"Les gens chantaient, dansaient..." : la Libération de Moulins racontée par Georges, qui avait 6 ans en 1944
Les années passent, les derniers témoins disparaissent. À Moulins, peu se souviennent encore des ultimes instants de l’Occupation allemande et de la Libération, il y a 80 ans.
Ce mercredi 6 septembre 1944, le petit Georges, 6 ans et demi, était là. Vers 9 heures du matin, sa mère sort de l’appartement familial, situé place de l’Ancien Palais (dans le bâtiment occupé aujourd’hui par le musée de la Visitation). Comme à son habitude, elle va faire quelques courses dans le quartier.
« Les gens chantaient, dansaient, faisaient des farandoles »Mais cette fois-ci, la voilà de retour assez vite : « La place de l’Hôtel de ville est noire de monde, les Allemands sont partis?! » Toute la famille repart alors dans les rues de Moulins.
« Je me rappelle que les gens chantaient, dansaient, faisaient des farandoles, s’embrassaient, toute la ville était en folie », raconte Georges Chatard, aujourd’hui âgé de 86 ans. Ce jour-là, pour la première fois de sa vie, sa maman n’a pas le temps de préparer le repas du midi. « On s’est trimballé toute la journée dans la ville, il y avait tant de choses à voir, alors on a juste pris un café au lait et un morceau de pain à midi?! »
À ses fenêtres, la famille étend des drapeaux tricolores. Tous les voisins aussi, tout Moulins aussi. Les couleurs françaises arborées également sur des rubans fixés sur les boutonnières de chacun.
Son père lui apprend la MarseillaiseAvant la fin de la journée, le père de Georges lui apprend la Marseillaise, un chant interdit en zone occupée depuis 1940. En passant place d’Allier, ils voient des feux allumés : les livres et documents allemands stockés jusqu’ici dans un local de la rue d’Allier.
Partout des scènes de joie, pour fêter la liberté retrouvée. Y compris pour les « petites » libertés : les couvre-feux allaient bientôt être de l’histoire ancienne. « Vous vous rappelez pendant les deux mois de Covid?? Eh bien là, ça a duré quatre ans ». Quatre ans à être emprisonné chez soi les soirs, été comme hiver.
Mais, la guerre n’était pas finie, les couvre-feux allaient durer encore un peu. D’ailleurs, « avec le recul, la joie générale avait parfois un goût amer ».
Une commerçante tondue, rue d’AllierDes maris étaient tombés au combat ou encore en prison, d’autres personnes étaient dans des camps de concentration, la faim faisait encore rage. « On était rachitique, on se nourrissait grâce aux cartes d’alimentation, même plusieurs années après la guerre », se souvient le retraité, qui préférerait oublier le goût de l’huile de foie de morue. Ainsi, le jour de la Libération, Georges se souvient aussi d’événement plus troublant. « On faisait défiler des femmes aux têtes tondues, le matin, place de l’Hôtel de ville ». De même, rue d’Allier, il voit encore cette commerçante à son balcon, des hommes lui coupant les cheveux, devant des centaines de personnes. « Un primeur, juste à côté, a été dévalisé : toutes ses tomates ont été jetées au balcon par la foule ». Une image marquante pour le petit garçon, qui le reconnaît aujourd’hui : « Je ne comprenais pas grand-chose à ce qu’il se passait ».
Tout comme quelque mois plus tôt, il ne se demandait pas pourquoi des avocats traversaient la cour de récré : Depuis l’Occupation, l’école primaire se faisait dans le palais de justice, car le lycée Banville était transformé en caserne allemande. Et « quand on entendait la sirène d’alerte, on sortait de classe, on était content ». Son innocence d’enfant l’amuse aujourd’hui. Lorsque la sirène retentissait la nuit, la famille se cachait dans les caves du musée Anne de Beaujeu, sans plus inquiéter le petit Georges.
Les Allemands étaient à la fois craints et haïs par la population. « Un soir, on dînait chez des amis de mes parents, mais comme on a terminé trop tard, on a dormi chez eux. On n’avait pas intérêt à enfreindre le couvre-feu. »
Les jours précédant la Libération, les habitants sentaient bien que le vent avait tourné, que les occupants étaient sur le point de partir. Tous les moyens de transport étaient réquisitionnés, comme les chevaux des Transports moulinois. Mais aussi les vélos des particuliers. « Mon père avait démonté le sien, pour décourager les Allemands de lui prendre. »
Autre signe annonciateur de leur départ : la destruction de l’atelier de chargement de munitions d’Yzeure, deux jours avant, par les Allemands eux-mêmes. Leur but était d’empêcher les résistants et Alliés de s’en emparer.
À quelques kilomètres de Georges, vivait Christiane, un an de plus que lui, qu’il a rencontré quinze ans plus tard. Elle se souvient bien des impressionnantes détonations lors de cette destruction. « Avec d’autres enfants, on voyait une flamme bleue au loin avant chaque explosion. À chacune, on jouait à se cacher dans le fossé?! » Elle habitait à la campagne, alors les scènes de liesse décrites par Georges, dans le centre-ville de Moulins, elle ne les a pas vues.
En conférence ce samedi !Des décennies plus tard, Christiane et Georges Chatard ont voulu étayer leurs souvenirs d’enfance de l’Occupation en étudiant la période plus en profondeur et en interrogeant les survivants.
Membres de la Société d’émulation du Bourbonnais, ils ont écrit « La Seconde Guerre mondiale dans l’agglomération moulinoise » et tiennent régulièrement des conférences. Cet été y compris. Après avoir abordé, le 18 juillet l’entrée des Allemands, puis le 8 août, l’Occupation, ils aborderont ce samedi la Libération, au musée Anne-de-Beaujeu. Non loin des caves où le petit Georges se cachait !
Pratique. Georges et Christiane Chatard tiennent une conférence sur la Libération de Moulins du 6 septembre 1944, ce samedi 24 août à 15 heures, au Musée Anne-de-Beaujeu. Entrée gratuite.
Emeric Enaud