Maduro, Castro, Mao… Ces dictateurs qui ont tant fasciné la gauche (et Mélenchon)
Promu par Hugo Chavez au Venezuela, "le socialisme du XXIe siècle" a donc fini comme les expériences anticapitalistes du XXe siècle : en dictature. Afin de se maintenir au pouvoir en dépit d’un fiasco économique et humanitaire, son successeur Nicolas Maduro avait déjà fait appel à plusieurs techniques bien connues des dirigeants autoritaires : coup d’Etat juridique, répression des manifestations, arrestations de leaders de l’opposition…
Mais après la farce sinistre de l’élection présidentielle du 28 juillet, impossible désormais de nier la dérive dictatoriale d’un régime instauré fin 1998 à la suite de la victoire de l’ancien putschiste Chavez. Même les alliés sud-américains, comme le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, ont dû prendre leur distance. Le 7 août, une grande partie de la gauche française a condamné la répression au Venezuela mais La France insoumise ne s’est pas associée à ce communiqué. Christian Rodriguez, relais de Jean-Luc Mélenchon pour l’Amérique latine, a qualifié de "honteux" un texte qui reprendrait les arguments de "l’extrême droite" vénézuélienne. D’ordinaire si loquace sur cette région du monde, Mélenchon se tait.
Le régime a pu dilapider une manne pétrolière
Qu’il semble loin le temps où le Venezuela suscitait les éloges de nombreuses figures de la gauche occidentale ! Hugo Chavez "a fait progresser d’une manière considérable la démocratie", assurait Mélenchon à la mort du leader bolivariste en 2013. En 2015, alors que l’économie vénézuélienne était déjà en chute libre, Jeremy Corbyn, ancien patron du Parti travailliste britannique, qualifiait la révolution bolivarienne "d’inspiration". Même l’ONG Oxfam, par le biais de son conseiller stratégique Duncan Green, avait en 2010 salué le "succès" de l’expérience chaviste.
Aujourd’hui, le bilan est sans appel. Sous son règne de 1999 à 2013, Hugo Chavez a certes réduit les inégalités, faisant baisser le coefficient de Gini de 49,5 à 39. Mais le leader populiste a longtemps été très chanceux. A la tête des plus larges réserves pétrolières du monde alors que le cours s’envolait, le régime a pu dilapider une manne pétrolière qui a quintuplé dans les années 2000. Les dépenses gouvernementales sont passées de 30 % à plus de 40 % du PIB. Quand le cours du pétrole a baissé, le pays le plus riche d’Amérique latine s’est retrouvé le plus pauvre. Entre 2010 et 2020, le revenu moyen des Vénézuéliens s’est effondré de 75 %, provoquant l’exode de 7 millions de personnes, soit un quart de la population. La capitale Caracas peut prétendre au titre de ville la plus dangereuse du monde. Le chavisme ? L’un des plus grands désastres en période de paix.
Une utopie socialiste
Le Venezuela n’est que le dernier épisode d’un vieux feuilleton qui voit régulièrement la gauche occidentale s’enthousiasmer pour des dictateurs au nom de l’utopie socialiste. Dans les années 1930, l’idole se nomme Joseph Staline. De nombreux intellectuels n’ont alors pas la clairvoyance d’André Gide qui prend conscience de la nature totalitaire du régime lors de son voyage en URSS en 1936. En 1931, au moment de franchir la frontière polono-soviétique, le dramaturge irlandais George Bernard Shaw, Prix Nobel de littérature, jette ses provisions de nourriture par la fenêtre de son train pour montrer que la famine (plusieurs millions de morts entre 1931-1933…) est très largement exagérée. L’invasion de la Pologne et de la Finlande en 1939 met un terme à la "stalinemania" la plus aiguë. Mais il faut attendre la déstalinisation lancée par Nikita Khrouchtchev en 1956 pour calmer les plus enthousiastes, comme Louis Aragon.
Déçue par la "bureaucratisation" de l’expérience soviétique, une partie de la gauche occidentale se tourne alors vers d’autres contrées plus exotiques, à commencer par La Havane. De retour de Cuba en 1960, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir dressent un portrait idyllique de la révolution castriste. Le même Sartre sert, après Mai 68, de caution à La Cause du peuple, organe de la propagande maoïste. Dès 1971, l’écrivain belge Simon Leys révèle dans Les Habits neufs du président Mao l’ampleur des massacres de la Révolution culturelle. La même année, Maria-Antonietta Macciocchi publie De la Chine, hommage ahurissant à ce "paradis socialiste". Le "maoïsme mondain" culmine en 1974 avec le périple en Chine de la fine fleur de la revue Tel Quel (Philippe Sollers, Julia Kristeva, Roland Barthes…).
