notamment : « La cause de la diminution de ses biens, et la facilité du remède, en fournissant en un mois tout l’argent dont le roi a besoin et en enrichissant tout le monde ».

Pour enrichir le roi et ses sujets, Boisguilbert propose deux solutions :

  1. La liberté du travail, des prix et du commerce
  2. La baisse des impôts

 

La création de la richesse repose sur le mécanisme de la formation de prix conformes à la justice naturelle, qu’il appelle aussi « prix de proportion », c’est-à-dire des prix permettant aux vendeurs de réaliser un gain, et aux clients de participer à l’échange. Or, le seul moyen d’obtenir ce résultat est de laisser agir librement la nature. Toute intervention de l’État pour augmenter ou abaisser les prix crée le désordre. C’est la nature seule (appelée aussi Providence) qui peut nous guider en matière de juste prix. Une première formulation de la doctrine du laissez-faire apparaît alors : « Tant qu’on laisse faire la nature, on ne doit rien craindre ».

En 1704, il est l’auteur d’une « dissertation » : De la nature des richesses, de l’argent et des tributs, où l’on découvre la fausse idée qui règne dans le monde à l’égard de ces trois articles. Il montre que l’erreur des mercantilistes fut de croire que la richesse venait de l’accumulation d’or et d’argent. Pour Boisguilbert, la richesse vient du travail, de la production, de l’échange et donc de la propriété.

Boisguilbert est l’un des premiers à avancer l’idée d’un ordre économique naturel, dans le cadre duquel la concurrence doit agir sans entrave.

« La nature même, jalouse de ses opérations, se venge aussitôt par un déconcertement général, du moment qu’elle voit que par un mélange étranger on se défie de ses lumières et de la sagesse de ses opérations […] La nature donc, ou la Providence peuvent seules faire observer cette justice, pourvu encore une fois que qui que ce soit [d’autres] qu’elle ne s’en mêle » (Détail de la France).

Il écrit encore : « il n’est pas question d’agir, il est nécessaire seulement de cesser d’agir ».

La nature tend toujours à la liberté et à la perfection. Le pouvoir politique doit donc se retirer des rouages de l’économie et cesser de l’entraver.

Concernant la fiscalité, Boisguilbert est le promoteur de l’impôt universel sur le revenu, payé par tous, c’est-à-dire un impôt moins lourd et mieux réparti. Dans Détail de la France, il montre que la France, jadis le plus riche royaume du monde, a perdu cinq ou six millions de ses revenus annuels, et ce déficit augmente tous les jours. En effet, un impôt trop lourd décourage la production et entraîne une baisse des revenus.

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Ses deux livres ayant été interdits, Boisguilbert fut exilé par le roi au fin fond de l’Auvergne. Mais ses œuvres auront une grande influence sur Quesnay, les physiocrates et tous les anti-mercantilistes des Lumières. On sait qu’Adam Smith avait dans sa bibliothèque Le détail de la France.

Même Marx lui rendra hommage :

« Boisguillebert, bien que l’un des intendants de Louis XIV, prenait parti pour les classes opprimées avec autant d’intelligence que d’audace » (Contribution à la critique de l’économie politique, 1859).

Pour célébrer le tricentenaire de sa mort, les propriétaires du Château de Pinterville à Bois-Guilbert domaine familial où l’illustre économiste a séjourné pendant sa jeunesse, organisent une journée avec conférences, repas, concert et pièce de théâtre. Le 12 octobre 2014 de 10 h à 18 h. Précisions sur le site internet du château.

 

Bibliographie :

Félix Cadet, Pierre de Boisguilbert précurseur des économistes 1646-1714, Paris, Guillaumin, 1871.

Gilbert Faccarello, Aux origines de l’économie politique libérale : Pierre de Boisguilbert, Paris, Anthropos, 1986. Gilbert Faccarello, professeur à l’Université de Paris II, est l’un des principaux spécialistes français de Boisguilbert.

Albert Talbot, Les théories de Boisguilbert, préface de Benoit Malbranque,. Éditions de l’Institut Coppet, septembre 2014.

 

Article original publié dans Contrepoints le 17 février 2016.