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Август
2024

Mort de Catherine Ribeiro, figure radicale de la chanson française

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Catherine Ribeiro n’était pas du genre à s’étendre dans les médias. La Lyonnaise, née de parents portugais, n’était pas non plus du style à se confier. En 2014, lorsque je la contacte pour les besoins d’un ouvrage (Il y a des années où l’on a envie de ne rien faire : 1967-1981, chansons expérimentales), celle-ci me répondait ainsi, laconique et politique dans un même souffle : “Des idéaux, j’en ai eu plein l’esprit et il m’a bien fallu admettre qu’ils étaient libertaires. Libre et libertaire sans jamais accepter un clan plutôt qu’un autre. Éviter à tout prix les déceptions.

Une mise à l’épreuve

Des déceptions, Catherine Ribeiro en a connu un certain nombre. Entre un viol subit à 21 ans, une mère autoritaire et un mépris total de la part du grand public, les psychologues auraient de quoi creuser. Toutes ces épreuves ont toutefois été l’occasion pour elle d’affirmer son style, d’élever, à sa manière profondément radicale, le niveau de la chanson hexagonale, voire même de s’affranchir des effets de mode tout en captant brillamment l’air du temps, le souffle de la révolte.

Après avoir surfé sur la vague yé-yé au mitan des années 1960, au point d’apparaître sur la fameuse photo du siècle publiée en couverture de Salut les copains. Après avoir adapté en français des chansons de Bob Dylan (Lorsque le bateau viendra, C’est fini entre nous, etc.) et Pete Seeger (Les Cloches dans la vallée), la Française se saborde en plein vol à la fin de cette même décennie et se met en quête de nouvelles expressions, à la fois musicales et vocales. Terminée la chanson folk, Catherine Ribeiro rit, crie, se lance dans des onomatopées et des soupirs sensuels, aborde des thèmes nettement plus sombres (comme le récit d’une tentative de suicide sur 15 août 1970) et s’oriente vers des sonorités à mi-chemin entre le psychédélisme et le prog-rock, entre la musique minimaliste et le jazz répétitif.

Déstructurer la chanson française

Catherine Ribeiro n’était pas du genre bavarde, mais chacun de ses albums, notamment ses plus fameux, ceux enregistrés avec Alpes (ex-2 Bis) entre 1969 à 1980, était une déclaration d’intention : laisser à l’art toute sa beauté, toute sa pureté. En 1972, un reportage de l’émission Pop 2 en atteste : on y voit la Française et ses musiciens au beau milieu de la campagne, dans un corps de ferme, interpréter Âme debout, Dingue et Paix, trois titres majeurs de son répertoire, tous portés de bout en bout par une rythmique progressive, des textures psychédéliques et ces histoires contées d’une voix lourde, imposante, toujours sur la brèche.

La discussion est technique, la recherche de sons inédits est évidente. On comprend alors qu’auprès de Patrice Moullet et des frères Lemoine, Catherine Ribeiro est parvenue à mettre de l’électricité dans son folk, qu’elle vise désormais à additionner les cordes et qu’elle a bel et bien fini par accepter la bizarrerie de ses chansons. “En ce qui concerne la pop, en France, je trouve que les paroles sont généralement médiocres, lâche-t-elle, la voix posée. Je ne veux pas dire par là que moi j’écris bien, ce n’est pas ce que je veux dire du tout. Je ne cherche pas à écrire de la poésie, à faire de la poésie. J’écris, tout simplement, parce qu’il faut bien le faire.”

Une vie à la marge

Catherine Ribeiro n’était pas du genre bavarde. Elle savait simplement quoi dire et comment le dire. Dans ses albums des années 1970, presque tous publiés sur Philips (à l’exception de N°2, sur Disque Festival et (Libertés ?), sur Fontana), elle aborde des sujets éternels – la mort, le mal-être, les droits humains, le manque d’amour –, et a l’intelligence de le faire dans des morceaux où se croisent le chant de Grace Slick (Jefferson Airplane), les structures évolutives de Pink Floyd et les envolées mélodiques d’un free jazz alors en pleine effervescence. “Je n’ai pourtant jamais été fan de jazz”, me confiait-elle, comme pour se détacher de tout rapprochement opportuniste, comme pour garder quoi qu’il arrive le contrôle sur sa musique.

