"Macron choisit Macron" : la presse étrangère raille la nomination de Michel Barnier à Matignon
Jeudi 5 septembre, 18h passées. Comme le veut la tradition, Gabriel Attal cède sa place au tout juste nommé Michel Barnier sur le perron de l’Hôtel de Matignon. Devant cette image d’un futur ex-Premier ministre aux traits encore juvéniles et de son successeur aux cheveux blancs, surnommé le "Joe Biden français" par El Mundo, le quotidien transalpin Il Post s’essaie à une antithèse : "Le plus ancien Premier ministre de la Ve République remplace le plus jeune jamais nommé".
Façon au passage de souligner un changement de style net entre le jeune loup du macronisme et le vieux briscard du "gaullisme social". Contraste que n’a pas manqué de commenter le Corriere della sera qui décrit notamment un Michel Barnier "un peu paternaliste", "agacé par l’éloquence imparable de son jeune et brillant prédécesseur". En réalité, une mise en scène qui ne sert qu'à marquer la distance avec la politique jusqu'alors conduite.
Barnier, synthèse entre Le Pen et Macron ?
Car dans les faits, "Macron choisit Macron" raille le journal espagnol El País. "Son profil très économique" n’a d'ailleurs rien d’un "hasard" selon El Mundo, qui rappelle qu’il s’agit d’un "domaine clé pour Macron". Ainsi, le quotidien munichois de centre gauche Süddeutsche Zeitung s’impatiente "de voir comment se développera la relation" entre le nouveau Premier ministre et Emmanuel Macron, qui "ne pourra probablement pas poursuivre sa ligne politique comme avant".
Mais l’espagnol El País de nuancer, pointant le fait que Jupiter "se soit obstiné à chercher un Premier ministre qui ne remettrait pas en cause ses réformes". À l’instar de la très contestée loi sur les pensions retraites de 2023, suggère outre-Rhin le quotidien Der Spiegel. Ou encore de la dernière réforme de l’immigration qui avait suscité l’ire de la gauche fin 2023, souligne le britannique The Guardian. Sur cette question, la presse étrangère n’a pas manqué de relever le virage à droite.
À tel point que Michel Barnier "semble de plus en plus en décalage avec sa famille gaulliste", note le Financial Times. En Italie, Corriere della sera va jusqu’à parler d’un "profil Le Pen-compatible" en raison de ses positions jugées proches de celle du Rassemblement national (RN) concernant la politique migratoire. Dans le sillage du Guardian, El Mundo déterre une de ses propositions phares de sa campagne pour les primaires des Républicains fin 2021 : "un moratoire de trois à cinq ans" sur l’immigration. Véritable ligne rouge pour la gauche.
À cette époque, son appel à regagner la souveraineté juridique française face aux juridictions communautaire avait sérieusement assommé Bruxelles et ses observateurs, assure The Guardian. Et pour cause, Michel Barnier incarnait jusqu'alors la figure par excellence du député ayant troqué sa carrière politique nationale pour les arcanes bruxelloises. Plus encore, il s'était illustré à la fin des années 2010 comme le négociateur en chef du Brexit. Une mission qui lui a valu le sobriquet de "Mister Brexit", sourit El Mundo.
"Mister Brexit" et ses feuilles de calculs
Sans surprise, les journaux britanniques font grand cas du rôle joué par celui qui fut le ministre de trois présidents de la République dans le détachement du Royaume-Uni à l’Union européenne. Et n’ont rien oublié de ce Savoyard "amateur d’anoraks et de feuilles de calcul" titre The Guardian qui exhume dans ses colonnes quelques anecdotes.
Comme toutes ces fois où "des personnalités britanniques, principalement des chefs d’entreprise et des politiciens favorables au leave, tentaient de l’amadouer en lui offrant un panier incluant du cheddar, du thé et de la confiture, tandis que David Davis avait préparé un somptueux déjeuner d’agneau gallois à Downing Street en 2017, puis du bœuf Wellington lors d’un déjeuner ultérieur à Bruxelles". Problème, poursuit le quotidien anglais, qui distille quelques indices sur le régime alimentaire du nouveau locataire de Matignon : "Barnier était connu à Bruxelles pour se limiter au poisson lors des déjeuners – souvent du poisson nature et des épinards".
Une dernière historiette pour la route : l’ancien vice-président de la Commission européenne aurait affiché dans son bureau bruxellois "une photo de son rôle en tant que co-organisateur des Jeux olympiques d’hiver de 1992, ce qui lui a valu un surnom (un de plus) : le moniteur de ski". Le Washington Post note à juste titre que les deux hommes qui forment désormais le couple exécutif "revendiquent les Jeux olympiques comme l’une des réussites de leur carrière". Celle de Michel Barnier a commencé au début des années soixante-dix, note Il Post. Temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Le maître des horloges, né en 1977, non plus.
Le pari dangereux d’un pacte faustien avec le RN
Une carrière politique entre la Savoie, Paris, Bruxelles et Londres, longue de plus d’un demi-siècle, de nature peut-être à rassurer le locataire de l’Elysée, empêché depuis bientôt deux mois par la configuration inédite de l’Assemblée nationale sous la Ve République. Aussi Emmanuel Macron a-t-il choisi - "par défaut" estime La Tribune de Genève - cet homme dépourvu d’ambition en 2027 pour "sortir le pays du chaos", fait valoir El Mundo. Et entre autres, voter le budget 2025, dont le texte sera examiné à compter du 1er octobre au Palais Bourbon.
Charge toutefois au nouveau chef du gouvernement de résister aux tentatives de censure des oppositions, rappelle le quotidien helvétique Le Temps. Car l’alliance de gauche, qui compte quelque 190 députés ayant reçu "sa désignation comme un affront", comme le souligne El País, a déjà fait savoir qu’elle voterait une motion de censure. Sa proximité politique avec le RN devrait cependant l’aide à dégager son équipe gouvernementale de cette épée de Damoclès.
Mais la contrepartie pourrait bien être cher payée. Car en confiant son destin au parti à la flamme, Michel Barnier risque de se voir contraint de pousser davantage encore la barre à tribord, laissant derrière lui l’aile gauche de la macronie. En Une de son site, le quotidien britannique conservateur The Spectator résume : Premier ministre français en septembre 2024 ? "Difficile d’imaginer pire poste".