Des champs de blé au chant lyrique, itinéraire de vie de Fabrice Maitre
Il est aux alentours de 13 heures, en cette fin de mois d’août, et Fabrice Maitre charge son camion, à Reignat (Puy-de-Dôme). Le soir, il sera en représentation avec son groupe de gospel Amazing Singers. Dans la même grange où il prépare son matériel est entreposé l’ail cultivé sur l’exploitation, longtemps considéré comme « de l’or blanc » par les grands-parents de l’artiste.
Si aujourd’hui, les têtes d’ails sont moins nombreuses, Fabrice Maitre prend toujours cette activité très au sérieux. Après avoir performé comme chaque année au festival d’Avignon, il a rejoint sa famille, installée depuis plusieurs décennies à Reignat, pour participer à la 40? édition de la Foire à l’ail début août. Dans la grange, à côté de l’immense four qui permet de produire de l’ail noir, trônent les vestiges de ses anciens spectacles.
De la flûte à bec au conservatoireParce qu’avant d’être exploitant agricole, Fabrice Maitre a surtout le statut d’intermittent du spectacle. Sa carrière musicale débute à son entrée au collège, lorsqu’il assiste à ses premiers cours de flûte à bec. Alors que les autres élèves de son âge boudent l’instrument, il en devient rapidement fasciné. « Je rentrais chez moi, j’écoutais la radio, et j’essayais de reproduire les airs que j’entendais », se remémore le chanteur. À Noël, il reçoit un petit clavier, et exprime rapidement l’envie de s’inscrire à des cours de piano. Durant ses années d’adolescent, il décide d’intégrer le conservatoire, puis de se consacrer entièrement à son instrument après le baccalauréat. « Au début, j’ai fait de grands yeux, j’avais peur, puis je me suis dit que si je ne le soutenais pas, il le ferait quand même, mais mal », confie sa mère Josette. Trente ans plus tard, cette dernière conseille son fils sur ses productions, confectionne certains de ses costumes, et surtout, elle est très fière de lui :
Il est opiniâtre et bosseur, et quand il a une idée en tête, il la poursuit jusqu’au bout.
Deux décennies que son fils bouillonne d’idées et s’investit dans une multitude de projets, qu’elle suit de près. « J’ai l’impression de vieillir moins vite », confie Josette. Après une formation au centre de musique baroque de Versailles, « la Star Academy du classique » selon lui, il enchaîne les auditions et intègre plusieurs opéras. En 2003, il change de registre lorsqu’il crée son groupe de Gospel. Puis il revient à ses bases quatre ans plus tard en montant la compagnie lyrique Accord Parfait. Les artistes le rejoignent régulièrement pour assister à des résidences à Reignat. Ils sont logés chez lui, son oncle et sa tante, mais aussi chez sa mère, dans la maison où il a grandi. À l’intérieur, pas d’instruments ni de partitions. « Personne ne faisait de musique dans ma famille, pas de chant, rien », raconte l’artiste. Sa mère enchaîne : « Chez nous, c’était guinguette et accordéon, et ça s’arrêtait là. »
Tournage de film et émissions téléEn revanche, le lieu de son enfance attire l’œil d’une équipe de tournage, en 2021. Fabrice Maitre se propose même pour jouer un des rôles, qu’il obtient après avoir passé un casting, mais le film ne verra jamais le jour, alors que le réalisateur Jacques Doillon est accusé d’agressions sexuelles. Autre coup de projecteur fugace en 2022, alors qu’il participe à The Voice, « pour dépanner un groupe d’amis qui interprétaient des chants d’Europe de l’Est. » Le jury ne se retournera pas, mais Fabrice Maitre estime avec du recul que « le répertoire était trop niche ». En réalité, son registre, qu’il explore aux côtés des artistes de sa compagnie, est plus décalé. Une façon pour ce fils d’agriculteur de proposer une version populaire des opéras, accessible à tous. Il prévient cependant : « On peut déconner, mais je veille toujours à ce que musicalement, ça reste irréprochable. » Il poursuit :
Ma devise, c’est de faire de la musique sérieusement sans se prendre au sérieux.
Début août, il a proposé un de ses spectacles directement à la ferme, dans un décor idyllique, entouré de figuiers et de poules, qui a conquis les Puydômois. À 49 ans, il semblerait que l’enfant du pays ait trouvé son équilibre, entre les champs de blé et les tonalités.
Marie-Camille Chauvet