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Август
2024

Droits TV du football français : un air d’effondrement

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La fragmentation et le montant des offres pour visualiser la ligue 1 cette année poussent la plupart des consommateurs du ballon rond à se tourner vers le streaming illégal…


En plein cœur du mois d’août, les fans et supporters ont pu suivre ce week-end la reprise du championnat de football – à condition d’avoir consenti à un nouvel abonnement. Présentée comme le Netflix du sport, la plateforme britannique Dazn débarque. Pour la modique somme de 29,99 par mois, le téléspectateur peut retrouver les matches de Ligue 1. Et encore, pas tous, car BeIn Sports en conserve un sur les neuf affiches de chaque journée. Sans diffuser par ailleurs les Coupes d’Europe, restées sur Canal +. De quoi lasser un public qui se tourne vers le piratage.

Si vous avez compris quelque chose à la querelle des droits TV du football français, c’est qu’on vous l’a mal expliquée. Principale source de revenus des clubs professionnels (avec les revenus des transferts de joueurs), les montants que consentent les droits TV ont été au cœur d’un nouveau feuilleton estival. Cela fait désormais quarante ans que Canal a commencé à diffuser le championnat de France en 1984 mais aussi a proposé une nouvelle façon de filmer le jeu, le tout avec la touche « Canal ». Au fil des décennies, les dirigeants ont cherché à partager le gâteau avec d’autres diffuseurs. TPS, Orange… Tous s’y sont cassé les dents. BeIn Sports, émanation d’Al Jazeera arrivé en 2012, a failli donner le coup de grâce, mais c’était sans compter sur l’intervention de François Hollande, venu à la rescousse de la chaîne, qui a négocié la clémence du groupe auprès du groupe qatari. Depuis 1984, Canal + est le grand argentier du football français mais aussi et plus encore du cinéma français. Laisser perdre à la chaîne de Vincent Bolloré son produit phare, c’est menacer l’avenir du grand écran…

Les présidents de Ligue 1 dans une mare de sang

Au printemps 2018, c’est le drame. Le football français vit en pleine fièvre à la suite du transfert de Neymar au PSG l’année précédente. Les présidents des clubs de football se sentent en mesure de trouver de nouveaux diffuseurs et de dépasser le milliard d’euros. Dehors Canal +, place à l’Espagnol Mediapro et à son président Jaume Roures, qui s’engagent à débourser plus d’un milliard par an pour diffuser la Ligue 1 à partir de 2020. En plein crise du Covid, la chaîne espagnole apparaît (elle est baptisée pour l’occasion Téléfoot). Elle va rapidement s’inscrire dans la lignée des grands flops de l’audiovisuel français. Elle est proposée à un tarif équivalent à la chaîne Canal +, mais sans disposer de la moindre offre en matière de séries, de cinéma, de rugby, de Formule 1. Des matches de Ligue 1, seulement le week-end, dans des stades vides (on est en plein Covid). A l’automne, la mariée cesse de payer sa dot. En janvier 2021, Canal + est rappelé à la rescousse. Bolloré ricane, et glisse en off : « Je veux voir les présidents de L1 à genoux dans une mare de sang ».

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Depuis, entre la Ligue de football professionnel et Canal, les rancœurs sont trop profondes pour que le rabibochage soit possible. Canal + et BeIn Sports se battent même un temps au tribunal, non pas pour diffuser les matches, mais pour ne plus les diffuser ! Au printemps 2024, un nouvel appel d’offre s’annonce. Canal +, qui s’est recentré sur le championnat anglais, les Coupes d’Europe, le rugby, la F1, la moto, n’est plus dans la course. Ça ne se bouscule pas au portillon pour racheter les droits. La Ligue envisage de créer sa propre chaîne, l’hypothèse d’un écran noir au coup d’envoi de la nouvelle saison paraît de moins en moins farfelue. C’est finalement le groupe Dazn qui récupère le lot, officiellement pour 400 millions de droits, peut-être moins en regardant entre les lignes. Le mirage du milliard de 2018 est désormais un vieux rêve. Au même moment, le football anglais vend ses droits pour 2 milliards par an (sans compter l’exportation des droits aux chaines étrangères, qui en rapporte autant).

La Ligue 1 des cheveux gris

Pendant ce temps-là, le championnat perd de son attrait. Sur les Abribus des villes, Dazn affiche les vedettes de la Ligue 1 : Dante, quarante ans, Steve Mandanda, trente-neuf ans, Alexandre Lacazette, trente-trois ans… Avec le départ de sa vedette Kylian Mbappé, la compétition est devenue la Ligue des cheveux gris. C’est dans ce contexte déprimant que l’amateur de football doit débourser autour de 50 euros pour avoir une vue kaléidoscopique sur son sport favori, entre la Ligue 1, le championnat anglais, les compétitions européennes. Beaucoup ont trouvé la parade en faisant l’acquisition d’IPTV, petit boîtier miraculeux importé de Chine qui permet d’avoir accès à toutes les chaînes. Au bar des choses d’à côté, même chose : l’abonnement pro est passé à 200 euros, soit une inflation de 135%. Certains bars ont déjà annoncé qu’ils ne suivraient pas, ce coup-ci.

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Un dénouement équivalent à celui de 2020, avec un diffuseur qui ne paye plus et s’en va au bout de trois mois, n’est pas une vue de l’esprit. Les clubs, qui vivent depuis des années dans l’illusion du milliard, sont au bord du cataclysme financier. La part pour les petits, en bas de classement, sera maigrelette. Un club comme Bordeaux, locomotive historique du championnat, vient d’être relégué administrativement en troisième division. Philippe Seguin, amoureux du jeu mais las du football business, avait déclaré en 2006 : « J’espère qu’un jour tout cela s’effondrera. Que les gens n’iront plus au stade et que les audiences télé chuteront ». Nous n’en sommes peut-être plus très loin.

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