Génocide au Rwanda: un lieutenant-colonel hutu risque un procès en France pour des livraisons d'armes
Cyprien Kayumba "a déployé d'importants moyens (...) pour remplir scrupuleusement la mission qui lui avait été confiée par le ministre de la Défense et pour assurer la livraison d'armes qui allaient servir à la commission du génocide", affirme le Parquet national antiterroriste (Pnat) dans son réquisitoire définitif, daté du 9 août et dont l'AFP a eu connaissance mercredi.
La juge d'instruction spécialisée du pôle crimes contre l'humanité du tribunal judiciaire de Paris chargée du dossier doit désormais décider de le renvoyer ou non en procès.
"Notre client est soulagé par la clôture prochaine de cette instruction. Il entend aujourd'hui pleinement démontrer qu'il est parfaitement étranger aux faits qui lui sont reprochés", ont réagi auprès de l'AFP ses avocats, Mes Jean-Yves Dupeux et Pierre-Eugène Burghardt.
Perpétré entre avril et juillet 1994, le génocide au Rwanda, instigué par le gouvernement hutu, a fait au moins 800.000 morts selon l'ONU, essentiellement au sein de la minorité tutsi mais aussi parmi les Hutu modérés.
450.000 dollars suspects
Cyprien Kayumba, d'origine hutu et né en 1955, avait fait toute sa carrière dans l'armée et était, au moment du génocide, directeur des services financiers au sein du ministère de la Défense.
Au soir de l'attentat contre l'avion du président hutu Juvénal Habyarimana, considéré comme l'élément déclencheur du génocide, le 6 avril 1994, il a participé à la réunion de crise de l'état-major, où était présent notamment le colonel Théoneste Bagosora, considéré comme le "cerveau du génocide".
Environ quinze jours après, il est envoyé à l'étranger, notamment en France, pour tenter de faire exécuter des contrats d'armements déjà signés mais suspendus. Sans succès.
Néanmoins, selon le Pnat, il aurait fait verser 450.000 dollars à une obscure société britannique, Mil-Tec Corporation ltd.
Le Pnat rappelle qu'il est "non contesté" que cette société a réalisé au moins six livraisons d'armes au Rwanda pendant le génocide, dont deux après l'embargo des Nations unies sur les ventes d'armes imposé le 17 mai 1994. Munitions, grenades, mortiers, fusils, roquettes, en provenance d'Albanie ou d'Israël, ayant transité par Goma ou Kinshasa.
Installé en France depuis 1998, Cyprien Kayumba a été mis en examen en 2018 et placé sous contrôle judiciaire.
Au cours de l'enquête, il a affirmé qu'il exécutait les ordres du ministre de la Défense, Augustin Bizimana, décédé en 2000, qu'il n'était pas responsable de la distribution des armes et qu'il ignorait qu'elles pouvaient finir dans les mains des miliciens Interahamwe qui perpétraient un génocide.
Pas un "fanatique"
N'étant décrit dans le réquisitoire définitif ni comme un "extrémiste" ni comme un "fanatique animé par une haine des Tutsi", il a "toujours contesté avoir adhéré à l'idéologie génocidaire", et raconté avoir sauvé des Tutsi.
Au cours de l'instruction, ouverte en 2002 après une plainte avec constitution de partie civile de plusieurs associations, la juge et les enquêteurs de l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité et les crimes de haine (OCLCH) ont tenté de remonter la trace de la société Mil-Tec.
Grâce notamment à des documents découverts dans un bus abandonné par des miliciens au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo), la presse britannique avait révélé dès 1996 que Mil-Tec avait livré au gouvernement rwandais des armes à feu pour une valeur de plus de 3,3 millions de livres.
La juge a entendu d'anciens membres de l'entreprise. L'un d'entre eux, qui dit avoir été "le manager", a assuré avoir été en contact avec M. Kayumba à l'époque.
"J'ai été présenté à une société en Israël, on a acheté les munitions et ça a été envoyé au Rwanda", a-t-il expliqué aux enquêteurs en 2021, depuis le Kenya où il vivrait.
Il a par ailleurs nié avoir livré des armes au cours du génocide, alors que des paiements ont eu lieu à cette période.
Ni l'île de Man, ni les autorités de Guernesey, compétentes pour l’île de Sark où était enregistrée une société écran, n'ont répondu aux demandes d'entraides de la justice française.