Catherine Ribeiro: pleurons cette passionaria rouge
Celle qui est passée de la musique pop au « prog rock », et ensuite à la chanson engagée, est partie le 23 août. L’anarchiste de gauche qui, après un période yéyé et après avoir voulu « détruire complètement la chanson classique, avec refrain et couplets réguliers » en chantant avec des cris et des onomatopées, restera aussi dans les mémoires comme une des grandes interprètes du répertoire français. L’hommage de Patrick Eudeline.
Les Carabiniers ? Qui se souvient de ce Godard somme toute mineur ? 1964. Notre homme tourne. Beaucoup, peut-être trop. Entre indispensable et anecdotique. Les Carabiniers vaut pour son « engagement », son air du temps. C’est le premier film ouvertement politique du Jean-Luc. Et pour le visage de Catherine Ribeiro. Comme Chantal Goya, comme Anna Karina, on la remarque. Godard a le chic pour les actrices brunes, pour les dénicher de nulle part.
Patrice Moullet (sous pseudo) joue aussi dans le film : il est un des deux héros. Il a cinq ans de moins que la dame ; elle est Portugaise, née à Lyon en 1941 dans un milieu ouvrier. Lui est un Parisien, presque un branché du Drugstore. Avec Catherine, c’est le début d’une histoire qui durera quinze ans. Il sera le partenaire absolu, l’unique. Lui et Jean Van Parys la poussent à chanter. C’est l’évidence. Beauté du Diable, voix différente et indiscutable, héritée d’une mère qui aimait le fado… Comme Marie Laforêt ou Valérie Lagrange, comme Zouzou, elle sera chanteuse/actrice.
Elle signe chez Barclay. Une flopée de singles suit. Succès d’estime, comme on dit pudiquement, mais pas de hits. Les compositions originales (« Dieu me pardonne », « Rien n’y fait, rien n’y fera ») voisinent les reprises de classiques folk ou de Dylan en version française. C’est charmant, pop, éphémère et éternel. Elle pose pour Jean-Marie Périer… C’est la fameuse photo Salut les Copains. 1966. Un aréopage, un Olympe yéyé en centerfold. De Monty à Gainsbourg, de Johnny à Ronnie.
Mais les beatniks sont là, comme les premiers Maos. Tout va très vite, gronde et rue dans les brancards. Catherine fréquente la scène d’avant-garde. Kalfon, Clementi et les autres. Elle se rebelle. Pouvait-il en être autrement ? Non, elle ne sera pas une cover-girl, une autre poupée de cire et de son. Elle ne fera pas « le jeu du showbiz ».
Avec Moullet, elle fonde Alpes, un groupe de « rock progressif »… Un album suit, chez Festival. Comme Magma, le Manset de « La mort d’Orion » ou même le Vangelis de « 666 » – tous sortis la même année, 1970 – Catherine refuse le verbe et les mots, le sens. Elle rêve d’onomatopées, d’expression libre, d’indicible, d’un art free et abstrait. Et c’est ce qu’elle nous donne. Elle hurle, murmure ou susurre comme, justement, Irene Papas avec Vangelis.
Derrière elle, ou plutôt à ses côtés, Patrice Moullet s’illustre sur des instruments de l’espace qu’il fabrique lui-même. Des gaffophones ! Des percuphones ! Des cosmophones !
Mais tel qu’il est, à côté des suscités, ou des oubliés Catharsis ou Moving Gélatine Plates, l’album devient un des incontournables de l’époque. Et Alpes emmène son « prog rock » dans tous les festivals.
Bientôt, les seventies chassent ce clou. Gauchisme comme hippies ou « pop music » laissent place au rock décadent, aux seventies, au rétro. Nous sommes en 73. On en revient aux chansons, à l’attitude, on en revient au rock and roll. À tout ce que Alpes n’est pas.
Le groupe stagne. Catherine, alors, poussée par sa maison de disques, enregistre un album de reprises de Piaf. Une réussite artistique et critique, mais un échec commercial. « Le blues de Piaf »… Oh le beau concept, la belle évidence ! Quelques années plus tard, l’Américain Willie de Ville allait le clamer haut et fort. Piaf ! C’est le blues…. Le blues de Paris.
Peu après, elle tourne dans Né de Jacques Richard, avec Lonsdale et Luchini.
Comme d’autres – tant -, elle sera de gauche. Férocement. Du gauchisme swag en pull shetland façon La Chinoise, elle passera au communisme le plus austère, le plus… renfrogné ? Elle est très tôt engagée avec l’Organisation communiste internationaliste (OCI). La petite fille des sixties devient une passionaria rouge. Palestine, usines en lutte, Vietnam, Pinochet, elle est de toutes les causes. Sa beauté, cette voix, énorme, lyrique et immense : elle avait tout. Elle refuse le star système, la moindre compromission. Énervée, même, quand Mitterrand vient la voir en concert.
Sa discographie, néanmoins, est riche et elle aura parcouru toutes les scènes françaises, inlassablement. Bobino, Francofolies, Printemps de Bourges. Elle devient une des plus grandes interprètes du répertoire, de Brel à Barbara. Reconnue, bientôt culte.
Sa fin de vie sera difficile, avec une fille tox et nombre de morts autour d’elle.
Elle est partie peu de temps après Delon. Deux France qui s’en vont, que tout, quasi, opposait. Il est permis de pleurer les deux.
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