Le président, le Premier ministre et la Constitution : le choix risqué de Macron
C’est l’article par qui le scandale arrive. L’article qui déclenche toutes les polémiques en cet été olympique. Il tient en trois phrases dont pas une virgule n’a été modifiée depuis 1958. "Le président de la République nomme le Premier ministre", indique ce fameux texte. Le général de Gaulle, quand fut rédigée la Constitution de la Ve République, y aurait volontiers ajouté un pouvoir de révocation mais il dut s’incliner et en fut de fort mauvaise humeur.
"Le président met fin [aux] fonctions [du Premier ministre] sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement", poursuit donc l’article 8 de notre loi fondamentale. Une vraie rupture, comme le note Michel Verpeaux, professeur émérite de l’Université Paris Panthéon-Sorbonne, dans la revue du Club des juristes : "La Constitution de la IVe République était fort différente, au moins jusqu’à la révision du 7 décembre 1954 : il était prévu que 'le président du Conseil et les ministres ne peuvent être nommés qu’après que le président du Conseil a été investi de la confiance de l’Assemblée au scrutin public et à la majorité absolue des députés, sauf cas de force majeure empêchant la réunion de l’Assemblée nationale (article 45, alinéa 3)'".
L’article 8 consacre le choix du roi dans toute sa splendeur : Emmanuel Macron, comme l’ensemble de ses prédécesseurs de la Ve, a usé depuis 2017 de son entière liberté pour choisir d’envoyer à Matignon qui bon lui semblait. Bon ? A entendre les critiques qui si vite ont surgi de l’Elysée sur Gabriel Attal, réitérerait-il la même décision ?
Notre loi fondamentale : le best-seller de l'été
Depuis la dissolution et des élections législatives dont il a eu tant du mal à reconnaître – du bout des lèvres, avec retard – qu’il les avait perdues, le chef de l’Etat, habitué à exercer ses prérogatives constitutionnelles dans leur plénitude, s’accroche au fameux article. En 1986, après des législatives perdues, François Mitterrand affichait publiquement sa liberté de choisir mais dès lors que la nouvelle majorité de l’époque (faible certes, mais absolue) avait verrouillé le système pour se ranger derrière Jacques Chirac, la nomination de ce dernier s’imposa à Mitterrand. Il en fut ainsi en 1993 et 1997, toujours avec des majorités absolues.
Pour "respecter" la Constitution, martèle le NFP, Lucie Castets doit aller à Matignon. Article 8 ? Article 68, dégainent Jean-Luc Mélenchon, Mathilde Panot et Manuel Bompard dans La Tribune dimanche, agitant ainsi la menace d’une destitution du président (sans aucune chance de succès, puisque le Sénat ne la validerait pas). Décidément, notre loi fondamentale est le best-seller de l’été.
Car cette fois, tout est différent, et même tout est inédit. "Aujourd’hui, il y a trois minorités", réplique l’Elysée pour expliquer qu’il faut changer de logique, abandonner "le fait majoritaire dans lequel la classe politique est moulée" et "raisonner en termes de barycentre". Un moyen pour Emmanuel Macron d’assimiler le forcing de Lucie Castets à de l’agit-prop, de reprendre la main malgré le résultat des élections et de faire du "parfum de cohabitation" – expression diffusée à haute dose ces dernières semaines par la présidence de la République – un leurre. En choisissant de recevoir lui-même les forces politiques le 23 août, il montre sa détermination à rester au centre du jeu. Puisqu’il a toujours prôné le dépassement, il n’imagine pas qu’une coalition puisse se bâtir s’il n’en a pas été lui-même le facilitateur.
Un autre schéma était possible. En juillet, François Bayrou, avec d’autres, tente de convaincre Emmanuel Macron d’adopter une attitude différente : désigner une personnalité (lui, par exemple !), laquelle essaierait ensuite de constituer une majorité. En cas de succès, elle serait alors nommée à Matignon. Le centriste cite volontiers le discours du général de Gaulle à Bayeux : "Au chef de l’Etat la charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du Parlement." Il insiste sur l’avantage pour le président à rester au-dessus de la mêlée : celui de ne pas s’exposer personnellement en cas d’échec.
Un paysage sans précédent
Dans certains pays ayant adopté le mode de scrutin proportionnel, c’est la définition même du métier de Premier ministre : fabriquer des compromis, aller chercher ce qui n’existe pas spontanément, à savoir une majorité parlementaire. En France, il y a un précédent. En 1986, François Mitterrand avait appelé Jacques Chirac le 18 mars pour procéder à un tour d’horizon, puis celui-ci avait consulté les partis de droite victorieux avant de retourner voir le chef de l’Etat et d’être nommé Premier ministre deux jours plus tard.
Dans un paysage sans précédent, Emmanuel Macron s’emploie à apporter une réponse politique dès lors que la Constitution ne permet pas de fournir une réponse juridique. Il n’est d’ailleurs pas le premier. Confronté à la première cohabitation de la Ve République, Mitterrand, encore lui, avait été dans l’interprétation de son propre pouvoir. Il créait du droit. Il refuse de signer l’ordonnance sur les privatisations : personne ne sait encore aujourd’hui s’il pouvait le faire ! Et il n’a pas été poursuivi pour forfaiture…
En 2024, Emmanuel Macron tente de tirer profit d’une situation paradoxale : comme les députés sont arrivés à l’Assemblée à la suite d’une dissolution et non dans la foulée d’une élection présidentielle, ils ont une légitimité forte. Mais ils sont éclatés comme jamais… "Le Parlement est à la fois central et faible, relève l’un de ses proches. Ceux qui disent Parlement à longueur de phrases veulent en réalité le bazar." Et le président a toujours manqué de la force nécessaire pour savoir passer au second plan, d’autant qu’il n’a jamais eu pour les parlementaires les yeux de Chimène.
Nous sommes là au cœur du nœud gordien : Emmanuel Macron pourrait presque faire ce qu’il veut… à condition que ce ne soit pas lui qui le fasse. Comment sortir de cette impasse ? Loin d’être "la clarification" souhaitée par le président, la dissolution, décidée par un seul homme et sans les consultations voulues par la Constitution, est désormais un engrenage.