Même le Cambodge des Khmers rouges a eu ses admirateurs. En 1975, Le Monde, sous l’influence de ses journalistes tiers-mondistes, s’enthousiasme pour l’instauration d’un soi-disant "Kampuchéa démocratique". Durant quatre ans, le régime de Pol Pot tue plus d’un cinquième de sa population entre exécutions de masse, famines et travail forcé. Désireux de transformer la société entière, les Khmers rouges font évacuer les villes, considérées comme des cloaques capitalistes, pour des communautés agraires, et interdisent l’argent comme la religion. Ce qui n’empêche pas le philosophe Alain Badiou, toujours dans Le Monde, de publier en 1979 une tribune intitulée "Kampuchéa vaincra".
La même année, la révolution au Nicaragua, menée par le Front sandiniste de libération nationale (FSLN), reçoit le soutien de la gauche anti-américaine. Aujourd’hui, le régime de l’ancien guérillero Daniel Ortega est un Etat policier et le Nicaragua se classe 163e sur 180 en matière de liberté de la presse selon Reporters sans frontières (RSF). Qu’importe, L’Humanité a, il y a quelques mois, publié une tribune assurant que le pays était engagé "dans une voie démocratique et sociale"…
Les trois étapes du socialisme
A partir de ces expériences soviétique, chinoise ou vénézuélienne, l’économiste libéral britannique Kristian Niemietz a, dans Socialism, The Failed Idea That Never Dies (2019), distingué trois étapes du socialisme qui ne cessent de se répéter. L’étape 1, c’est la lune de miel. Un homme fort arrive au pouvoir, généralement à la suite d’une révolution, avec l’ambition affichée de rendre la société de son pays plus égalitaire. Triomphalistes, les anticapitalistes occidentaux vantent ce modèle étranger et plaident pour sa généralisation. L’étape 2, ce sont les excuses : alors que les échecs économiques et l’incurie du gouvernement deviennent manifestes, les admirateurs du régime adoptent un ton plus défensif et tentent de lui trouver des circonstances atténuantes, telle une mauvaise conjoncture. Les apologistes du chavisme ont par exemple mis en avant la baisse du cours du pétrole, quand bien même celui-ci était toujours en 2010 six fois plus élevé que quand Chavez a accédé au pouvoir. Le Venezuela était alors déjà victime de pénuries alimentaires, les œufs, le sucre ou le lait ayant disparu des magasins.
Autre tactique efficace pour justifier les mauvais résultats : brandir l’épouvantail américain. Les Etats-Unis "sabotent" l’économie vénézuélienne depuis "plus de vingt ans", a par exemple déclaré Mélenchon en 2019. Or, quand les Etats-Unis ont imposé des lourdes sanctions financières en 2017 (en réaction à l’élection d’une Assemblée constituante se substituant à un Parlement passé aux mains de l’opposition) puis ont ciblé la compagnie pétrolière publique PDVSA en 2019, l’effondrement économique avait eu lieu depuis belle lurette.
Il est également possible de s’en prendre aux médias coupables de relayer les mauvaises nouvelles. Mélenchon a ainsi mené une véritable vendetta personnelle contre Paulo Paranagua, longtemps spécialiste de l’Amérique latine pour Le Monde, l’accusant d’être un agent de la CIA et même un "assassin repenti". Le tort du journaliste, ancien militant trotskiste comme lui ? S’être très tôt intéressé aux dérives d’Hugo Chavez et à celles des frères Castro à Cuba.
Enfin, quand il n’est plus possible de nier les errements économiques, la catastrophe humanitaire et les violations démocratiques, arrive selon Kristian Niemietz l’étape 3 : faire savoir que le régime en question n’a en réalité jamais été socialiste. Le célèbre linguiste Noam Chomsky, figure de proue de l’extrême gauche universitaire, a certifié que "l’Union soviétique n’a jamais connu la moindre parcelle de socialisme", ou que le Venezuela chaviste, qu’il avait pourtant jadis dépeint comme "un meilleur monde en train de se créer", était en fait "assez éloigné du socialisme".