Contemporaine de Colette Magny et Brigitte Fontaine, Catherine Ribeiro avait elle aussi choisi d’évoluer à la marge. Elle était à l’aise avec les perdant·es magnifiques, consciente d’être la porte-voix, même involontaire, des laissé·es pour compte, incapable de jurer fidélité à quoi que ce soit, si ce n’est à sa poésie noire, si tourmentée et pourtant traversée çà et là par des échos optimistes : “Âme debout/Qui ne respirera pas/L’aveu de mon dernier soupir/Aie confiance en la vie”, chante-t-elle en conclusion d’Âme debout, l’un des sommets épiques de sa discographie.

Radicalité politique

Catherine Ribeiro n’était pas du genre bavarde, mais c’était une observatrice lucide de son époque, omniprésente sur les différents piquets de grève dans les années 1960 et 1970, militant contre la guerre au Vietnam et pour la paix universelle, prenant position pour les prisonniers du Chili, participant à des concerts antifranquistes autant qu’à des mouvements pour la cause féminine, au sein de laquelle elle est particulièrement active depuis que, adolescente, des électrochocs lui ont été administrés par les médecins de l’asile psychiatrique dans lequel sa mère l’avait placée pour l’empêcher de fréquenter le garçon qu’elle aimait. Plus radicale encore, elle est possiblement la première artiste française à composer un album entier en faveur de la cause écologique : Le Rat débile et L’Homme des champs, en 1974, toujours aux côtés d’Alpes.

Il serait toutefois injuste de résumer la carrière de la “pasionaria rouge” à cette collaboration, voire de la juger uniquement à l’aune de sa radicalité. Aussi intransigeante soit-elle, la chanteuse aimait aussi les grands noms de la chanson francophone (Édith Piaf, Jacques Brel, Léo Ferré), dont elle a repris de nombreux titres au cours des années 1980, au point de monter divers spectacles à partir de ces différentes reprises. À la même période, elle est d’ailleurs faite chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres (1985), signe d’une reconnaissance institutionnelle qu’elle n’a que trop peu goûtée au cours des années 1968.

Promise à l’éternité

Catherine Ribeiro n’était pas du genre bavarde, mais elle avait une gouaille, une allure, belle et mystérieuse, qui fait que l’on avait envie de l’écouter, que l’on était comme hypnotisé·e par sa présence. Pas pour rien, finalement, si le monde du cinéma lui a fait des appels du pied – Les Carabiniers de Godard (1963), de Jacques Richard (1975).

Pas pour rien non plus si, dans les années 1970, elle remplissait des salles aussi prestigieuses que l’Olympia ou Bobino, ou qu’elle était programmée en festival pour jouer devant plusieurs milliers de personnes. À commencer par la première édition du Printemps de Bourges en 1977, voire la Fête de l’Humanité, où elle performe devant 120 000 spectateur·rices.

Ces dernières années, particulièrement affectée par les décès successifs de sa fille et de son mari, elle-même victime d’un AVC en 2020, Catherine Ribeiro se faisait toujours plus discrète, mutique. Peut-être se contentait-elle de vivre dans cette maison perdue au cœur de la forêt ardennaise, à la frontière franco-allemande. Peut-être cherchait-elle à enfin finaliser l’écriture de son roman autobiographique, annoncé en 2013. Peut-être qu’à force de se répéter qu’elle était “une matière inflammable”, elle avait fini par juger bon de se poster définitivement en retrait du monde. Seule certitude : qu’importe son silence, désormais éternel, on continuera de l’écouter !