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Август
2024

En août, lis ce que te goûte (épisode 3)

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Les vacances imposent-elles la vacance de l’esprit ? Autant profiter de ce répit estival pour moissonner les sillons de sa bibliothèque. Sous le soleil d’août, votre serviteur y a passé sa charrue. Lectures par les champs et par les grèves…  3e livraison :  « Plus snob, tu meurs ! » lire la 2e livraison.


Je confesse avoir trop longtemps gardé sous le coude cet essai paru en janvier dernier sous les auspices d’Exils, exigeante maison d’édition qui revendique hautement d’exister – je cite – « afin que la distance qui sépare chacun de lui-même, de l’autre et de la cité s’efface par les livres ».

Notre monde fut, sous son titre original Our Crowd, un best-seller à sa sortie outre-Atlantique, en 1968. S’y était attelé avec patience et passion le romancier et historien Stephen Birmingham (1929-2015), très féru d’ethnicité, particulièrement au sein de la upper class américaine. L’ouvrage est bientôt traduit par le regretté vicomte Pierre de Longuemar (1929-2018), ancien banquier de Paribas qui, détaché à Washington puis à Londres et donc parfaitement anglophone, entame, parvenu à l’âge de la retraite, une seconde carrière d’archiviste puis de traducteur : à ce passionné de généalogie élitaire l’on doit en outre la version française du livre que le fameux historien Robert O. Paxton a consacré à L’armée de Vichy, sous-titré Le corps des officiers français, 1940-1944.

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C’est donc cet aristocrate bien élevé qui, au soir de sa vie, se lance dans la traduction de The Crowd. Voilà donc exhumé sur le tard Notre monde – histoire des grandes familles juives de New-York. C’est à bon escient que la couverture de l’édition française prend soin de préciser qu’il s’agit d’un «récit » – et non d’un ouvrage à prétention scientifique. Si Notre monde n’est pas un livre de fiction, il n’en revêt pas moins le rythme et la saveur du roman historique : « Felix [Warburg] aimait les jolies choses – les belles femmes, la musique, les livres, la peinture, les chevaux, les voiliers, les vêtements, et (le moment venu) les automobiles […] Felix Warburg ne fut pas loin de renoncer à la réception des Dreyfus. […] Donc Felix y alla, quoiqu’avec réticence, et y rencontra Frieda Schiff, qui portait la robe rose pâle dans laquelle Zorn l’avait peinte […] Ce soir- là, Felix rentra chez lui, longtemps après minuit, et cogna à la porte de ses parents pour leur dire : « j’ai rencontré la fille que je vais épouser » ».  Un exemple entre cent de cette prose fluide et grâcieuse, légèrement collet-monté, mâtinée du même snobisme que notre mémorialiste prête si volontiers aux personnages qu’il dépeint.       

D’un bout à l’autre de ce fort copieux volume (400 pages serrées, en très petits caractères) se ressent la fascination de l’auteur pour ce milieu de parvenus israélites – ses élégances et ses préjugés, ses rituels domestiques et mondains, ses alliances politiques et matrimoniales, etc. – dont semblablement, à la Belle Epoque pour le faubourg Saint-Germain, Marcel Proust figure, toutes choses égales par ailleurs, le modèle indépassable.

Vous voulez tout savoir des ambitions, des rivalités, du standing des Sachs, Lehman, Schiff, Guggenheim, Seligman, Goldman, familles d’ancienne souche Allemande ou Suisse, parties de rien (colporteurs, marchands, courtiers…) pour devenir, l’océan franchi et fortune faite, les fondateurs et opulents magnats de Wall Street ? Alors plongez-vous dans cette nébuleuse où la description des mœurs et des usages le dispute aux potins, la saga des multimilliardaires et de leurs clans s’abreuvant aux péripéties de la politique et de l’économie.  

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Vous voulez tout savoir sur les frères Seligman ? Sur Joseph qui « âgé de 17 ans, monta dans un charriot tiré par des chevaux, en compagnie de huit autres garçons de Baiersdorf […] acheta un billet sur le shooner Telegraph […] en troisième classe, réservée aux émigrants », ouvrit à Lancaster une première adresse commerciale en 1841 avec ses frères William et James, fit bientôt venir toute sa famille aux Etats-Unis, laquelle devint propriétaire de magasins à succursales multiples, avant d’être, dès 1852, « l’un des principaux acteurs du marché de l’or » et de fonder l’une des premières banques du pays ?  Tout savoir sur les Guggenheim qui « réussissaient plutôt bien » à Philadelphie, Meyer Guggenheim vendant « pour 150 000 dollars sa société de produits de nettoyage de fourneaux et de lessives » pour « se diversifier d’épices et d’herbes, de dentelles suisses et de broderies » ? Sur « la bataille que se livrèrent les Guggenheim et les Lewinsohn pour prendre le contrôle de l’industrie du cuivre […] bonne blague, s’il faut en croire Birmingham, si on considère tout l’agrément que les belligérants tirèrent par la suite de leurs fortunes respectives » ?  Tout sur les coteries de la haute société new-yorkaise ?

« Si la société des « gentils » aimait jeter de la poudre aux yeux, le monde juif, pour sa part, préférait passer inaperçu », apprend-on. Performance difficile, comme on l’imagine, compte tenu de l’éminente position prise par les acteurs de ce temps-là. Son atmosphère nous est ici rendue avec un certain chic : « le prestige, l’élégance, le sens de la splendeur, y compris au plan international, firent leur apparition dans la société juive de New-York en la personne d’Otto Kahn ».  C’est par cette phrase que s’ouvre par exemple le chapitre 39, carrément intitulé : « Je joins mon chèque de 2 000 000 dollars », et dont les pages décrivent les codes de l’opéra dans la société américaine à l’orée du XXᵉ siècle, au moment de la naissance du Met. Tout est du même acabit – un peu lassant à la longue, avouons-le…

Outre l’arbre généalogique liminaire qui permet de s’y retrouver dans l’écheveau de ces dynasties de haute volée – des Kuhn, Loeb &Co à Goldman, Sachs & Co et j’en passe – le volume s’agrémente de quelques illustrations en noir et blanc – portraits à l’huile, clichés photographiques d’époque, ponctuations propres à restituer cet air du temps de l’opulence corsetée. Ainsi, de Jacob Schiff : « En tant que grand financier des chemins de fer américains, les conditions extravagances dans lesquelles il voyageait ne le tourmentait pas davantage que s’il avait traversé son salon ».            

Leur monde, s’il l’a été jamais, n’est décidément plus du tout le nôtre.

D.R

Stephen Birmingham, Notre monde. Histoire des grandes familles juives de New-York, Exils, 2024, 406pp., 29,00€

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