Du sexe et de l’humour : pourquoi il faut lire “Histoire d’une domestication” de Camila Sosa Villada
Une comédienne trans, sans nom, s’avance au milieu des projecteurs du théâtre. Elle est au sommet de sa gloire et a choisi de monter, avec un metteur en scène prestigieux, La Voix humaine de Jean Cocteau, malgré les mises en garde de son entourage contre cette pièce “démodée”. Pourquoi ne pas avoir choisi quelque chose de “moins français, de moins tordu” ?
Mais on comprend dès les premières pages que la comédienne et narratrice d’Histoire d’une domestication fait exactement ce qu’elle veut, sans se soucier du regard des autres. C’est un trait de caractère qu’elle semble partager avec son autrice, Camila Sosa Villada, qui change ici de registre après le succès mondial de son premier roman Les Vilaines traduit en France en 2021, dans lequel elle racontait l’histoire d’un groupe de prostituées trans à Córdoba en Argentine.
Liberté de ton
Dans Histoire d’une domestication (dont la version cinématographique, avec l’autrice dans le rôle principal, est présentement en post-production), Camila Sosa Villada choisit une forme en apparence plus classique et linéaire – la comédienne se marie avec un homme gay et adopte un enfant – mais elle radicalise son projet littéraire en poussant encore plus loin son humour caustique et son absence totale de pathos.
Son écriture se fait volontairement plus cruelle, plus imagée. Elle consacre ainsi de nombreuses pages de son roman à des scènes de sexe sans filtre, comme on en trouve aujourd’hui rarement en littérature contemporaine, en les étirant avec une certaine délectation. Cette liberté de ton lui permet de s’attaquer à l’hypocrisie de la bourgeoisie argentine mais surtout à l’institution, pourtant indéboulonnable, de la famille qui est présentée non pas comme vecteur d’épanouissement mais comme le lieu d’une douloureuse aliénation. Le roman rêve d’une autre voie, d’autres façons de faire société. Et c’est là que se niche sa véritable radicalité.
Histoire d’une domestication de Camila Sosa Villada (Métailié). Traduit de l’espagnol (Argentine) par Laura Alcoba, 224 pages, 19 Euros.