Pourquoi la création d'étangs dans les zones humides fait débat en Creuse ?
Pour lui, c’est une « belle avancée ». Christian Arvis, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de la Creuse, salue la volonté du Gouvernement de faciliter la création de petits plans d’eau dans des zones humides, via la publication d’un arrêté au Journal officiel, le 16 juillet dernier. « C’est une demande que nous portions de longue date et que nous avions remise sur la table lors des dernières manifestations de l’hiver dernier », réagit le syndicaliste.
Des plans d’eau de moins d’un hectareUn précédent arrêté du 9 juin 2021 ne permettait l’implantation de plans d’eau dans le périmètre d’une zone humide que si l’opération contribuait à la restauration du milieu. Ou si celle-ci répondait à un « intérêt général majeur » en matière de « santé humaine, de « maintien de la sécurité pour les personnes ou de développement durable ». Le tout en respectant des mesures de « réduction et de compensation » de l’impact du projet sur l’environnement.
Avec le nouvel arrêté, les plans d’eau de moins d’un hectare ne sont plus concernés par ces restrictions. Désormais, seule une déclaration auprès des services de l’État est nécessaire pour aménager de tels ouvrages.Pour Christian Arvis, les créations de petites retenues sont « les bienvenues », dans un territoire spécialisé dans l’élevage comme la Creuse, et dans un contexte marqué par la multiplication et l’intensification des sécheresses.
« Les exploitations sont souvent morcelées sur plusieurs communes et nous avons besoin d’eau tous les jours pour l’abreuvement des animaux. Or, aujourd’hui, beaucoup d’agriculteurs doivent prendre de l’eau sur le réseau d’eau potable, ce qui coûte cher à tout le monde. »
Pascal Lerousseau, président de la Chambre d’agriculture de la Creuse, est sur une même longueur d’onde : « Tout ce qui peut permettre la création de retenues va dans le bon sens. Le changement climatique est là. Il faut trouver des solutions. Il peut parfois tomber 50 à 70 mm d’eau en 24 heures par endroits. Il faut pouvoir la stocker pour pouvoir l’utiliser quand on a besoin. »
Qu'est-ce qu'une zone humide ? Pour le Code de l’environnement, les zones humides sont des « terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau […] de façon permanente ou temporaire ». La végétation « quand elle existe », précise l’article L.211-1 du code, est « dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année ». Soit des végétaux appréciant des sols riches en eau. En Creuse et en Limousin, ces zones peuvent aussi bien désigner les prairies et landes humides, les jonçaies (prairies dominées par des espèces de joncs), que les tourbières ou les bas-marais.Les landes et tourbières de La Mazure, dans le secteur de Royère-de-Vassivière. Photo : Julie Ho Hoa.
Des zones humides qui stockent naturellement l'eauUn avis loin d’être partagé par la fédération d’associations de défense de l’environnement, France nature environnement Creuse (FNE 23). Comme l’exprime sa présidente, Marie-Christine Girault :
« Cet arrêté constitue une régression en matière de droit de l’environnement, justifiée par des intérêts économiques, notamment ceux des agriculteurs. »
La représentante de FNE 23 qualifie la décision d’« incohérente », alors qu’a été engagé un processus « d’effacement des étangs pour justement recréer des zones humides ». Zones qui, en plus d’être « des lieux de biodiversité », « retiennent l’eau », explique-t-elle. Ce qui, argumente, Marie-Christine Girault, les rend singulièrement précieuses en Creuse, « où il n’y a pas de nappe phréatique ». Or, « transformer ces zones humides en étangs favorise l’évaporation qui peut concerner jusqu’à 40 % de la ressource », poursuit la militante associative.
Alimenter ruisseaux et rivières en eau de qualitéFNE 23 est ici rejoint par Flavien Lutrat, vice-président de la fédération de pêche de la Creuse. Celui-ci juge « aberrant » tout assouplissement de la réglementation en matière d’aménagement de plan d’eau dans les zones humides. « Les zones humides agissent comme des filtres naturels. Elles permettent aux cours d’eau de disposer d’eau fraîche de qualité, dit-il. Ce qui est essentiel pour certaines espèces comme la truite fario, dont la température de confort est de 15 °C. »
Ces réserves, en continuant à alimenter ruisseaux et rivières en période de sécheresse, « peuvent servir à l’abreuvement des animaux », ajoute le pêcheur. Et ce, alors que « les débits d’étiage ont diminué de 60 % ces quarante dernières années dans les bassins versants de la Tardes, du Cher ou de la Petite Creuse. »
Un argument battu en brèche par Pascal Lerousseau, le président de la chambre d’agriculture :
« Les étangs peuvent aussi rendre service aux ruisseaux en relâchant de l’eau en période d’étiage. »
Flavien Lutrat émet des réserves à ce propos, indiquant que les étangs peuvent engendrer la prolifération de « cyanobactéries ». Ce qui pourrait « nuire à l’abreuvement du bétail » et à la biodiversité. Le pêcheur est cependant convaincu que « le système d’élevage extensif en place dans notre département est le moins impactant pour les cours d’eau ».
Optimiste, il veut croire qu’un « consensus sera trouvé » entre acteurs de l’environnement et agriculteurs sur ces sujets clivants. Ce qui, aujourd’hui, ne semble pas couler de source.
Faut-il encourager la création d’une réserve d’eau de près d’un hectare dans une zone humide ? « Non », répond la Confédération paysanne en Creuse, par la voix de son porte-parole départemental, Éric Robin-Lamotte. « Ne risquons pas de détruire les zones humides, qui présentent l’intérêt de stocker de l’eau durant les périodes sèches », poursuit-il. Tout en soulignant que la Confédération paysanne n’est par ailleurs pas opposé à l’aménagement « de petites réserves d’eau de ruissellement, notamment pour les petites cultures vivrières ». Mais, « dans la hiérarchie des priorités, faisons déjà en sorte que nos étangs existants soient utilisables », poursuit le représentant syndical. Celui-ci ajoute : « Ces sujets doivent être discutés par l’ensemble des parties prenantes, et le monde agricole ne doit pas être le seul décisionnaire. Vaches limousines dans une prairie humide dans le nord-ouest de la Creuse - Illustration François Delotte
De son côté, le président de la chambre d’agriculture, Pascal Lerousseau, confirme qu’un « état des lieux » des plans d’eau creusois a bien été lancé en début d’année.« Maintenir » les ouvrages en placeMais que ce travail qui se déroule « au fil de l’eau » ne doit faire l’objet d’un bilan particulier, dit-il. En précisant que la démarche vise à identifier les ouvrages pour mieux les « maintenir en place ».Et éventuellement « en créer de nouveaux ». « Avant, on faisait peur aux propriétaires d’étang, on incitait à détruire ces réserves. Mais aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, il nous faut trouver des solutions » pour stocker de l’eau, poursuit Pascal Lerousseau.
La chambre d’agriculture de la Creuse a entrepris de recenser les plans d’eau du département - Illustration : Floris Bressy Des réserves « multifonctionnelles »Un positionnement partagé par Christian Arvis, président de la FDSEA de la Creuse, qui se veut aussi rassurant : « Il ne s’agit pas de faire des bassines de dix hectares. Nous sommes dans un département bocager et forestier. Ces plans d’eau pourraient être multifonctionnels, en servant à l’abreuvement des animaux et, par exemple, de réserves pour les pompiers. »
François Delotte