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La famille Le Mogne parvient à produire du vinaigre balsamique dans l'Allier à partir de pommiers centenaires

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Les confidences de l’actrice Jennifer Aniston, de la styliste Victoria Beckham ou de l’influenceuse Kourtney Kardashian se recoupent inlassablement dans la presse féminine : elles coupent leurs verres d’eau avec deux cuillérées de vinaigre de cidre et c’est manifestement le « secret minceur » des stars le moins bien gardé. Le vinaigre de cidre est vanté dans ces mêmes magazines comme la « boisson détox » du moment. Au Moyen-Âge, les bienfaits du vinaigre, qui se buvait alors à grandes goulées, s’étalaient à longueur de grimoires.

On ne va pas vous raconter de salades : les stars anglo-saxonnes précitées ne connaissent pas Montvicq (Allier), petite commune du bocage bourbonnais. Ceci dit, Jennifer, Victoria ou Kourtney s’enticheraient à coup sûr de la vinaigrerie artisanale de la famille Le Mogne, plantée au milieu d’un verger centenaire. On y déguste d’ailleurs le vinaigre de cidre, millésimé, à la cuillère.

Un verger créé par son grand-père

Claire Le Mogne est la grande prêtresse d’insolentes et joyeuses fermentations acétiques. Au fond d’un pré, dans le « fruitier », c’est-à-dire une cave dédiée à la conservation des fruits, le vinaigre de cidre bio s’élève en fût de chêne et révèle toutes ses subtilités saison après saison.

Un peu plus loin, dans des jarres contenant un vinaigre d’au moins deux ans d’âge, Claire Le Mogne fait macérer de la framboise, de la vanille, du sureau, du safran ou même de la gentiane. Ce qui est saisissant à la dégustation, c’est le parfait compagnonnage de ces arômes (naturels) ajoutés avec le vinaigre de cidre. Chacun apporte sans soustraire. Entre autres audaces, la maison propose un vinaigre au chocolat.

Toutes les fioles de Montvicq sont bio et contiennent des élixirs si bien élevés qu’ils peuvent conduire à de vertigineux dilemmes en cuisine. Ne serait-ce pas gâcher que d’en verser quelques gouttes sur des tomates insipides poussées sous du plastique aux Pays Bas ?

Ainsi valorisées, les pommes du Bourbonnais n’ont pas à rougir face au berceau du cidre. « Pour les Normands, le vinaigre reste un sous-produit, alors que nous, on s’applique ! », s’amuse la maîtresse de chai.

Claire Le Mogne dans son verger. Reinette du Canada, reinette de Montluçon, reinette de Caux sans oublier la reine des reinettes : le verger de la Carrière n’est planté, sur trois hectares, que de variétés anciennes. Les pommes passionnaient déjà la petite fille qu’elle fut. Reinette du Canada, reinette de Montluçon, reinette de Caux sans oublier la reine des reinettes : le verger de la Carrière n’est planté, sur trois hectares, que de variétés anciennes. « C’est mon grand-père qui l’a créé et j’ai beaucoup appris à ses côtés », retrace Claire Le Mogne.

Dans l’Entre-Deux-Guerres, Marc Nigond, instituteur à Hérisson, à une quarantaine de kilomètres de Montvicq, avait donné une vocation « vivrière » au petit domaine familial. La période de l’Occupation a conforté son intuition. L’instituteur a bâti plusieurs maisons sur ce terrain, une ancienne carrière de grès, exploitée par ses aïeux et son père jusqu’à la fin du XIXe siècle. Le site est atypique et semble avoir favorisé une forme d’inclinaison à l’anticonformisme chez ses occupants.

Ces descendants de carriers n’aiment pas les carrières toutes tracées. « Mon père, Jacques, qui était agronome, a aussi apporté sa contribution, précise l’agricultrice. Il m’a transmis beaucoup de connaissances sur le sol et la conduite du verger ». Claire Le Mogne s’est installée productrice de vinaigre de cidre il y a une douzaine d’années après avoir exercé des fonctions dans la recherche scientifique et dans l’expertise comptable. Marc Nigond commercialisait ses pommes localement, sa petite-fille s’est lancée dans le vinaigre artisanal « sans subventions et sans emprunts » , entraînant son fils Olivier dans l’aventure. Thierry, son mari, a rejoint la « carrière » à l’heure de la retraite. La transmission aura lieu en 2025. « Olivier a la fibre commerciale » se félicite sa mère, qui cultive elle-même une certaine discrétion.

La vinaigrerie de la Carrière a été repérée par quelques institutions de la gastronomie comme l’Académie culinaire de France, les Toques d’Auvergne ou encore le groupement Pari fermier, mais ses fioles, uniques à l’échelle de l’Auvergne, ne sont connues que de quelques initiés qui savent trouver à travers le bocage le chemin qui y mène. Faire du bon vinaigre « s’apparente beaucoup à faire du bon vin », compare Claire Le Mogne.

Du balsamique, comme à Modène

À Montvicq, on suit scrupuleusement « la méthode orléanaise décrite et codifiée par Louis Pasteur, qui repose sur la double fermentation d’un fruit. La fermentation alcoolique est suivie de la fermentation acétique par apport d’oxygène. Tous ces processus sont naturels, sans intrants. La pomme se prête particulièrement au vinaigre, car elle recèle toutes les bonnes bactéries », décrit l’agricultrice.

La maîtrise parfaite des fermentations permet à la famille Le Mogne de transformer des coings ou des tomates en condiment ! Dans les fûts de chêne vieillit aussi un vinaigre de vin confectionné à partir d’un « excellent beaujolais bio tout juste piqué ». Le tour de force de la vinaigrerie de Montvicq reste d’avoir « transposé la méthode de Modène au profit de la pomme ». Le succès du vinaigre transalpin repose sur une lente transformation du raisin qui ne passe pas par l’étape de la fermentation alcoolique. « Le vrai vinaigre balsamique a douze ans ou vingt-quatre ans d’âge et il n’a rien à voir avec celui qui est commercialisé par les industriels », précise Claire Le Mogne.

Deux vinaigres balsamiques de pomme sont élaborés à Montvicq. Les premières bouteilles ont été commercialisées au bout de cinq ans d’élevage. Aromatisés avec des cerises ou des oranges amères, ces condiments d’exception marquent une volonté de monter encore en gamme.

Les maîtres vinaigriers de Montvicq exercent aussi leur impeccable savoir-faire au profit d’une simple fermentation alcoolique et font distiller une partie de leur récolte. Au rayon spiritueux aussi, les pommiers du Bourbonnais challengent ceux de Normandie. 

Vinaigres de la Carrière. À Montvicq (près de Commentry, entre Montluçon et Montmarault). Visites sur rendez-vous. www.vinaigresdelacarière.fr/Tel : 06.82.77.17.06. Ces produits seront présents au salon Origine Auvergne du 22 au 24 novembre à la Grande Halle d’Auvergne de Cournon. On peut retrouver un portrait de Claire Le Mogne dans le livre Les Immortelles, paroles paysannes de Léa Rossignol et Pierrick Laurent (Préface de Marie-Hélèle Lafon), paru cet été. www.les-immortelles.fr

Julien Rapegno