"Tourner la page" Castets, le "fardeau" Mélenchon… Les confidences de Hollande l’historien
Au Maraîcher, petit troquet à deux pas du Divan, célèbre librairie parisienne, deux amies, la soixantaine passée, reluquent notre exemplaire du dernier livre de François Hollande. L’une déchiffre le titre : Le défi de gouverner, la gauche et le pouvoir de l’affaire Dreyfus jusqu’à nos jours.* Et renchérit : "Eh ben, encore un livre ! Ça parle de son quinquennat ? Il revient ? Candidat en 2027 j’imagine ?" A quelques pas de là justement, l’ancien président de la République dédicace son dernier ouvrage à la centaine de personnes venue au rendez-vous. Il répond aux mêmes questions sur la dissolution, son prédécesseur Emmanuel Macron, son avenir (à l’un comme à l’autre), sur la gauche, le Parti socialiste, Bernard Cazeneuve ou encore le nouveau Premier ministre, nommé un peu plus tôt ce vendredi 6 septembre, Michel Barnier – "Je le connais bien, et vous ne serez pas surpris : il est de droite !" Pouvait-on rêver promotion politico-littéraire plus opportune ?
Un livre de François Hollande n’est jamais anodin. Celui-ci l’est encore moins. On le connaissait premier secrétaire du PS, député, président de la République, de nouveau député (du Nouveau Front populaire), le voilà désormais historien. L’ancien chef de l’Etat s’est plongé pendant plus d’un an sur l’histoire de la gauche et il en raconte les belles heures et les glorieux hérauts, loin du romantisme que tant d’autres à gauche avant lui ont narré. Au fil des pages, une seule et unique question : quel est ce mal qui ronge le camp socialiste depuis ses premières heures au XIXe siècle, cette ritournelle qui toujours l’incommode ? Etre ou ne pas être, en somme. Combien de fois le PS s’est-il confronté à l’éternel choix du défi de gouverner ? Le défi du pouvoir, qui attire la gauche autant qu’il la rebute. La réforme ou la révolution ? Jusqu’où la réforme ? Jusqu’où la révolution ? Communistes contre socialistes en 1921, socialistes et radicaux sous le Cartel des gauches trois ans plus tard, accompagner Pierre Mendès France ou non, mitterrandiens contre rocardiens, frondeurs contre hollandais et désormais : socialistes contre insoumis.
C’est ainsi depuis que la gauche est gauche, elle considère que le pouvoir "salit", "trahit", parce qu’il est nécessairement soumis à des accommodements, à des arbitrages avec la "bourgeoisie". Ses franges les plus radicales font de la pureté programmatique un essentiel. "Le maximalisme d’une certaine gauche, hier celle de Guesde, puis des communistes et aujourd’hui celle de Mélenchon traduit en réalité un refus d’exercer le pouvoir, explique Hollande. Chaque fois que les socialistes ont été dominants à gauche, les victoires ont été rendues possibles et des avancées majeures ont été réalisées qui ont profondément transformé notre pays." Les semaines de tergiversations d’Emmanuel Macron avant de nommer un Premier ministre et l’intransigeance du Nouveau Front populaire, dont Jean-Luc Mélenchon exigeait "le programme, tout le programme, rien que le programme", ne sont qu’un énième épisode de cette valse-hésitation.
