"Macron ne cherche qu’à durer jusqu’en 2027" : d’Edouard Philippe à Jean-Luc Mélenchon, les scénarios d’une démission
Le premier s’aventure sur le psychologique, moins par choix que par nécessité, le second fait de la politique jusqu’au bout des ongles, moins par nécessité que par réflexe. Edouard Philippe met la charrue avant les bœufs et ce n’est pourtant pas le genre de la maison. Il se lance dans une guerre de mouvement. 2027 n’existe pas dans l’interview du Point, dans laquelle il annonce sa candidature : il n’est question que de "la prochaine élection présidentielle".
Comme beaucoup d’autres, comme tout le monde, il n’a pas vu arriver la dissolution. Le dimanche 9 juin, il tombe de l’armoire. Mais puisque Emmanuel Macron s’est mis sur le terrain de l’irrationnel, son ancien Premier ministre est obligé de ranger ses affaires de classe. Il ne sera pas surpris une seconde fois. Il avait un agenda qui lui ressemble, séquencement précis du temps et de l’espace, tour méthodique des sous-préfectures, théorisation de la lenteur. Souvent Gérald Darmanin le pressait d’accélérer, le maire du Havre estimait qu’il fallait ménager sa monture et que la présidentielle était aussi une course d’endurance. La pirouette, en guise de calendrier : "On est plus près de 2027 qu’en 2021, donc forcément ça va s’accélérer !"
Le président a choisi la fuite en avant
Patatras. Quand son parti Horizons réunit son bureau politique deux jours après le second tour des législatives, tout a changé. Edouard Philippe comprend – non, cela échappe à son entendement, il constate plutôt - que le président a choisi la fuite en avant et que celle-ci risque de l’entraîner loin, très loin… Emmanuel Macron a créé une machine qui peut le broyer. C’est là que la psychologie intervient, mais la politique est juste derrière le rideau. Double message : il existe une vraie possibilité que ce mandat présidentiel n’aille pas à son terme ; seule la première dissolution est gratuite, la seconde peut être fatale au président. Pression maximale en vue. Et l’on devine déjà alors que lorsqu’il s’agira de préparer le budget, on ne se bousculera pas autour de la table.
Les blocages d’aujourd’hui pour le poste de Premier ministre ne font que confirmer l’impression : "Personne ne mettrait un gros billet sur une présidentielle qui se tienne en 2027", disent les amis d’Edouard Philippe. Celui-ci n’a pas décidé d’être candidat à l’Elysée cet été. Depuis son départ de Matignon, l’idée chemine en lui et lorsqu’il annonce la création de son mouvement, le 9 octobre 2021 au Havre, le chemin devient autoroute. Il sait où il veut aller. Ce qu’il a décidé cet été, avant même de partir en vacances, c’est de ne pas tourner autour du pot. Il ignore à ce moment que son annonce tombera en pleines négociations autour de Matignon. Le pied de nez à l’actualité ne doit pas lui déplaire.
Jean-Luc Mélenchon prend les devants
La guerre de mouvement est aussi son dada, surtout si le président est dans une guerre de position. Le 4 juillet, trois jours avant le second tour, Jean-Luc Mélenchon prend les devants. Au 20 heures de TF1, il lance : "S’il n’y a pas de majorité, la solution pour sortir de l’impasse, c’est que lui [NDLR : Emmanuel Macron] s’en aille. C’est normal, c’est lui qui est responsable de la pagaille. "À cet instant, il n’a pas encore en tête le processus de destitution. Il cherchera les moyens plus tard, pour l’heure, il en est à donner des coups de butoir. Pour le leader insoumis, "chaque jour qui passe, il y a la Constitution qui en prend plein la gueule". Depuis 2005 et le référendum sur la constitution européenne qui a vu un "non" sorti des urnes devenir un "oui" voulu par Nicolas Sarkozy, le système se décompose. Toute manœuvre permettant d’enfoncer le clou est bonne à prendre.
Parce qu’il l’a à peine croisé, parce que la psychologie d’Emmanuel Macron lui est forcément plus étrangère – "Je n’ai jamais percé le secret de son comportement, qui oscille entre sentiment de toute-puissance et séduction qui l’amène à dire ce que l’autre veut entendre" - Jean-Luc Mélenchon se situera seulement, mais complètement, sur le terrain politique. Le responsable de la situation d’aujourd’hui se trouve à l’Elysée ? C’est à la porte de l’Elysée qu’il tape. Emmanuel Macron s’est mis dans la seringue, l’important est de l’y maintenir.
