Pourquoi avec la crise des otages retrouvés morts à Gaza, Benjamin Netanyahu est "politiquement" un "mort-vivant" en Israël
Alors que 64 otages seraient encore en vie et aux mains du Hamas, l’intransigeance de Benjamin Netanyahu dans les négociations pour parvenir à un accord de cessez-le-feu est de plus en plus critiquée. Un jusqu’au-boutisme qui s’explique, selon David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques (L’Harmattan), par une stratégie toute personnelle pour se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible.
Avec la découverte samedi des six corps d’otages exécutés à Gaza, la pression s’accentue sur Benjamin Netanyahu pour qu’il accepte un cessez-le-feu. Peut-il y rester sourd ?
Ce n’est pas le genre à lâcher prise mais là, cela commence à devenir difficile sur le plan intérieur comme extérieur. Avant, les critiques étaient parfois implicites mais elles sont désormais explicites. On a vu les réactions de colère dans la rue israélienne. Et ce n’est pas seulement le désespoir du forum des familles d’otages. Le mouvement est beaucoup plus large. La centrale syndicale Histadrout a appelé à une grève générale qui a été retoquée par la justice. Reste que la société civile n’en peut plus car elle a le sentiment que les otages sont sacrifiés. C’est insupportable, a fortiori dans la culture juive.
Le Premier ministre cristallise cette colère…
Oui et d’autant plus que beaucoup considèrent sa position intransigeante comme relevant de considérations politiciennes et d’une stratégie personnelle. Ce qui n’est pas totalement infondé. Ce sentiment d’une grande partie de la société israélienne est renforcé par la pression extérieure. À commencer par celle de Joe Biden. Interrogé pour savoir si Netanyahu en faisait assez pour parvenir à un cessez-le-feu, le président américain a répondu laconiquement : “non”. C’est un jugement sans appel.
Netanyahu est contesté jusque dans son gouvernement…
Jeudi soir, lors de la réunion élargie du cabinet de sécurité, Yoav Gallant, son ministre de la Défense, qu’il supporte difficilement, mais dont il ne peut pas se passer, est le seul à avoir voté contre le maintien des exigences maximalistes dans les négociations d’un cessez-le-feu. Il s’est notamment opposé à ce que Tsahal continue de contrôler les corridors de Philadelphie, qui marque la frontière entre la bande de Gaza et l’Égypte, et de Netzarim qui coupe l’enclave palestinienne en deux. Il a même dit en substance : “Maintenir cette exigence, reviendrait à condamner à mort les otages”. Après la découverte des six corps, Gallant, qui est une figure du Likoud historique, mais pas un idéologue, a redemandé une réunion du cabinet pour revenir sur ces exigences afin de sauver les autres otages. Son obsession au même titre que la sécurité d’Israël.
Pourtant, rien n’y fait…
Netanyahu reste inflexible, car il est également sous la pression des deux ministres d’extrême droite, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, qui ne veulent pas lâcher là-dessus. Alors même que l’état-major de Tsahal et les services de sécurité lui demander d’assouplir ses exigences pour pouvoir finaliser un accord.
En quoi la découverte des six corps samedi change la donne ?
Trois de ces otages, les deux femmes plus l’Israélo-américain, devaient faire partie de la première liste de ceux qui auraient été libérés en cas d’accord de cessez-le-feu. C’est donc particulièrement insupportable pour les familles de savoir ça. Netanyahu est même accusé par une mère d’avoir un comportement “criminel”. Cet épisode va laisser beaucoup de traces pour la suite. Politiquement, c’est sans doute un mort-vivant. Il demeure tenu par ses ministres d’extrême droite, accusés d’être prêts à sacrifier les otages. Pour eux, la priorité absolue est l’éradication du Hamas.
Qu’est-ce qui peut se passer maintenant avec la mobilisation grandissante de la société civile ?
La société israélienne est une véritable cocotte-minute. Et le Hamas joue évidemment là-dessus. Abou Obeida, le porte-parole masqué des brigades Ezzedine al-Qassem, la branche militaire de l’organisation, a indiqué que les instructions données aux gardes d’otages avaient changé. Et que si Netanyahu maintenait son intransigeance sur les deux corridors, ce qu’il vient de se passer se multiplierait. Et que les otages “reviendraient dans des cercueils”. Bref, Netanyahu se retrouve sous pression de toutes parts, du Hamas, de certains de ses propres ministres, de l’establishment militaire et des services de sécurité et de renseignements ainsi que de son principal soutien américain.
Beaucoup auraient déjà jeté l’éponge…
Sauf que s’il devait démissionner, Netanyahu aurait rapidement des comptes à rendre et risquerait la prison pour de multiples accusations. Il serait en outre mort politiquement. C’est la raison pour laquelle il essaie de tenir le plus longtemps possible en s’appuyant sur une attente profonde de la société israélienne, qui est de voir la destruction du Hamas pour éviter un nouveau 7 octobre. Mais il y a aussi la question des otages, qui demeure centrale dans la culture juive.
Comment concilier les deux ?
Le Hamas ne peut pas être détruit en tant qu’idéologie. Car on peut détruire une structure politico-militaire, ce que fait Tsahal, mais pas une idéologie. Pour réduire le Hamas, il faut proposer une alternative politique, pour l’instant, inexistante. Or, Netanyahu ne fait rien pour qu’il y en ait une. Il existe même une convergence objective entre le Hamas et lui dans leur jusqu’au-boutisme. L’un a besoin de l’autre pour se maintenir et continuer à exister. C’est même le grand paradoxe de la situation.
Que peut-il se passer dans les prochains jours ?
Il y a un risque de violence potentiel. Cela commence à être de plus en plus tendu sur les manifestations avec les forces de l’ordre. L’autre problème, c’est que cette situation fragilise la société israélienne, ce dont ne se privent pas de profiter les ennemis de l’État hébreu. Avant le 7 octobre, lors de l’affaire de la réforme judiciaire très controversée, Ronen Bar, le patron du Shin Beth, avait indiqué à Netanyahu en juillet 2023 l’imminence d’une attaque contre Israël en profitant des divisions de la société israélienne.
Propos recueillis par Dominique Diogon