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Sandrine Rousseau déconstruit le "mythe" des Trente Glorieuses : "En l’absence d’un avenir désirable, la nostalgie rassure"

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Une famille française « standard » qui a connu sur trois générations la progression sociale offerte par la période des Trente Glorieuses. Le modèle pavillonnaire, le choix du service public : Sandrine Rousseau s’appuie sur son histoire familiale pour donner de la chair à sa relecture de la période 1945-1975. Cet « âge d’or » qui a installé le productivisme, la consommation, la croissance, le pouvoir d’achat comme socle du pacte social. À ses adversaires politiques, qui se réfèrent à cette période pour mieux agiter les peurs du déclin et du déclassement, l’économiste Sandrine Rousseau oppose un récit solide qui mêle analyse scientifique et expérience personnelle.

 Les Français étaient-ils plus heureux durant les Trente Glorieuses ? 

Ils savaient tout simplement pourquoi ils se levaient le matin. Aujourd’hui, il y a une société qui fonctionne de manière mécanique avec des gens qui ne trouvent pas spécialement de sens à leur travail, qui ne savent pas non plus si leur travail participe à construire un avenir commun. En fait, tout cela a été broyé par le libéralisme. Et la nostalgie que nous avons des Trente glorieuses est celle de ce destin commun.

Comme vous le développez dans votre essai, cette période d’amélioration du niveau de vie était caractérisée par une économie plus dirigée par l’État. Faut-il y revenir ? 

Le choc pétrolier a provoqué un arrêt brutal de la croissance des Trente glorieuses et il a rappelé au passage que la planète avait des ressources limitées. Depuis, c’est comme si on cherchait à retrouver cet âge d’or, de mille et une manières, mais sans jamais refonder ce qui était à la base de cette prospérité, c’est-à-dire le fait que l’économie n’était qu’un outil. Au profit d’une société en cohésion, soudée, égalitaire et de progrès pour tous. Tout ça, on l’a perdu.

L’économie est devenue une fin en soi. On travaille pour la croissance. À quoi sert la croissance ? On ne le sait pas.

Cette perte de sens a un impact sur notre santé psychique, en particulier chez les jeunes, car chez eux la question écologique est centrale. Quand on leur parle d’un point de croissance par rapport à l’énormité de ce qui arrive à la Planète, évidemment ils ne comprennent pas que l’on n’utilise pas tous nos moyens pour nous protéger, anticiper et éviter le pire.

Au-delà du constat et de l’analyse, quelle alternative portez-vous ?

On va être obligés et de ralentir et de réfléchir. Il faut ralentir car cette course à la productivité et à la croissance n’a aucun sens et détruit tout. Il faut réfléchir, comme à la fin de la Seconde guerre mondiale où l’on s’est demandé de quoi on avait besoin. Aujourd’hui, c’est le moment de se reposer exactement la même question.

Il faut envisager la sortie de cette matrice héritée des Trente Glorieuses et focalisée sur la croissance, il faut aussi sortir de l’idée qu’il y a des solutions toutes faites.

Ce que je constate, c’est que la société est déjà unie autour d’un autre modèle social, mais il nous faut le fabriquer ensemble. Il faut assumer que ce que l’on est en train d’inventer ne soit pas finalisé.

 

Il y a des mouvements de fond dans la société qui sont déjà en train de le construire. C’est un autre rapport à la Terre, aux animaux, aux femmes, c’est un besoin d’égalité, une diminution, pas assez rapide, mais tendancielle tout de même, du racisme.

Dans votre ouvrage, vous citez une étude qui montre que les Français sont de plus en plus tolérants, moins réactionnaires. Comment expliquer alors la progression de l’extrême droite ?   Je ne me fonde pas sur des sondages mais sur des recherches sociologiques, qui portent sur le long terme. Pour moi, le Rassemblement national active cette nostalgie des Trente glorieuses que la gauche n’ose pas affronter. En l’absence d’un avenir désirable, la nostalgie a quelque chose de rassurant et c’est ce qui se passe avec le vote Rassemblement national.

N’est-il pas difficile pour vous d’être toujours renvoyée à une certaine radicalité. Arrondir un peu les angles, est-ce l’un de vos projets pour toucher davantage de Français ? 

On m’affuble de ça. Quand je parle du barbecue, je parle à 86 % des gens qui considèrent qu’il y a une dimension sexiste du barbecue. Quand je parle de la chasse, on trouve une majorité de personnes qui sont d’accord pour diminuer sa place. En réalité, je ne suis pas du tout clivante. Ce que je porte rencontre une forme de majorité dans la société mais cela entre en collision avec le récit et le discours politique traditionnels qui, eux, ne sont plus en accord avec la société. 

 Parution. Ce qui nous porte. Comment nous pouvons éviter la catastrophe (éditions du Seuil. 20,90 euros).

Recueilli par Julien Rapegno