La fable du "bon" Lénine
Pour disculper l’idéologie marxiste, les anticapitalistes aiment également séparer le fondateur de ses successeurs. Les communistes occidentaux ont longtemps tenté de faire croire à la fable du "bon" Lénine trahi par le "méchant" Staline. Alors que l’ouverture des archives a confirmé que c’est bien le père du bolchevisme qui, de sang-froid, a initié une politique de terreur, créant dès décembre 1917 la Tcheka, police politique chargée, entre autres missions, de mater les socialistes modérés.
De même, de nombreux médias français distinguent toujours Chavez et Maduro, imputant au second la responsabilité de la dérive autoritaire. C’est oublier que le ver dictatorial était dans le fruit du chavisme : manipulations constitutionnelles, clientélisme, confusion grandissante entre le parti au pouvoir et l’Etat… "C’est Chavez qui a mis au point tout le système autocratique actuel, sur les conseils avisés de Fidel Castro", cingle l’historienne Elizabeth Burgos, née au Venezuela et qui fut une ancienne proche de Castro. "Chavez a commencé par plaider en faveur d’une nouvelle République afin de faire table rase du passé et d’éliminer la Constitution précédente. Par quel moyen ? Par la création d’une Assemblée constituante. Ça vous rappelle quelque chose ? C’est normal : c’est ce que prônent Mélenchon et LFI. L’objectif est de rédiger une Constitution plus malléable, qui affaiblit les contre-pouvoirs et qui, in fine, permet de se perpétuer au pouvoir. Chavez a complètement détruit le système démocratique. Il a aussi "accaparé" le PDVSA pour en faire sa propre tirelire. Chavez a viré 30 000 experts – y compris des archéologues, des gérants, des ingénieurs – pour les remplacer par 200 000 militants "bolivariens". C’est ça qui a conduit à la catastrophe industrielle et économique. 5 000 entreprises ont par ailleurs été nationalisées, dépecées et ruinées, causant l’exode des personnes expropriées qui faisaient la richesse économique du pays. Bref, il a suivi à la lettre le modèle de Cuba. Comment voulez-vous qu’ainsi, le pays ne soit pas ruiné ?" s’indigne Elizabeth Burgos, pour qui "les sanctions américaines n’ont rien à voir là-dedans".
Cette spécialiste de l’Amérique latine déplore la complaisance dont bénéficient toujours le castrisme et le chavisme dans les médias – notamment publics – comme dans les milieux universitaires. "En cinquante ans, très peu d’universitaires et doctorants ont trouvé intéressant de se pencher sur les questions des droits de l’homme à Cuba, de son système de répression ou encore sur l’importance de la politique d’influence de La Havane dans le continent latino, via son puissant service de renseignements. Or Cuba est crucial pour comprendre les événements au Venezuela et en Amérique latine. Dans le monde universitaire, le castrisme possède aujourd’hui encore d’innombrables relais qui peuvent faire la promotion du chavisme ou minimiser son caractère fascisant."
Il est frappant de constater à quel point l’extrême gauche française se montre prompte à qualifier d’Emmanuel Macron de "dictateur" – jusqu’à vouloir le destituer – tout en étant parfaitement incapable d’utiliser ce mot pour décrire Nicolas Maduro au Venezuela. Elizabeth Burgos décèle même des parallèles entre "l’antimacronisme hystérique" et le Venezuela pré-Chavez.
"A l’époque, tout le monde attaquait le président Carlos Andres Perez, un social-démocrate qui avait compris qu’il fallait mettre fin au paternalisme pétrolier de l’Etat, qu’il fallait faire des réformes. On traitait le président de 'néolibéral'. Tout le monde appelait à sa démission. Evidemment, la France n’est pas le Venezuela mais je sens monter la même passion anti-présidentielle contre Macron, avec une instrumentalisation par LFI. J’ai vu la même chose au Venezuela à l’époque. Mélenchon traite Macron de dictateur, comme il traite Marina Corina Machado [NDLR : la leadeuse de l’opposition vénézuélienne] de fasciste. C’est une technique de guérilla bien connue qui emprunte au léninisme comme au castrisme. Mélenchon veut que tout se passe mal afin qu’il puisse se présenter en sauveur qui résoudra tous les problèmes." Décidément, même complètement discrédités, ces dictateurs peuvent rester des sources d’inspiration…