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Август
2024

Après la pollution de la Jordanne, on fait les comptes : combien ça coûte de polluer une rivière dans le Cantal ?

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Dans le Cantal, plusieurs dossiers concernant des pollutions de rivière imputables à des entreprises ont touché, ces dernières années, la barre du tribunal correctionnel. Le montant des amendes fixé est déterminé par les magistrats, après réquisitions du parquet, et répond à plusieurs critères : l'étendue des dégâts, la surface financière de l'entreprise, sa gestion des événements...

Une enquête a été ouverte après une pollution de la Jordanne, à Aurillac, en ce mois d'août 2024. Un rapide retour sur trois dossiers emblématiques dans le département permet d'observer deux constantes : cela coûte cher, et cela entraîne la publication de la condamnation dans les journaux.

Le record : les méthaniseurs de Salers

En fin de réquisitions face aux dirigeants des deux méthaniseurs de Salers, le procureur de la République Paolo Giambiasi prévient toutes les entreprises susceptibles, un jour, de polluer un cours d'eau : « Avec votre jurisprudence, vous fixez, dans le Cantal, l'appréciation du risque des entreprises susceptibles de polluer. »

Novembre 2021 : le parquet vient de requérir 250.000 € d'amende contre la société exploitant SBZ1 et SBZ2, à Saint-Projet-de-Salers et Saint-Eulalie. Le premier n'a jamais vraiment marché et il a été régulièrement retrouvé du percolat, un liquide très concentré et polluant, dans la Maronne, sous le second, depuis trois ans.

Les réquisitions sont lourdes, pour une entreprise qui n'est pas en récidive. Dans le cadre d'une personne morale, cela peut monter jusqu'à 375.000 € d'amende. Pour le dirigeant, 75.000 € d'amende. Là, c'est la multiplication des infractions, sans solution trouvée malgré l'accompagnement de l'Etat, qui pèse dans la balance, d'autant que les acteurs du dossier se demandent si l'entreprise ne se moque pas du monde. L'entreprise reste ainsi en exploitation, malgré un arrêté l'interdisant...

Je n’ai toujours pas compris ce qu’il fallait faire pour que ces usines de méthanisation arrêtent de polluer, enchaîne le procureur, Paolo Giambiasi. La logique économique prévaut. On exploite, on exploite, on exploite. En automne, c'est la pluie, en hiver, c'est la neige, et en été, c'est la sécheresse. De la neige en hiver, dans le Cantal, on en a, et je ne crois pas que ce soit une découverte.

La mauvaise foi n'a pas aidé la société Salers Biogaz. L'entreprise a été condamnée à 200.000 € d'amende. Elle a également été condamnée à payer plus de 100.000 € de dommages et intérêts, en premier lieu à un voisin qui avait refait son système d'alimentation en eau pour éviter d'avoir du percolat dans ses abreuvoirs, mais aussi à France nature environnement (11.500 €) et à la Fédération de pêche du Cantal (12.000 €). 

L'entreprise n'a pas survécu à cette dette.

Bilan : plus de 300.000 €

85.000 € pour les pêcheurs : Sodiaal, à Saint-Flour

Quand les condamnations pécuniaires restent modérées, ce sont les à-côtés qui peuvent coûter cher. À Saint-Flour, Sodiaal est suspectée d'avoir pollué l'Ander avec de l'ammonium, et les pêcheurs retrouvent des poissons morts. Dans ce dossier, l'entreprise nie la "négligence", qui doit être caractérisée pour emporter une condamnation :

Sauf que ce n’est pas parce qu’il y a une pollution, dommageable, qu’il y a automatiquement négligence. Encore faut-il la démontrer ! Dans ce dossier, rien ne fait la démonstration d’une faute de négligence

Mais en gage de bonne foi, elle monte, en amont de l'audience réalisée en novembre 2022, un protocole avec la Fédération de pêche, et leur verse 80.000 € au titre du préjudice écologique.

Ce principe juridique est récent (2016) et est salué par les associations : cela permet de faire grimper la facture, puisqu'il n'est pas nécessaire de démontrer un préjudice matériel, ou moral. Il suffit de montrer l'atteinte aux milieux naturels. En l'occurrence, le chiffre est important pour la Fédération de pêche, plus modéré pour l'entreprise (45 M € de chiffre d’affaires, 6 M € de bénéfices en 2019). 

Les réquisitions sont plus légères : 10.000 € d'amende. Au final, Sodiaal a été condamné à 6.000 € d'amende, ainsi que 5.000 € de préjudice moral pour la fédération de pêche... et donc 80.000 €.

Bilan : plus de 100.000 €

Le récidiviste : le syndicat mixte du Lioran

Il y a le premier dossier : vingt ans d'errements au niveau de la station d'épuration du Lioran qui se révèlent au grand jour en plein été 2018. L'Alagnon, joyau cantalien, rivière à saumon, est morte sur plusieurs kilomètres, près de sa source.

La station s'avère mal entretenue, mal exploitée par un salarié qui n'a pas les qualifications nécessaires. Cela dure depuis vingt ans, et localement, tout le monde le sait. Cerise sur le gâteau : la partie touchée de la rivière est un endroit touristique.

Pour cette première partie du dossier, le parquet veut frapper fort : 100.000 € d'amende, dont 50.000 avec sursis. C'est très important pour cette petite structure, à ne pas confondre avec la SAEM du Lioran, qui exploite la station de ski. Les réquisitions seront largement baissées : le syndicat mixte du Lioran est condamné en novembre 2019 à 5.000 € d'amende, et 5.000 € d'amende avec sursis. La structure verse également 18.000 € de dommages et intérêts à trois associations, dont la Fédération de pêche du Cantal.

Las. Août 2022, les pêcheurs de Murat portent à nouveau plainte, pour des lâchers dans l'Alagnon. Un « incident isolé auquel nous avons remédié, indique Jamel Belaidi, conseiller départemental, qui a récupéré la présidence du syndicat mixte depuis la première condamnation. C'est un souci mécanique sur un treuil qui a entraîné ce lâcher. Un seul agent était en poste ce jour-là, les deux autres étaient en congé. Et, suite à un sabotage des fils télécom, l’alerte que nous avons sur les téléphones n’a pas fonctionné. »

Des travaux de mise en conformité ont été faits, et ont été inaugurés publiquement quelques jours avant l'audience correctionnelle, le 5 juillet 2024. Le délibéré sera rendu en septembre, le parquet a requis 50.000 € d'amende, et la révocation des 5.000 € d'amende avec sursis déjà prononcés. Le parquet a également requis, comme dans le dossier des méthaniseurs de Salers, la publication de la condamnation dans la presse, dans un encart qui vient s'ajouter à un éventuel article relatant l'audience. La rivière appartient à tous les Cantaliens. Si une entreprise est condamnée pour cela, les Cantaliens le sauront.

Pierre Chambaud