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Август
2024

Mystérieuses, bombardées, incendiées... Plongée dans l'histoire des pistes de Cataroux à Clermont-Ferrand

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Ce sont des silhouettes incomparables. Familières pour les Clermontois, étranges pour qui les découvrent, mystérieuses pour presque tous. Mais partie intégrante du paysage de la capitale auvergnate, au point d’avoir donné son nom d’usage au carrefour des pistes, à l’entrée sud-est de la ville.

Les pistes n’étaient pas là au temps d’Augustonemetum, c’est vrai, mais depuis près d’un siècle, tout de même, ce qui constitue déjà une longue histoire que peu ont connue de l’intérieur. Une histoire à la Michelin, entourée de secrets, d’autant plus qu’il s’agissait là de mener des essais de pneus de voitures et poids lourds en tous genres, à l’abri des regards, préservation des recettes de fabrication oblige.Photo Thierry Nicolas

Douze pistes au total

Elles sont douze au total et il a fallu près de quatre ans pour les construire. Les premières ont été mises en service en 1926, les dernières sur 1929 et 1930. « Selon les éléments dont nous disposons, nous pouvons dire qu’elles ont été conçues en interne, estime Marie-Claire Demain-Frackowiak, du département patrimoine de Michelin. Dans nos archives, nous avons des plans des pistes estampillées Michelin. »

Il s’agissait de couloirs s’achevant aux deux extrémités par des toboggans à angles plus ou moins aigus, avec des revêtements différents permettant de mener des essais en conditions multiples. La plus longue des pistes mesure 437 mètres, la plus haute culmine à 28 mètres et l’angle le plus aigu atteint 50 degrés.Aux extrémités, les pistes adoptaient des angles allant jusqu'à 50 degrés. Photo Thierry Nicolas

À Estaing aussi

Marie-Claire Demain-Frackowiak rappelle aussi que ces pistes n’étaient pas numérotées de 1 à 12, mais de 6 à 17, car elles n’étaient pas les premières du genre à Clermont-Ferrand. « Il y avait cinq pistes à l’usine Estaing, qui était sortie de terre en 1913 et a été fermée en 1991 (*). À cette date, les pistes de Cataroux servaient encore. Celles d’Estaing avaient un air de famille mais étaient de dimensions moins importantes.

(*) Les pistes de ce quartier avaient alors déjà disparu et le site est resté en friche jusqu’en 2005, date à laquelle les pelleteuses ont grignoté les bâtiments désaffectés pour laisser place à l’actuel CHU Estaing.

De nombreux Bibs n’ont jamais eu la chance de pénétrer au sein des pistes. À Cataroux, l’effectif dévolu aux essais est monté jusqu’à une cinquantaine, au plus fort de l’activité, en trois huit. Et tous étaient astreints à des règles de sécurité très strictes.

Premier drame

Car le tout début de l’histoire des pistes a été marqué par un premier drame, le décès d’un employé, en 1928. « Deux ouvriers travaillant sur une des pistes ont été surpris par un chariot qui démarrait, explique Marie-Claire Demain-Frackowiak. L’un a été tué, l’autre blessé. Ce fut un grand traumatisme et à partir de là, les consignes de sécurité ont été plus fortes encore. »

Dans les années 1960, notamment, avait été mis au point un système de clés qui verrouillaient les portes des pistes. Chaque employé présent possédait une clé et si l’une d’elles n’était pas fichée au tableau prévu à cet effet, cela signifiait qu’il pouvait se trouver encore sur une piste et les essais ne pouvaient pas commencer. Aucune autre victime ne fut à déplorer lors de ces manœuvres.

Le site bombardé en 1944

Mais le site de Cataroux n’a pas été épargné. Il fut d’abord abondamment bombardé en 1944 par les Alliés afin de détruire une unité de fabrication qui pouvait alimenter les forces allemandes, et les pistes ont souffert une première fois. Puis ce fut un grand incendie dans un dépôt de gomme, sous la piste centrale, qui a endommagé une partie de la structure, le 15 mars 1953. Les pistes ont donc été réparées et même modernisées, une dizaine d’années plus tard. Et la vie routinière des essais, faite d’allers-retours d’un toboggan à l’autre, a repris.Le 15 mars 1943, les pistes sont la proie des flammes suite à un incendie déclaré dans un dépôt de gomme, sous la partie centrale.?Photo d'archives La Montagne

« Les tests avaient des durées très variables, rappelle Marie-Claire Demain-Frackowiak. Cela allait de plusieurs heures jusqu’à deux jours. Selon les fiches techniques que nous possédons, les chariots étaient utilisés soit de façon individuelle, soit en convois, jusqu’à sept chariots. Ceux-ci étaient électrifiés pour alimenter les moteurs sur la partie plane et lancés par la force d’inertie dans les toboggans. »Un chariot avec lequel on testait les pneus, sur des revêtements différents et avec des obstacles placés sur la voie.?Photo Frédéric Marquet

Un autre incendie en janvier 2000

Ces ballets qu’on pourrait croire d’un autre âge ont duré jusqu’en 1999 pour les essais de pneus de voitures et métros, et très exactement jusqu’au 31 juillet 2000 pour les pneus de poids lourds. Entre-temps, en janvier 2000, un autre incendie s’est déclaré aux pistes. Un signal de plus pour signifier qu’il était temps d’arrêter les frais.

« La décision d’arrêter définitivement les essais sur ces pistes était déjà prise, mais ce nouvel incendie a sans doute accéléré le processus », reconnaît Marie-Claire Demain-Frackowiak, qui retient deux anecdotes de l’événement. « Un chef d’atelier a raconté que les pompiers intervenant sur le sinistre avaient demandé ce qu’il fallait sauver en priorité. Il avait répondu : “La MAC BU”, MAC pour machine à confectionner. Celle-ci a été sauvée. Par ailleurs, les pendules du site sont toujours là, arrêtées à 17 h 14, heure de l’arrêt des systèmes électriques suite à l’incendie. Nous allons récupérer ces pendules, les laisser figées à l’heure dite et les intégrer à nos collections. »

Un parcours immersif au sein des pistes à l'étude

Ces objets de collection, témoins d’une étape majeure de l’histoire de Bibendum, pourront ensuite être présentés lors d’expositions temporaires ou au sein de l’Aventure Michelin. Laquelle vivra elle aussi une deuxième vie dans un nouvel écrin, tout près des pistes, dans ce qui sera le Parc Cataroux, au deuxième semestre 2025 ou au plus tard début 2026.Photo Thierry Nicolas

Dans le cadre de ce projet, l’installation d’un parcours immersif au sein des pistes est à l’étude. Pour les conservateurs du patrimoine Michelin, il s’agirait de compléter la visite de l’Aventure par une découverte d’une partie des fameuses pistes, aménagée pour reconstituer et expliquer ce que furent les essais menés là durant sept décennies. Alors, les pistes lèveront enfin pour tous leur part de mystère.

Patrice Campo