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Сентябрь
2024

Journées du patrimoine : dans la Creuse, plongez dans le passé de cette manufacture avec Mireille et Liliane

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Le carnet de commandes trône en bonne place sur le bureau. Comme si les noms prestigieux tracés à la plume – hôtel de Matignon, Vanderbilt… – n’en attendaient que d’autres. Mais la vie s’est arrêtée là en 1992. Et du rez-de-chaussée au dernier étage, tout témoigne de cette activité suspendue : les métiers espèrent des lissiers qui ne reviendront pas et dans la petite salle au fond d’un atelier, un bol oublié là a perdu le goût du café fumant. Pourtant, une fois l’an, la manufacture Braquenié revit. Assises derrière ces métiers où elles ont œuvré des dizaines d’années, Mireille et Liliane ne boudent pas leur plaisir de raconter leur quotidien d’alors. « Quand on nous a demandé, il y a trois ans, de venir pour les Journées du patrimoine, on n’a pas dit non », sourient-elles.

"On a passé notre vie là. On n’a pas été malmenées ici. On avait un patron, c’était un père."

« Ah, René…, reprend Mireille. Quand il y avait des coups durs, il était là. Oui, on a de très bons souvenirs ici, alors on aime bien les partager. » Liliane, comme Mireille, a travaillé ici pendant trente ans. Toutes deux lissières, elles ont connu la grande époque « du travail pour des châteaux, Versailles et ainsi de suite… Quand on a commencé ici (Liliane en 1961, Mireille un an plus tard, N.D.L.R.), il y avait 80 salariés. Nous, on travaillait là, au premier étage. On montait nos chaînes, on faisait l’assortiment, on montait au magasin pour les couleurs. Et quand il fallait donner un coup de main aux collègues, on le faisait. On ne comptait pas nos heures ».

Ici, elles ont aussi connu la tradition des pauses – un quart d’heure le matin, un quart d’heure l’après-midi – agrémentées parfois du casse-croûte :

"Ma maman faisait du babeurre, on mangeait ça avec du pain bis et d’autres rajoutaient des fois de la gnole, se souvient Liliane. Bien souvent, le patron venait avec nous, il ramenait du saucisson."

Il y avait aussi les grandes fêtes de la Sainte-Barbe, patronne des tapissiers, qui rassemblaient du monde « dans les ateliers, en bas, on faisait un grand repas. Une année, on s’était même déguisé pour traverser la ville », se rappelle Mireille. Aucune des deux n’a oublié ses débuts ici. « Moi, j’avais travaillé deux ans à Paris chez Braquenié et après, je suis venue là, à Aubusson », raconte Liliane.

"Moi, j’étais à l’école des Beaux-Arts et, en deuxième année, je voulais travailler. Une voisine de ma sœur m’a dit d’aller voir chez Braquenié, qu’il y avait du travail. Je suis restée un mois et puis quand j’ai fini l’école, c’est lui qui est revenu me chercher. Je m’en rappellerai toujours : j’étais en haut de l’escalier à la maison, lui en bas. Il m’a demandé si je voulais revenir travailler à la manufacture et j’ai pas dit non."

Teinture, tapis de savonnerie, restauration, tissage ont occupé ici jusqu’à près d’une centaine de salariés. « Dans une bonne ambiance », soulignent Mireille et Liliane. Jusqu’en 1991. « Celui qui a racheté la manufacture ne s’est intéressé qu’aux tissus d’ameublement. Il nous a promis, comme beaucoup, monts et merveilles. Et puis il a fermé le site en 1992. Le dernier jour ici, on était cinq. On a pleuré, oui. »

Et depuis, c’était toujours avec un petit pincement au cœur que les deux lissières passaient devant la manufacture. Et elles n’étaient sans doute pas les seules. « Une année, on avait arrêté le maire dans la rue pour lui dire qu’on voulait voir notre ancienne usine, reprend Liliane. Il a dit non mais on n’a pas lâché. Et finalement, on a pu venir. Quand on a vu qu’il n’y avait plus rien, on a failli se trouver mal?! Le bâtiment avait été squatté. Des choses avaient disparu… »

Mais aujourd’hui, le site a retrouvé de son charme d’antan. Au fil des étages, tout ou presque a regagné sa place comme à la grande époque. Un calendrier annoté de 1992 symbolise à lui seul, certes, que la vie s’est arrêtée là il y a plus de trente ans, mais que vie il y avait. Aujourd’hui propriété de la Ville, ce lieu emblématique d’un savoir-faire renommé a d’abord fait l’objet d’un inventaire fastidieux pour que son histoire ne tombe pas dans l’oubli. Puis, grâce aux témoignages d’anciennes salariées comme Liliane et Mireille, le site a pu être réaménagé comme au temps où elles œuvraient au métier.

Mireille et Liliane avec Agnès Florentin, chargée du programme Petites villes de demain.  

Et ce week-end, comme depuis quelques années maintenant, elles seront là, fidèles au rendez-vous des Journées du patrimoine, pour raconter aux visiteurs le glorieux passé de la manufacture Braquenié. 

Texte : Séverine Perrier Photos : Floris Bressy