Des discussions entre certains parlementaires LFI, comme Antoine Léaument et René Pilato, de la nouvelle situation que crée une majorité NFP au bureau de l’Assemblée nationale, surgit alors l’idée d’invoquer l’article 68. Puisque le référendum révocatoire n’existe que dans le programme de Jean-Luc Mélenchon et pas dans la Constitution, alors va pour la procédure de destitution. Bien sûr, elle n’ira pas à son terme, mais peu importe, l’important est d’installer la fin de règne. Le spectre de la démission. Ça et la dissolution… Mélenchon y croit dur comme fer depuis la dernière élection présidentielle et les législatives qui l’ont suivie, il y a deux ans déjà. Alors, il s’est toujours tenu prêt. Et quand on lui parle de 2027, il balaie d’un revers de main parce que c’est loin, parce qu’il aura 76 ans. C’est beaucoup. Presque trop. La dernière campagne l’a éreinté, même s’il adore ça. Il faut aller vite. Il aime les campagnes éclair. Sa machine insoumise n’a besoin que d’un mot d’ordre. Confidence de l’époque : "C’est un bonheur absolu quand l’idée devient une force matérielle et j’avance, gentiment."
Hollande connaît son Mélenchon sur le bout des doigts
Il ne trompe personne, et surtout pas François Hollande qui connaît son Mélenchon sur le bout des doigts. Lui aussi, un jour de juillet 2022, prophétisait au sujet de l’insoumis en chef qui jurait alors se mettre "en retrait" : "il ne va rien lâcher. Soit c’est la rue qui bloque, la contestation sociale, dans un contexte économique difficile, qui mène à une rencontre avec le suffrage universel, avec une dissolution, soit c’est une démission comme il en rêve."
Destitution, démission, et si, et si… Au PS aussi, on planche sur l’idée d’un départ anticipé d’Emmanuel Macron. Ils y croient, parce qu’ils l’espèrent, ainsi va l’adage socialiste. "Il ne faut pas écarter l’idée de son départ précipité. Comment il peut aussi tenir trois ans", pose Patrick Kanner, le patron des sénateurs à la rose, qui considère que le processus de destitution lancé par les insoumis n’ajoute que du chaos à la crise. Mardi 3 septembre au soir, lors du bureau national, sorte de petit théâtre de boulevard socialiste où l’on clame ses désaccords, il a été décidé que les socialistes ne participeraient pas à un gouvernement qui ne serait pas celui du Nouveau Front populaire. "Le temps présent, c’est l’Assemblée nationale, justifie un parlementaire PS. Si on entre au gouvernement, on ne peut pas préparer demain. C’est une autoroute pour Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen". Demain ? "On veut être prêt dans tous les schémas", renchérit-il. Quelques heures plus tôt ce même mardi, lors de la réunion de groupe, les députés socialistes se trituraient les méninges à comprendre le pourquoi du comment Emmanuel Macron envisageait de nommer Bernard Cazeneuve. Le risque planait de diviser le NFP, de "boucher le chemin de la gauche unie pour 2027", comme le dit un député.
Le clan Faure craignait qu’un Cazeneuve à Matignon, ce soit l’assurance de l’avoir comme candidat à l’élection présidentielle. Or, le premier secrétaire veut être candidat en 2027 et même avant. "Si Macron part demain, il n’y aura pas d’union de la gauche, pas de primaires… Il faudra donc un candidat du PS", lui a dit un de ses amis au moment de la dissolution. Des plans sur la comète que les amis d’Olivier Faure narrent parfois à François Hollande, convaincus que les jours du chef de l’Etat sont comptés et qu’il fera tout pour empêcher la vieille maison rose de se remettre d’aplomb. Et l’ancien président de leur répliquer : "Arrêtez de croire que Macron ne pense qu’à vous torturer, il ne cherche qu’à durer jusqu’en 2027."
Emmanuel Macron n’a nulle intention de démissionner, Jean-Luc Mélenchon comme Edouard Philippe en sont parfaitement conscients. Le premier guette même les nominations au conseil constitutionnel du premier trimestre 2025, redoutant un coup de Trafalgar alors que le président ne peut pas se présenter à un troisième mandat consécutif. Ce n’est pas un coup de blues qu’ils espèrent ou anticipent, mais un blocage institutionnel complet. Les deux hommes ne sont pas seuls dans cette communauté d’intérêts. Pour Marine Le Pen et Gabriel Attal aussi 2027, c’est loin. Le second ne veut pas se laisser dépasser par le Havrais, il veut aller vite, lorgne sur le parti Renaissance. Les partis, machines à campagne. Quant à Le Pen, elle ne sait pas vraiment ce qu’il adviendra de son jeune champion Jordan Bardella. On jure de sa fidélité mais sa popularité décolle, quitte à prendre le large ? Il y a toujours un avenir pour ceux qui pensent à l’avenir, disait François Mitterrand.