iPhone 16 : pourquoi Apple ne s’affole pas de la course à l’IA
Selon Tim Cook, il s’agit des tout premiers smartphones "conçus pour l’intelligence artificielle". Lors de la Keynote du 9 septembre 2024, le grand raout d’Apple où la firme présente ses nouveaux iPhone, le patron a mis l’accent sur l’AI. Ici, l’acronyme ne signifie pas Artificial Intelligence, mais Apple Intelligence. La technologie, qui sera embarquée sur toute la gamme d’iPhone 16 (le 16, le 16 Plus, le 16 Pro et le 16 Pro Max) doit révolutionner l’utilisation des téléphones Apple à travers de nombreuses fonctionnalités.
La sortie des iPhones 16 positionne enfin l’entreprise dans la course à l’IA. Elle a surtout rassuré le monde de la tech, qui s’étonnait depuis des mois du silence de l’entreprise sur la technologie, et craignait qu’elle ait accumulé beaucoup de retard dans le domaine. Un comble pour ce pionnier des assistants intelligents qui a marqué les esprits avec Siri. Apple a cependant une stratégie atypique pour s’inscrire dans la course à l’IA.
Le "rasoir à trois lames" d’Apple
Le premier pilier de sa politique : un modèle d’IA développé par l’entreprise, qui permettra d’exécuter certaines tâches "en local", directement sur les appareils. Un outil pensé pour les demandes les plus basiques des utilisateurs - réécriture de messages, modifications légères de photos - et qui enrichira les capacités de Siri.
Pour les requêtes plus compliquées, il faudra passer par une deuxième couche : un service cloud développé spécialement par Apple. L’avantage de ce système étant que les données des utilisateurs sont ainsi protégées par la Pomme, elles ne sont pas communiquées à des tiers. Ce cloud, nommé Private Cloud Compute, fonctionnera sur de puissants processeurs Apple silicon. Dernier étage de l’édifice : l’entreprise délègue les tâches les plus lourdes à OpenAI. Apple a signé un accord pour intégrer ChatGPT aux iPhones. Les utilisateurs peuvent ainsi lancer des requêtes directement depuis leurs téléphones.
Apple a redoublé d’efforts dans l’IA. En février 2024, la firme avait ainsi annoncé fermer la division Apple Car, son projet de voiture électrique, afin de réassigner 2 000 employés sur le sujet. L’entreprise a également débauché une douzaine d’experts en intelligence artificielle de Google en avril pour renforcer ses équipes.
Sa stratégie à trois couches montre cependant qu’elle n’a pas encore de LLM (grand modèle de langage) sophistiqué. "S’ils avaient un gros modèle capable de concurrencer ChatGPT ou Gemini, ils l’auraient mis sur leur cloud privé", observe Hanan Ouazan, associé chez Artefact en charge des offres IA. Le fait de se concentrer sur des "mini-IA" présente un risque : que l’écart se creuse avec les modèles plus sophistiqués et que les "petits modèles d’Apple deviennent ringards", pointe Pascal Malotti, responsable de la stratégie pour le cabinet Valtech.
Mais cette approche prudente a ses mérites. Car avec de petits modèles d’intelligence artificielle, Apple peut déjà répondre à beaucoup de demandes du quotidien. Le partenariat OpenAI permet, quant à lui, d’offrir la meilleure intelligence artificielle du marché aux clients Apple, sans investissement exorbitant. L’entraînement d’IA, qui nécessite énormément de puissance de calcul, coûte en effet excessivement cher. Autour de 100 millions de dollars pour l’entraînement de GPT-4. Et la barre sera placée encore plus haut avec les nouvelles générations d’IA : des études la situent aux abords du milliard de dollars d’ici quelques années.
"Les grands noms de l’IA ont beaucoup d’avance. Et dans ce domaine, la compétition va très vite", rappelle par ailleurs Hanan Ouazan. Même Google, qui est dans le secteur depuis de très nombreuses années, a du mal à rattraper l’écart qui s’est creusé avec OpenAI.
Apple ne rivalise pas avec OpenAI
Le risque de bulle financière plane, du reste, toujours au-dessus de l’industrie. "Apple ne veut pas prendre le risque d’investir dans des infrastructures onéreuses qui n’auront peut-être pas de retours sur investissements", souligne Pascal Malotti. S’appuyer sur les technologies d’autres acteurs existants reste la solution la plus économique.
L’accès aux données d’entraînement serait enfin un dilemme pour Apple. Non pas que la firme manque de moyens théoriques d’en collecter : ses produits sont dans la poche de deux milliards de personnes. Mais la firme met depuis des années un point d’honneur à préserver la vie privée de ses utilisateurs au cœur de son discours. Or, "l’entraînement des LLM est un désastre pour la protection des données", analyse Pascal Malotti.
Autant de raisons qui expliquent que la Pomme ne s’affole pas de la course à l’IA. "Apple privilégie avant tout l'expérience utilisateur. Pour eux, il est plus important d'offrir un maximum de fonctionnalités pertinentes plutôt que de simplement avoir le plus gros modèle", souligne Hanan Ouazan. L’entreprise pourrait bien continuer de déléguer certaines tâches à des IA partenaires en attendant l’éclatement de la bulle, et la consolidation du marché. "Les très gros LLM, c’est comme l’A380, pointe cet associé du cabinet Artefact. C’est impressionnant, mais toutes les compagnies aériennes n’en ont pas besoin. Les plus petits LLM, comme des A350, sont parfois plus adaptés".