ru24.pro
World News in French
Август
2024

Brontez Purnell : trop pauvre, trop noir, trop pédé, trop punk

0

Autant l’avouer d’emblée : il y avait longtemps qu’on n’avait pas lu un livre aussi féroce et drôle, jouissif et pertinent, insolent et essentiel que Johnny, est-ce que tu m’aimerais si j’avais une plus grosse bite ?. Ce court roman, dont le titre est déjà tout un programme, jeté comme un pavé dans la mare du politiquement correct, narre les déboires de Brontez Purnell, héros délaissé de l’Amérique car trop pauvre, trop noir, trop pédé, trop séropo, trop punk, trop défoncé… Et plonge dans ses souvenirs des années 2000, les petits boulots mal payés, les plans cul déjantés, les défonces à répétition, les excès en tous genres, sans se ménager.

Sorti aux États-Unis en 2015, traduit dans plusieurs pays, le livre, enfin disponible en version française, est aussi l’histoire d’une drôle d’amitié amoureuse nouée entre Brontez et Alexandre Gaulmin, un trentenaire gay bossant dans la musique qui, déprimé par son travail et son projet d’escapade sabbatique à San Francisco annulé au dernier moment par le Covid, va se mettre en tête de traduire ce livre qui l’a tant bousculé dans ses certitudes, notamment celle de ne “jamais avoir peur d’être qui l’on est”.

Du gospel à Bikini Kill

Né en 1982 dans une famille middle class de l’Alabama profond, avec des ancêtres ayant travaillé dans les plantations de coton, un arrière-grand-père joueur de blues habitué du Chitlin’ Circuit (un réseau de salles de spectacle qui accueillaient des artistes afro-américains au moment de la ségrégation raciale) et un oncle, J.J. Malone, musicien reconnu, Brontez a toujours baigné dans la musique avant même de réaliser qu’il était gay. “Ma famille le savait bien, s’amuse-t-il lors de notre rencontre à Paris, mais l’essentiel pour eux était que je sache jouer de la guitare. Le reste n’avait pas vraiment d’importance.”

Élevé dans une famille imprégnée de pentecôtisme, chantant du gospel à tue-tête à l’église, il découvre la littérature avec sa mère, qui lui met dans les mains les livres de Langston Hughes, pilier de la Harlem Renaissance, ou le Black Boy de Richard Wright. Mais la révélation lui vient de sa tante, qui lui offre une machine à écrire avec laquelle, à peine âgé de 12 ans, il se lance dans la rédaction de ses premiers fanzines, comme Spandex Press ou Schlepp Fanzine, grands fourre-tout de poèmes et de considérations sur ses idoles de l’époque, No Doubt ou Blondie. Tout en envoyant des lettres d’amour à son icône, Kathleen Hanna, figure emblématique du mouvement Riot grrrl avec son groupe Bikini Kill.

“La seule chose dont j’avais envie, c’était de jouer de la guitare électrique et de hurler dans un micro”

À 19 ans, lucide sur le fait qu’il ne fera rien de sa vie dans son trou du cul natal, Brontez s’enfuit dans des conditions rocambolesques et s’installe à Oakland, où il va enfin s’épanouir. Il squatte dans une immense baraque avec une vingtaines d’ados déjanté·es, découvre les lieux de drague en plein air, écume les saunas plus que de raison, multiplie les plans cul foireux, fait la pute auprès de vieux pédés esseulés, prend de la drogue comme si c’était des bonbons, tourne dans des pornos queer… Mais surtout, il plonge de plain-pied dans le punk, et la bible qu’est le zine Maximumrocknroll, que lui a offert un amant plus âgé.

“Tous les kids d’Oakland étaient dans l’electro ou le rap, de la musique qui ne me parlait pas le moins du monde. La seule chose dont j’avais envie, c’était de jouer de la guitare électrique et de hurler dans un micro. Je savais qu’il y avait un espace pour les gens comme moi dans le punk. Même si ma mère était effrayée que j’écoute de la musique de Blancs !”, nous raconte-t-il.

Nous sommes au début des années 2000, le revival punk bat son plein, Brontez part en tournée comme gogo dancer avec le groupe electroclash Gravy Train!!!!, qui assure les premières parties du Tigre (le nouveau groupe formé par… Kathleen Hanna) et lui permet d’assumer son goût pour l’exhibition. Il publie le zine Fag School, une parodie de Jeune et Jolie pour les gays, dont les numéros se dealent aujourd’hui à prix d’or.

Fort d’une aura underground, il forme ensuite The Younger Lovers, son propre groupe de punk garage fidèle à ses racines rhythm’n’blues, publie toute une série de livres, dont 100 Boyfriends, qui lui vaudra en 2018 un Whiting Award remis par Toni Morrison herself, lance sa compagnie de danse, réalise un documentaire sur Ed Mock, un danseur mort du sida, tout en promettant d’écrire un jour la bible définitive sur Bikini Kill.

L’art de la fugue

Pour autant, Brontez refuse d’endosser le costume de role model et balaie rapidement la question : “Je connais des tonnes de gays qui sont terrifiés par la vie que je mène. Je ne dirai jamais à un jeune Noir pédé ce qu’il doit faire, parce que je suis anti-autorité par principe et parce que je pense que chacun doit vivre sa vie comme il l’entend. Je me considère plutôt comme un activiste culturel, même si – je ne me l’explique pas – mon lectorat est principalement composé de femmes dans leur quarantaine qui disent s’identifier à ce que j’écris. Je pense que c’est dû au fait que ma littérature est anti-érotique, même si je parle beaucoup de cul.”

Aussi agité qu’il est anxieux, aussi sérieux qu’il est imprévisible, Brontez change brusquement de sujet. Et part dans un délire sans fin sur ses frasques au Sun City, l’un des plus grands saunas de Paris, disserte sur le poulet frit de KFC bien meilleur que son équivalent américain, parle de sa libido qui baisse, évoque son désir de devenir père et de se trouver un mec. Avant de s’allonger entièrement à poil sur l’immense cheminée du foyer de la Gaîté Lyrique (Paris IIIe) et de partir dans un long discours introspectif. “À 19 ans, j’avais des ambitions très hétéronormatives, je pensais que je bosserais dans un restaurant, que j’habiterais un petit appartement avec mon boyfriend. Maintenant que j’en ai 42, quand je relis Johnny, est-ce que tu m’aimerais si j’avais une plus grosse bite ?, je me fais peur. Je réalise que ma vie est vraiment très loin de tout ce dont j’avais rêvé. Et tant mieux !”

Johnny, est-ce que tu m’aimerais si j’avais une plus grosse bite ? de Brontez Purnell (Rotolux), traduit de l’anglais (États-Unis) par Alexandre Gaulmin, 160 p., 20 . En librairie.