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2024

Langues régionales : "En matière de droits linguistiques, la France mérite 2 sur 10"

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La France le revendique régulièrement : elle serait "le pays des droits de l’homme". Une belle et noble ambition qui se heurte toutefois à cette légère contradiction : en matière de droits linguistiques, notre pays mérite plutôt un bonnet d’âne. Et ce n’est pas moi qui le dis, mais le très autorisé Fernand de Varennes, un Canadien qui fut de 2017 à 2024 rapporteur de l'ONU sur les questions relatives aux minorités. Lisez son témoignage ; il est édifiant.

Les droits linguistiques font-ils vraiment partie des droits humains ?

Fernand de Varennes Il n’y a aucun doute sur ce point. La liberté d’expression, par exemple, protège l’utilisation privée d’une langue. De même, le droit à la vie privée permet à toute personne de voir son nom et son prénom exprimés dans une langue minoritaire. Quand un gouvernement n’applique pas l’une de ces dispositions, il porte atteinte à un droit humain fondamental.

De votre point de vue, la France respecte-t-elle les droits linguistiques ?

Malheureusement, non. Dans le domaine linguistique, elle porte atteinte à la liberté d’expression et multiplie les mesures discriminatoires à l’égard de ses minorités linguistiques [NDLR : le gouvernement et le Conseil constitutionnel français interdisent par exemple le prénom breton Fañch, avec un "n" tildé, comme le prénom catalan Martí, avec un "i" accent aigu].

En la matière, quelle note accorderiez-vous à la France ?

Hélas, je dirais qu’elle mérite 2 sur 10, car il existe chez vous énormément de limites concernant l’utilisation des langues régionales ou minoritaires.

Lorsque vous étiez chargé de ces questions à l’ONU, avez-vous interpellé la France à ce sujet ?

Oui, notamment en 2021, après que le Conseil constitutionnel a censuré la loi Molac en faveur des langues régionales. Avec mes collègues, nous sommes également intervenus en 2023, lorsque la justice a presque interdit l’utilisation du corse par l’Assemblée de Corse.

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Ces institutions expliquent qu’elles se sont contentées de suivre l’article 2 de la Constitution : "La langue de la République est le français".

Que le français soit la langue de la République est une chose. Mais, dans la plupart des pays, l’existence d’une langue nationale n’entraîne pas l’exclusion complète des autres langues. Considérer que l’article 2 interdit l’utilisation de toute autre langue est une interprétation qui nous semble déraisonnable et disproportionnée – et donc probablement discriminatoire en droit international. Au demeurant, l’article 2 ne dit pas que le français est la "seule" langue de la République. Et je rappelle que cette phrase a été ajoutée en 1992 afin de contrecarrer l’influence grandissante de l’anglais, et de l’anglais exclusivement. Il est donc ironique de constater que le Conseil constitutionnel l’utilise aujourd’hui pour limiter l’utilisation des langues régionales alors que l’anglais semble avoir libre cours en France.

Comment le gouvernement français a-t-il réagi après vos interpellations ?

La France n’a jamais répondu. Silence radio ! Il est tout de même navrant de voir qu’un pays qui se veut à l’origine des droits humains ne répond pas quand des craintes sont exprimées sur ce sujet par l’ONU.

Y a-t-il des pays où les langues minoritaires disposent de droits qui sont refusés aux langues régionales de France ?

Bien sûr ! La Suisse, par exemple, reconnaît quatre langues nationales et prend des mesures en faveur des langues des immigrés.

Mais la Suisse n’est-elle pas une exception ?

Pas du tout ! Voyez l’Italie. Dans la province germanophone du Haut-Adige, on peut avoir accès à l’éducation et à certains services publics en langue allemande. En Belgique, pays à majorité flamande, des mesures sont prises en faveur des langues minoritaires que sont le français et l’allemand. Le Royaume-Uni protège l’irlandais, le gallois et l’écossais. Dans le nord de l’Allemagne, il est possible de recevoir un enseignement bilingue en danois et en allemand.

D’autres Etats comme le Canada et l’Australie favorisent même les langues de l’immigration. Dans les hôpitaux, par exemple, on communique si besoin en turc ou en albanais parce qu’il y va de la santé des individus. Je pourrais continuer longtemps, mais vous m’avez compris : en matière de droits linguistiques, c’est la France qui fait figure d’exception.

Pourtant, chez nous, des langues comme l’occitan, le basque ou le breton bénéficient d’un enseignement bilingue. Le Conseil constitutionnel a simplement posé une limite : pas plus de la moitié des cours en langue régionale.

Lorsque l’on limite l’utilisation d’une langue minoritaire à la moitié des cours, on écarte celle-ci de manière déraisonnable car, dans une société totalement francophone, cela ne permet pas de former de bons locuteurs de ces langues.

Sous la Révolution, certains ont cru que les langues régionales étaient les ennemies des idées nouvelles.

Au demeurant, cette décision ne s’appuie sur aucune base pédagogique solide. Au contraire ! De très nombreuses études de l’Unesco l’ont démontré : non seulement l’enseignement dans la langue d’une minorité n’empêche pas l’apprentissage de la langue nationale, mais elle le facilite car le cerveau des enfants bilingues est habitué à la complexité. Je m’étonne par ailleurs de voir que, dans le même temps, certains programmes scolaires sont offerts presque exclusivement en anglais.

Comment cela ?

Des grandes écoles et des universités françaises proposent des masters uniquement en anglais alors qu’il n’en existe pas à ma connaissance exclusivement en corse ou en breton. La préfecture de police propose également des documents en langue anglaise à destination des touristes. Cela ne me gêne pas, mais pourquoi ne pas faire la même chose en occitan ou en alsacien ? Pourquoi favoriser toujours l’anglais au détriment des langues de France ?

D’où vient selon vous cette résistance ?

Votre phobie des langues régionales a des origines historiques. Sous la Révolution, certains ont cru qu’elles étaient les ennemies des idées nouvelles. Mais nous sommes en 2024 ! Peut-être serait-il temps de reconnaître que cette analyse était erronée et que les droits humains ont évolué depuis le XVIIIe siècle. Ce serait du reste l’intérêt de la France, car la négation des droits des minorités linguistiques représente une tache sur son image.

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