Paris, la ville de l’amende amère
En exclusivité, voici un exemple de courrier-type pour contester efficacement tout avis de contravention abusif dans la capitale, et même ailleurs en France. Résultat garanti… ou pas.
Madame, Monsieur l’officier du ministère public.
Je viens de recevoir une amende, que je trouve particulièrement amère.
Paris a beaucoup de charme, mais aussi quelques désagréments, surtout quand on ose encore rouler à quatre roues. Ce qui, au train où vont les choses, sera bientôt passible du Tribunal pénal international.
Il faut quasiment être un super héros de nos jours pour ne jamais être verbalisé dans la plus belle ville du monde. Un bref moment d’inattention et vous êtes flashé à 32 au lieu de 30 km/h, pendant qu’un cycliste vous double après avoir brûlé son 26e feu rouge de la journée (au moins a-t-il la délicatesse de ne pas vous tirer la langue au passage). Vous souhaitez simplement acheter une baguette, mais ne trouvez aucune place de stationnement disponible à trois kilomètres à la ronde, à moins d’opter pour une place de parking qui vous coûtera quatre fois le prix de votre miche de pain, sans compter le temps (pas le pain) perdu. Du coup, vous tentez le tout pour le tout en espérant que, sur un malentendu, ça peut marcher : vous vous rangez deux minutes en warning à un endroit qui ne gêne personne. Hélas, ça ne marche pas à tous les coups…
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Bref, je paie toujours mes contraventions quand j’ai fauté, pour ne pas dire déchatté, en bon citoyen français, râleur mais docile. Je ne paierai en revanche pas, quoi qu’il en coûte comme dirait l’autre, celle que je viens de recevoir. Je vous la fais courte. Fin août dernier, je récupère chez le médecin ma vieille mère qui, du haut de ses 75 balais, ressemble de plus en plus à celle d’Anthony Perkins dans Psychose, mais que j’aime par-dessus tout. On n’a qu’une maman. Des médicaments lui ayant été prescrits par son rebouteux, je me dirige illico vers la pharmacie située place Daumesnil et me retrouve alors dans la même situation que le gars qui veut du pain. Zéro place dispo. Craignant que l’apothicaire ne me ferme la porte au nez vue l’heure tardive (19h58, comme mentionné sur l’avis de contravention), j’opte pour le plan B, celui avec le warning dans un endroit qui ne gêne personne, d’autant que la place Daumesnil est très large. Et avec maman sur le siège passager au cas où. L’opération visiblement illicite doit durer à tout casser 3-4 minutes. À mon retour, je tombe sur un policier municipal véhiculé qui a peut-être vu là une occasion rêvée d’arrondir ses fins de mois. Comme je suis un humaniste, un ami du genre humain, je ne suis pas plus inquiet que cela et me dis que ma brève explication-justification au gardien de la paix – et de la place – l’aura convaincu de ne pas m’infliger une contredanse pour si peu. Ma naïveté me perdra.
Il y a quelque chose d’orwellien, voire d’ubuesque, en tout cas qui ne tourne plus rond dans notre beau pays aujourd’hui. À l’heure où d’innombrables délinquants (voleurs, agresseurs, braqueurs, guetteurs, que sais-je enco(eu)re se voient intimer un simple rappel à la loi désormais plus subtilement nommé « avertissement pénal probatoire », sans débourser le moindre rond et sans autre forme de procès, comment accepter qu’un automobiliste, plutôt bien fait de sa personne qui plus est, doive s’acquitter de la pas très modeste somme de 135 euros pour s’être simplement garé guère plus de 240 secondes (j’ai pris ma calculette) en warning, sans entraver le moins du monde la circulation de quiconque. Je sais que les agents municipaux bénéficient de primes à la fin du mois, en fonction du nombre de verbalisations qu’ils ont perpétrées… pardon, signées. Cette pratique ne donne-elle pas lieu à certaines dérives ? Vous remercierez en tout cas de ma part l’agent verbalisateur 126…1, un sacré numéro celui-ci, dont l’empathie et la mansuétude semblent inversement proportionnelles à la promptitude dans l’exécution d’une prune.
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Au-delà de la colère et du désarroi que j’ai pu ressentir dans un premier temps à la réception de cette amende décidément bien amère, je me suis permis de vous narrer ma mésaventure en ne lésinant ni sur l’esprit de dérision, ni sur cet humour que mon ado de fille, allez savoir pourquoi, trouve souvent si lourd. J’espère que vous ne m’en voudrez pas. Vous pouvez même vous estimer heureux : après vous avoir parlé de ma mère et de ma fille, je n’ai pas évoqué ma femme et le reste de ma famille. Comme le disait Alphonse (Allais, pas mon voisin) : ne nous prenons pas au sérieux, il n’y aura aucun survivant.
J’espère que mon argumentaire imparable vous incitera à faire preuve d’une certaine indulgence à mon égard, celle-là même dont votre collègue assermenté et numéroté paraît dénué. Sachant qu’en cas de réponse négative, et sans aucunement vouloir vous mettre la pression, je suis prêt à faire valoir mes droits jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme si nécessaire. Voire à me faire hara-kiri, question de principe.
Veuillez recevoir, Madame, Monsieur l’officier du ministère public, patati, patata…
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