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"La France est sauvée" : 15 septembre 1944, ce jour où La Montagne a réapparu dans les kiosques

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Le 15 septembre 1944, « le quotidien populaire indépendant », La Montagne, ex­quotidien des gauches n’affichant plus aucune couleur politique, retrouve les kiosques. Dans son éditorial (voir ci-contre), Alexandre Varenne, le directeur de publication, salue la victoire qui se dessine dans le sillage de la Libération.La France est sauvée titre-t-il. Et le journal de l’avocat et homme politique, aussi. Il s’en est fallu de peu. Non pas que La Montagne ait, comme son concurrent clermontois Le Moniteur, propriété de Pierre Laval, chef du gouvernement de Pétain, servi la cause de la collaboration, mais le quotidien puydômois a dépassé de près de neuf mois la date butoir… de l’honorabilité précisée par les ordonnances sur la presse du printemps 1944.

Censures, suspensions et blâmes

Malgré de nombreux coups de semonce des autorités françaises et allemandes, en dépit d’une quarantaine de censures, de cinq suspensions de publication et de sept blâmes, Alexandre Varenne a tenu bon jusqu’au 27 août 1943. Son engagement et celui de sa rédaction n’étaient un secret pour personne. Dès le 10 juin 1940, il avait, sans ambiguïté possible, titré son édito : Préparons la résistance. En développant, huit jours avant l’appel de De Gaulle : « Envisageons quand même le pire, et que l’ennemi oblige nos armées à céder au-delà de Paris. La guerre n’en devra pas moins continuer. D’où il suit qu’il faut prévoir et organiser la résistance en profondeur. »

Le 3 juillet 1940, son éditorial subit les foudres d’Anastasie. À la place de son éditorial en une du quotidien, une première colonne blanche ouvre le ban d’une longue série d’articles censurés. Pour sa direction comme pour ses lecteurs, le message est clair : La Montagne qui n’est pas dans la mouvance de la collaboration, doit se tenir à carreau. Visible par tous, le rectangle blanc est une manière d’avertissement… « Nous ne sommes pas assez dociles », déclare Varenne à ses proches tandis que le journal se refuse à décliner les thèmes imposés par Vichy. Sur les méfaits du bolchevisme par exemple.

Ni le journal, ni son directeur n’ont jamais été communistes […] Nous n’obéirons pas […] Mieux vaut disparaître jusqu’à des temps meilleurs que se faire les complices de cette vilenie. 

De l’Armistice à la fin de 1941, le directeur de La Montagne écrit de longues lettres à Pierre Laval pour lui dire sa façon de penser quant aux errements de l’État Français.

« La République sans la liberté est un non-sens »

Le chef du gouvernement de Pétain et le conseil qui a défendu le ministre Jean Zay se connaissent bien : tous deux auvergnats, tous deux avocats, tous deux socialistes… L’Armistice de 1940 a révélé la divergence de leurs valeurs respectives. Dans le chaos qui succède à la « drôle de guerre », par sa plume, Varenne a pris position contre les fossoyeurs de la République.Les pages du quotidien blanchissent au fil des mois. Laval met Varenne en garde sans pour autant frapper trop fort pour ne pas être soupçonné de vouloir éliminer un concurrent. Varenne tient tête non sans se fendre de commentaires circonstanciés à l’adresse de son ex-confrère.

« Vous avez inauguré les pleins pouvoirs que vous avait conférés le Parlement par le changement de la raison sociale du régime. Le terme République a à peu près disparu du vocabulaire officiel. Je n’ai pas le fétichisme des mots. Seul le fait importe. La République sans la liberté est un non-sens. […] L’immense majorité des Français n’a pas vu sans amertume ce changement dont nul ne les avait prévenus. […] Ils voient dans cette révolution de mots un attentat contre leur volonté souveraine, une manière de coup d’État. […] »La une du 15 septembre 1944

Des journaux clandestins

Le journaliste condamne le statut des juifs promulgué par Vichy – si péril juif, il y eut, il fut en grande partie créé par les antisémites – et entretient des liens avec la Résistance.

L’intellectuel septuagénaire prend part au mouvement de libération en mettant à disposition les moyens du journal à l’Armée des ombres qui vient y tirer les journaux clandestins ; en cachant celles de ses connaissances que le régime menace. Son bras droit, Francisque Fabre a rejoint le réseau de renseignement Phalanx ; ses rédacteurs, Jean Rochon et Fred Beaudin sont déportés pour faits de résistance…

Pourquoi Varenne, qui avait déjà, en signe de protestation, cessé toute parution pendant quelques jours en juin 1940, n’a-t-il pas obéi à l’injonction gaullienne du printemps 44 ? Est-ce pour défendre cette liberté de la presse qui lui est si chère et ne pas céder aux ordres de l’Occupant et du régime collaborationniste ? Pour continuer à protéger son équipe et le foyer de résistance dont Raymond Aubrac louera, plus tard, l’efficacité ? Pour maintenir une présence non asservie, au plus près de ses concitoyens laminés par les années de guerre ? Sans doute tout à la fois…

La reparution n'est pas acquise...

Jusqu’à ce 27 août 1943 au soir, où après un treizième aller-retour à la censure, son article revient caviardé. Varenne jette l’éponge, la rotative de La Montagne restera muette jusqu’à la Libération.

Aux yeux du commissaire de la République qui tient lieu de préfet pendant cette période incertaine, la reparution de La Montagne n’est pas acquise, la date butoir du 11 novembre 1942 pour la mise en sommeil est largement dépassée. Alexandre Varenne doit remettre ses mots en ordre de bataille. Il relate dans ses carnets ce qu’il fait savoir à Henry Ingrand, fin août.

« Je n’accepte pas que La Montagne soit seulement discutée […] Ni mon journal ni moi-même avons des leçons de patriotisme à recevoir de personne […] La plupart de mes collaborateurs ont risqué leur liberté et souvent leur vie […] Hier mes ouvriers étaient là attendant la reprise du travail. Tous sortaient du maquis. J’exige donc que, dès maintenant, on m’autorise à reparaître […]. »La rotative dite La Marseillaise a imprimé le journal de 1944

« Mon article a fait sensation »

Dans le bouillonnement de la Libération qui voit six nouveaux journaux émerger sur la place clermontoise, La Montagne reçoit une autorisation de principe pour retrouver les kiosques, dans un tirage limité à 30.000 exemplaires, dans un premier temps. La Résistance a témoigné en sa faveur ; Varenne a actionné ses réseaux…

Le 14 septembre 1944 a des allures de grand soir dans l’atelier de la rue Morel-Ladeuil, à Clermont. Dans ses précieux carnets, encore, le journaliste raconte non sans feindre l’orgueil. « À une heure du matin, le journal est tombé. Quatre éditions vont partir dans toutes les directions, transportées dans des moyens de fortune, dans des autos de la maison Hachette dont les services sont installés chez nous […] Les premières nouvelles sont bonnes. À huit heures du matin, plus de Montagne dans les kiosques. Les concurrents ont tous baissé et leur papier attend les acheteurs. Mon article, m’assure-t-on, a fait sensation. »

Sophie Leclanchésophie.leclanche@centrefrance.com