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Август
2024

Incités à consommer plus d'énergie : la drôle d'expérience des habitants d'une commune de l'Allier

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En 1939, l’heure n’était pas aux économies d’énergie. Au contraire, les pouvoirs publics cherchaient à pousser à la consommation. Durant l’Entre-Deux-Guerres, la France a mis les bouchées doubles pour électrifier ses campagnes. À tel point que la quasi-totalité des communes avaient accès au réseau en 1941. Ce qui ne veut pas dire que le courant arrivait dans tous les hameaux. L’électricité étant fournie par de multiples compagnies, les tarifs n’avaient rien de réglementés. « Dans les fermes, on faisait très attention et avec 5 ampères, on ne pouvait allumer que quelques ampoules », situe André Roux, président de l’association Magnet village électrifié. La main de cet ancien artisan en ferronnerie ne tremble pas lorsqu’il empoigne d’antiques cordons électriques en tissu torsadé. Ou lorsqu’il connecte une prise en porcelaine à une douille d’ampoule : « C’est ce qu’on appelle une douille voleuse, qui permettait de raccorder un petit appareil électrique », éclaire l’historien de l’électrification. Rien qu’en regardant ces installations rudimentaires, on redoute de prendre un court-jus !

Une initiative du tout nouveau syndicat d'électrification de l'Allier 

À la fin des années 1930, l’industrie tirait les débouchés électriques vers les villes, ce qui permettait aux citadins les plus aisés d’accéder au « confort moderne ». La Compagnie hydroélectrique d’Auvergne, qui exploitait plusieurs barrages du Massif central, ne demandait pas mieux que d’envoyer du jus dans les campagnes. À condition d’avoir suffisamment d’abonnés. Le tout nouveau syndicat départemental d’électrification de l’Allier proposa alors à cette compagnie une expérience inédite de « village électrifié », un test grandeur nature à l’échelle de Magnet, une commune de moins de 700 âmes située près de Vichy. Des fabricants de matériel électrique acceptèrent de prêter leurs machines professionnelles ou à usage domestique aux habitants. La durée du test fut fixée à 18 mois. Las, la puissance nécessaire à ces appareils dernier cri est parvenue à Magnet en août 1939, soit quelques jours avant la déclaration de guerre.

La force motrice électrique pour remplacer l'huile de coude

L’expérimentation s’est toutefois poursuivie, avec moins d’ampleur que prévu. Pour les 48 abonnés de la commune qui ont participé à cette première expérience, ce fut tout de même une petite révolution : « Ce qui est arrivé dans les fermes et dans les ateliers d’artisans, c’est la force motrice. Sous la forme d’outillage et de petits moteurs électriques polyvalents, dont certains étaient montés sur des brouettes. Ils vont se substituer à la force musculaire pour actionner les manivelles », décrit Roland Labonne, un ancien mécanicien qui veille avec son compère André sur les milliers de « machines » que recèle l’étonnant Électrodrome.

Un petit moteur électrique qui pouvait actinner différents mécanismes  

Baratter, concasse, moudre, traire sans effort ! Les agriculteurs-cobayes sont convaincus à l’usage. La consommation d’électricité pour la « force motrice agricole » va croître de 947 % entre 1939 et 1941 à Magnet. Le volet électrique de la mécanisation agricole, plus discret que le remplacement des animaux de trait par les tracteurs, a de fait largement participé à la révolution agricole.

Dans les logis aussi

En sus du matériel professionnel, les habitants de Magnet ont testé des cuisinières avec des fours et des plaques électriques, des aspirateurs ou des armoires frigorifiques. Le succès a été moins immédiat, car « tout ce qui chauffait était très énergivore », souligne André Roux.

 

L’école communale fut dotée de radiateurs électriques, « mais, à l’époque, on ouvrait très souvent les fenêtres dans le cadre de la prophylaxie contre la tuberculose », glisse ce retraité, né en 1944.L'Electrodrome de Magnet réserve une bonne place à l'électricité médicale André Roux se souvient de la seconde expérience de « village électrifié », pilotée par EDF en 1952 : « ça nous a apporté l’eau courante. Pour pomper, il fallait bien de l’électricité ! ». Et les habitants de Magnet ont pu tester chauffe-eau et lave-linge. Dans l’élan de l’après-guerre qui s’est traduit par un basculement rapide dans la société de consommation, l’« expérience est plus aboutie ». Ces sages Bourbonnais ne se sont pas pris pour des Américains mais ils ont longtemps conservé une certaine avance en termes d’équipement électrique (et de niveau de consommation) sur leurs contemporains. Avant de devenir des abonnés ordinaires.

Repères chronologiques

1936 Fondation du syndicat intercommunal d’électricité de l’Allier (SIEA) qui décide de donner un coup d’accélérateur à l’électrification rurale. Ce qui donnera lieu à l’expérience de la « commune électrifiée de Magnet » 1952 Sous l’égide de la nouvelle entreprise nationale EDF, une seconde expérience est menée à Magnet et dans trois autres communes rurales en France. 1999 La mémoire des expériences de Magnet est ravivée par la création du portique « Premier village électrifié de France » pour célébrer l’an 2000. L’élan suscité a débouché sur la création de l’Electrodrome.

Julien Rapegno