Emmanuel Macron considérait que nommer Cazeneuve, c’était renouer avec le fil de mon quinquennat
La pureté comme religion efface bien des souvenirs, comme le raconte Hollande en évoquant le Front populaire. On se souvient de la première année, 1936, et des grandes réformes sociales, moins des suivantes. "La gauche préfère omettre les deux suivantes pendant lesquelles Camille Chautemps [NDLR : président radical du Conseil] multiplie les concessions au patronat", rapporte l’ex-locataire de l’Elysée. Autre temps, autre union. Elle aussi est sacrée, et aujourd’hui plus qu’hier. Celle du NFP ne saurait être brisée sur l’autel de Matignon. C’est au nom de l’union que les socialistes ont éconduit leur ancien camarade (et ministre) Bernard Cazeneuve – dont Emmanuel Macron a feint de vouloir faire son Premier ministre. Les insoumis et les écologistes l’ont traîné sur la claie d’infamie avant même que l’intéressé n’ait dit ce qu’il ferait du programme du NFP. Au PS, on ne pouvait donc pas se permettre de le soutenir ouvertement, écartant un soutien inconditionnel à un gouvernement mené par l’ex-socialiste sans risque de quitter "le club de l’union". "Poser la censure d’un homme de gauche comme une hypothèse, là était l’anomalie", lâche François Hollande, comme une réponse à Faure évoquant Cazeneuve. Il assurait à Emmanuel Macron à l’Elysée, le 2 septembre, qu’il était "certain que Cazeneuve aurait le soutien d’une majorité de socialistes". Il est encore et toujours convaincu que son ancien Premier ministre et ministre de l’Intérieur "aurait été un cohabitant", le "mieux placé" parce qu’il n’était justement pas du NFP, mais que celui-ci l’aurait toléré, les socialistes les premiers, tout comme les députés Renaissance et "quelques gens de la droite raisonnable". Il livre son autopsie de la séquence : "C’est avant tout Emmanuel Macron qui ne voulait pas de lui. Il devait considérer que le nommer, ça aurait été admettre de renouer avec le fil de mon quinquennat."
Tourner la page Lucie Castets
François Hollande compteur des belles heures de la gauche, observateur des méandres du Parti socialiste, analyste des coulisses du pouvoir. On aurait presque oublié qu’il vient d’être élu député de Corrèze sous la bannière du Nouveau Front populaire. Qu’y fera-t-il ? "Ne croyez pas qu’il se contente de rester sagement sur son siège rouge feutré, il a bien d’autres projets", euphémisent ses amis. Les tumultes de ces deux derniers mois l’ont remis sur le cheval de la politique, celle qu’il faisait avant de devenir président. Si Bernard Cazeneuve avait été désigné Premier ministre, il aurait pu solliciter un poste de ministre des Affaires étrangères, croient savoir certains de ses visiteurs ; les mauvaises langues au PS disent aujourd’hui qu’il accepterait le Quai d’Orsay même sous Michel Barnier - lui répond qu’il votera la censure. Dans l’entourage d’Olivier Faure, on croit même que l’ancien président a de plus grandes ambitions : "Son plan est assez simple : comme d’autres, il est à la recherche d’une démission d’Emmanuel Macron et d’une présidentielle anticipée : il veut que le NFP fasse le sale boulot, pour apparaître comme le candidat de la paix à gauche derrière." Des plans de carrière que l’intéressé balaie d’un revers de main : "Je suis attaché aux institutions et à la stabilité. Je ne participerai pas à des procédures ou à des mouvements de rue visant à interrompre le mandat du chef de l’Etat."
Le peut-il ? "En ouvrant un dialogue avec le RN pour obtenir l’assurance qu’ils ne censurent Michel Barnier, Macron fait peu de cas du front républicain qu’il avait pourtant sollicité entre les deux tours des législatives. Si Barnier était renversé, c’est cette démarche qui serait condamnée", juge Hollande. Alors reviendra la carte Cazeneuve, parce que, dit-il, "il faut fermer la page" Lucie Castets. "Je regrette qu’elle n’ait pu présenter son programme devant l’Assemblée, même si la censure, faute de compromis avec le bloc central ne faisait guère de doute." Se reposeront les mêmes débats, éternels, entre deux gauches qu’il ne croit pas "irréconciliables". L’un veut gouverner, l’autre non. "Je revendique l’union mais à condition d’y imposer une ligne crédible et ouverte. LFI est minoritaire au sein de la gauche et son leader est davantage un fardeau qu’une espérance. Les socialistes doivent plus se faire entendre sur leurs propositions et sur leur bilan", détricote François Hollande, qui compte bien prendre sa part au prochain congrès socialiste, en 2025. Hollande de retour plus que jamais. Etait-il vraiment parti ?
* Le Défi de gouverner. La gauche et le pouvoir de l’affaire Dreyfus jusqu’à nos jours. Perrin, 416 pages.