L’EPR parti pour une carrière de type Concorde ou de type Rafale ?
Qu’on le veuille ou non, la mise en service de l’EPR de Flamanville constitue le plus redoutable audit que l’appareil industriel français ait eu à subir depuis longtemps sur ses aptitudes tant technologiques qu’économiques et humaines. Car, comme partout ailleurs, le secteur énergétique y occupe la place la plus primordiale, au sens où la plupart des autres secteurs ne peuvent exister sans lui, où leurs rendements dépendent très largement du sien.
De quoi est-il question avec ce laborieux retour à la dynamique techno-industrielle exemplaire de jadis ?
Il est vivement recommandé au lecteur de prendre connaissance de la caractérisation du réacteur nucléaire de troisième génération le plus sophistiqué du monde, mais également de la description sommaire des modalités d’une mise en service et d’une mise en exploitation ne le distinguant guère des réacteurs de seconde génération et l’exposant plutôt moins que ces derniers à la critique.
Balisant avec robustesse le domaine du techniquement vrai, cette fiche-produit de l’EPR vise à couper l’herbe sous les pieds aux auteurs des habituelles divagations partisanes inondant l’espace médiatique depuis des années ; une précaution ô combien nécessaire en la circonstance, quand, pour la plupart des rédactions concernées, éreinter l’EPR est bien plus qu’une ligne éditoriale : c’est une profession de foi. L’occasion est donc trop belle pour elles – et le rendez-vous à ne manquer à aucun prix – de se faire des jours voire des semaines durant les gorges chaudes d’un fiasco sinon réputé consommé, porté en germe par l’exploitation à venir.
À lire aussi :
Flamanville 3 ou pas, l’ère des menaces de blackout est déjà programmée
Au début des années 1990, la décision de concevoir l’EPR fut-elle dictée par un besoin ?
La question appelle généralement un Non catégorique ne faisant plus guère débat.
Pour les spécialistes, il ne fait en tout cas aucun doute que la France s’est fourvoyée à développer cette machine de luxe, ce dont attestent ses cuisants échecs commerciaux, le tout dernier face au concurrent coréen n’ayant aucune chance d’être remis en cause par la voie du recours juridique.
Cependant, davantage qu’une erreur ou même qu’une faute, les conditions dans lesquelles fut décidée la construction de l’EPR et les servilités politiques, professionnelles et corporatives dont bénéficia sa mise à exécution constituent la forfaiture à laquelle notre industrie électronucléaire doit l’essentiel de ses malheurs.
Ainsi que nous l’avons déjà relaté, tout est parti du fait d’un prince républicain notoirement ignorant des choses de l’industrie, de la technique et même de l’économie.
En juillet 2020, la Cour des comptes relevait ceci de l’improvisation industrielle ne pouvant qu’en avoir résulté :
« Les électriciens allemands et français travaillèrent ensemble dès 1992, sans partager pour autant les mêmes objectifs. L’ingénierie allemande entendait faire évoluer le réacteur Konvoï équipant le parc outre-Rhin, tandis qu’EDF souhaitait une évolution du palier N4, le dernier modèle de réacteurs alors en construction. Après la décision allemande de se retirer du nucléaire, en 1998, la France s’est retrouvée seule à porter ce projet, dont l’acronyme prend le sens de Evolutionary Pressurized Reactor (EPR). Cependant, les grandes options de conception définies conjointement entre les ingénieries des deux pays, bien que sources de complexité, ne furent pas remises en cause… »
Censé sceller l’indéfectible amitié entre les deux peuples après la chute du mur de Berlin, le projet EPR fut pensé et décidé sans partage par Helmut Kohl et un François Mitterrand sous influence de l’éminence grise Anne Lauvergeon lui ayant soufflé l’idée de ce nouveau réacteur franco-allemand à la pointe de la technologie. À la manœuvre était alors la célèbre sherpa du chef de l’État, créatrice, PDG d’Areva, responsable de la désastreuse guerre ouverte entre cet avatar de Framatome et EDF, et surtout du calamiteux chantier d’Olkiluoto 3.
Dès lors, était amorcée la descente aux enfers d’une filière nucléaire française emportée dans la fuite en avant, en aveugle et au gré des prises du pouvoir par les émules du visionnaire président, dont nous ne finissons pas de connaître l’épilogue. Rien ne peut mieux illustrer combien l’organisation de l’impunité des grands commis de l’État est chez nous une institution bien rodée que l’actuel statut de la dame.
Pourtant, au début des années 1990, notre pays était engagé dans la dynamique de valorisation à l’export de trente années d’expérience industrielle purement française que l’oukaze présidentielle brisa net. Baptisée REP 2000, cette dynamique visait à commercialiser un réacteur N4 + dont les conceptions technologique et techno-économique étaient des plus abouties. Au lieu de cela, nous nous fourvoyâmes plus de trente années durant dans le marigot EPR, tandis que, ne s’y trompant jamais, les Chinois développaient un réacteur Hualong-One largement inspiré de notre N4, aujourd’hui le plus redoutable concurrent de tous les réacteurs trouvés sur le marché.
À lire aussi :
Quel avenir prospère sommes-nous maintenant tenus de donner à la filière EPR ?
Certes, nous n’aurions jamais dû sacrifier notre N4+ à l’EPR, mais le superbe instrument existe désormais et, battant des records de production en Chine, son exploitation fait également merveille en Finlande.
L’honneur et le devoir des techniciens et des ingénieurs français est donc de lui faire durablement donner la pleine mesure de capacités et d’aptitudes sans équivalent. Pour ce faire, ne reste qu’à en rationaliser le concept et à rentabiliser le palier de construction en découlant et déjà programmé dans notre pays, ce qui semble en bonne voie avec le développement réputé abouti de l’EPR2.
L’accès (très) tardif et (très) onéreux à la maturité de l’engin ne pèsera rien dans l’histoire, devant une probable durée d’exploitation de l’ordre de 80 ans, comme ne pèse déjà plus rien le mélodrame de l’hélice du porte-avions Charles de Gaulle ayant fait les choux gras de la presse dans les années 2000. Toutefois, non seulement la techno-industrie française n’a maintenant plus le droit de se louper, mais revenir au premier plan requiert l’assistance d’une détermination politique sans faille. Or, de ce côté-là, le moins qu’on puisse dire est que les augures ne sont guère rassurants.