Budget 2025 : la mission impossible d'Emmanuel Macron
Le budget, côté pile. Dans les semaines qui précèdent la dissolution, Emmanuel Macron soulève la question auprès de quelques interlocuteurs. A l’automne, quand il s’agira de se serrer la ceinture, tous les partis, à l’Assemblée nationale notamment, tomberont à bras raccourcis sur le gouvernement, non ? La censure deviendrait inévitable. Est-ce parce qu’il cherche des arguments qui justifieront sa décision de renvoyer les députés devant les électeurs que le président agite la question ? Sera-ce bientôt un moyen de post-rationaliser une décision qui aura laissé tout le monde pantois ? Ou est-il vraiment persuadé de foncer dans le mur ?
Quand il en parle avec Bruno Le Maire, voici que le grand argentier lui fait entendre un autre son de cloche. La censure ? Lui n’y croit pas. Il raconte au chef de l’Etat qu’il a topé avec Eric Ciotti : le président de LR avait une vraie ligne rouge, la désindexation des retraites. Le gouvernement l’a retirée, il en a d’ailleurs payé le prix. Cela en valait bien la peine quand on connaît la suite…
Impossible de faire un coup pour épater la galerie
Le budget, côté face. C’est un interlocuteur régulier d’Emmanuel Macron qui le constate : "Il est comme les autres présidents de la République, au fond il s’en fout." C’est curieux, chez nos chefs de l’Etat, ce besoin de se voiler la face. De faire comme si. Le droit est la plus puissante des écoles d’imagination disait Giraudoux, et l’Elysée, hier comme aujourd’hui, sait l’adapter aux besoins du jour. Le problème du budget, c’est qu’il s’impose dans sa réalité aux responsables politiques. Impossible de faire un coup pour épater la galerie. Fini de jouer. Il est plus facile de ne pas avoir de Premier ministre que de ne pas avoir de budget…
En la matière, d’ailleurs, la fonction fait souvent l’homme. Prenez Aurélien Rousseau. Quand il dirigeait le cabinet d’Elisabeth Borne à Matignon, il savonna la planche de Stanislas Guerini, ministre de la Fonction publique, qui voulait obtenir une hausse du point d’indice des fonctionnaires. Il afficha un tel zèle qu’une fois nommé ministre de la Santé, il s’en excusa auprès de Guerini. Aujourd’hui, Rousseau est député du NFP, dont le programme est d’augmenter le salaire de base de 10 %. A contrario, la vérité est plus lente à émerger. Lucie Castets croit qu’elle se rapproche du pouvoir. Le 19 août, sur BFMTV, elle s’indigne à deux reprises : "Il va manquer 15 000 médecins à la rentrée." Le journaliste la corrige : "Pas 15 000, mais 1 500." Elle n’est pas à un zéro près : "Au temps pour moi !" La formule dit tout, bienvenue au jeu des chiffres et des lettres. Le programme du NFP serait coûteux pour les finances publiques, avec notamment l’abrogation de la réforme des retraites et "la restauration des services publics". L’augmentation des recettes viendrait d’une hausse des impôts – "ISF renforcé" et réforme du barème de l’impôt sur le revenu.
Emmanuel Macron appuie sur le bouton
Le 27 mai 2024, Amélie Oudéa-Castéra est dans le bureau de Thomas Cazenave. La ministre des Sports ouvre le bal des consultations menées par son collègue des Comptes publics pour préparer le projet de loi de finances (PLF) 2025. Sauf que c’est pour rire. Ou pour rien. Moins de deux semaines plus tard, alors que tous les ministres n’ont pas encore entamé leurs discussions traditionnelles, Emmanuel Macron appuie sur le bouton. Cette dissolution percute la construction du budget comme aucune autre avant elle.
Mois d’août, mois de doutes. A l’Elysée, le président procrastine, spécialité maison. A Matignon, le Premier ministre est un fantôme. A Bercy, les morts-vivants portent des costards. On prépare le PLF ou plutôt on fait semblant. Et au Parlement, il n’est de question plus clivante que celle-là, avec par exemple les choix fiscaux. L’ébauche d’une coalition se fait rarement sans quelques coûts supplémentaires. Quand il s’agit de finances publiques, l’Assemblée nationale n’est d’ailleurs pas forcément le lieu de la sagesse. En 1958, c’est pour éviter les carences des parlementaires, généralement plus prompts à dépenser qu’à économiser, que fut pensé l’article 47 de la Constitution, redevenu aujourd’hui d’actualité : "Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d’un exercice n’a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le gouvernement demande d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés."
Le budget n’attend pas
Car Emmanuel Macron peut jouer avec le temps, le budget n’attend pas. Et le pouvoir du président s’est étiolé. "L’urgence du pays n’est pas de détruire ce qu’on vient de faire, mais de bâtir et d’avancer", assurait-il le 23 juillet à la télévision. Sauf qu’il ne décidera pas de grand-chose. "A partir du moment où il y a eu défaite du camp présidentiel, c’est au futur Premier ministre et au futur gouvernement de proposer des mesures", reconnaît l’Elysée. "Ce n’est pas le lieu pour rentrer dans le détail ni pour constituer un programme budgétaire", a interrompu un convive de gauche le 23 août, lorsque la discussion provoquée par le président a tourné autour des choix économiques et financiers. D’ici au 20 septembre, la France doit, en outre, présenter son plan pluriannuel de redressement des comptes à la Commission européenne, comme le veut la récente réforme du pacte de stabilité et de croissance.
Le budget, pile ou face. Le budget, match point. S’il focalise toutes les attentions, c’est parce qu’il portera cette année un poids politique inédit. Et qu’il est par nature aux antipodes de la fameuse majorité "texte par texte" vantée ici ou là, puisqu’il suppose un accord de fond sur tous les sujets importants. La seule motion de censure jamais adoptée depuis les débuts de la Ve République, celle d’octobre 1962, ne concernait pas les questions budgétaires, mais elle avait une singularité : si le texte conduisait à faire chuter le gouvernement, il visait en réalité le président de la République, le général de Gaulle. Une censure sur le budget ne renverserait pas seulement le Premier ministre. Elle affaiblirait et la France et le président.