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Август
2024

100 bornes à vélo entre la Loire et les vignes des coteaux-du-giennois

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Le vent est le compagnon capricieux du cycliste. Nous aimons l’avoir dans le dos, beaucoup moins de travers sur le bitume de la Loire à vélo, entre Belleville-sur-Loire, dans le Cher, et Cosne-sur-Loire, un peu plus au sud et sur l’autre rive, dans la Nièvre. Il hurle dans les oreilles, il est comme une montagne invisible, un géant qui vous pose la main sur le front pour bloquer votre avancée.

Cela fait doucement rigoler Marc Thibault, au domaine de Villargeau. Il a fallu grimper un peu, à travers des chemins, pour atteindre ses vignes, à Pougny, sur les hauteurs de Cosne. "J’ai déjà eu un journaliste anglais qui faisait la Loire à vélo", raconte ce vigneron volubile, qui gère le domaine avec son frère Yves et Christophe Monget. Je suis donc la seconde personne en cuissard moulant à entrer dans la cave familiale. Plus que le vent, qui a l’avantage de chasser les nuages, c’est le mildiou qui gâche l’été vigneron, en cette journée de mi-juillet.

On est passé à travers le gel, on n’a pas eu de grêle, mais on a eu une quantité d’eau incroyable.

Et même s’il ne pleut plus, le champignon prolifère toujours avec l’humidité. Ce qui laisse présager une production limitée en 2024, après deux bonnes années.

Un Petit Poucet viticole

Il est déjà 15 heures, 60 km dans les pattes, et une idée un peu plus précise de cette appellation atypique, que nous avons décidé de découvrir à vélo. Les coteaux-du-giennois longent la Loire, de Gien à Cosne-sur-Loire, pour 220 hectares de vignes (c’est très peu), à peine une quarantaine de producteurs. Un Petit Poucet viticole, à quinze kilomètres de l’ogre sancerrois, avec un réel déficit de notoriété. Ici, le vignoble se mérite. Quelques vignes en surplomb de la Loire, vers Ousson et Bonny, d’autres sur les coteaux de Briare. Un peu plus de rangs sur les petites collines et les creux de Saint-Père et Pougny, dans la Nièvre. Au départ de Briare, par le canal latéral, les premières vignes sont au bord d’un chemin de terre, à Beaulieu-sur-Loire (domaine Guérot), facilement accessible à vélo. On ne reverra pas le moindre cep avant Saint-Père, une heure trente plus tard.

À la vitesse du cycliste, on touche de près la diversité des coteaux-du-giennois. La Loire, une succession de (petites) collines, où vignes et céréales cohabitent, des sols différents, argileux, calcaires et siliceux. "La diversité est grande, et parfois au sein d’une même colline", précise Marc Thibault, qui porte avec d’autres le souhait de mieux identifier ces spécificités de terroir, pour guider les acheteurs.

On est une petite appellation, mais qui est forte d’une grande diversité.

Pour tenir la journée, il faut boire nettement plus d’eau que de vin. C’est à ce prix que l’on grimpe au domaine Nérot, pour la première gorgée de sauvignon. On retire le casque deux heures trente après le départ de Briare. La trentaine, Julie Nérot a repris le domaine familial, l’un des plus anciens des coteaux-du-giennois, en 2011. Pas de chance, le cycliste essoufflé n’arrive pas au bon moment. La vigneronne a, elle aussi, des sueurs, en plein boulot d’embouteillage. Pas le temps, on comprend…

Agrumes, fraîcheur du sauvignon, légère acidité et une note finale qui s’installe. Le petit Jésus en culotte de velours, si cette expression a encore un sens en 2024, on n’a pas trouvé mieux à la dégustation du sauvignon Nérot, servi par Clara, qui accueille les clients pendant la saison printemps-été. Peut-être a-t-on été étourdi par l’attente et les kilomètres. Ou pas. La première gorgée, on le sait, a toujours une saveur unique. Il faudra revenir… En dehors des bouteilles, le domaine joue à fond la carte du tourisme, avec des soirées à boire et à manger et une tiny house au bout des rangs de vignes, avec vue sur les collines. "La semaine dernière, on avait un couple de New-Yorkais", vante Clara.

À 20 km/h, le temps s’allonge…

L’avantage, avec le vélo, c’est de ressentir physiquement le paysage. On n’a pas ça dans un SUV avec clim. Les descentes grisantes, les montées qui essoufflent, les rivières qui coulent en contrebas, les pierres qui roulent sous les pneus, les ornières piégeuses, le vent dans les arbres, les haies qui vous mettent à l’abri. Le problème, c’est le temps qui file à 20 km/h : 100 km d’aventure, plus les arrêts, cela donne une grosse amplitude horaire. Alors, grosse frustration, il faut faire des impasses. À Beaulieu, on a raté la famille Guérot le matin. On avait aussi coché le domaine Langlois à Pougny, le Clos des Cortillaux à Ousson. Au domaine Couet Fontaine, à Saint-Père, ce n’était pas le bon jour. Plus bas, devant l’étonnante église gothique de Saint-Père, Marie-Christine Veneau est à la cave. Sans quitter bottes et tablier, elle fait gentiment une pause d’une quinzaine de minutes. Les vignes du domaine familial datent de 1973, alors que l’obtention de l’AOC, en 1998, était encore bien loin. "À l’époque, avec Sancerre et Pouilly à côté, ils ont pensé que c’était mieux de planter du rouge", explique la vigneronne qui a repris en 2001 la suite de son oncle et de son père. Elle a gardé cette particularité, alors que la tendance est à présent au blanc.

J’ai une cuvée qui peut se garder, avec plusieurs millésimes en vente. Elle est en majorité composée de pinot : 80 % pour 20 % de gamay.

Cette figure du vignoble a vu grandir la place du blanc et l’arrivée de producteurs de sancerre, qui complètent leur gamme avec un coteaux-du-giennois. "Ce ne seront sans doute pas les meilleurs ambassadeurs pour les coteaux-du-giennois, regrette-t-elle. Les gens qui goûtent un coteaux-du-giennois dans une cave à Sancerre ne viennent pas ensuite chez nous."

Avec Émile Balland, installé plus au nord, dans le Loiret, on avait pris rendez-vous à l’avance. Valeur sûre de l’appellation, le vigneron a des racines sancerroises, où il exploite un hectare en plus de ses sept hectares de coteaux-du-giennois. De la centrale de Belleville à Neuvy-sur-Loire, puis Bonny-sur-Loire, on passe du Cher à la Nièvre au Loiret en à peine 10 bornes. "Allô, vous êtes où en fait ? À Bonny ?" Mais la cave du vigneron est à Neuvy. Quiproquo fatal quand on a encore cinquante minutes de vélo… On le rappelle trois jours plus tard. Les Sancerrois ?

Cela participe au développement de la notoriété. Dans un monde idéal, ce serait bien d’avoir des gens qui s’installent pour faire des coteaux-du-giennois leur cheval de bataille. Mais tout bien pesé, cela reste un indicateur positif ; quand on vient faire du vin, c’est pour faire le meilleur possible et le valoriser, ce qui confirme l’attrait de l’appellation.

Commercialement, les coteaux-du-giennois profitent pleinement de la dynamique des vins du Centre et commencent à faire leur place, estime Émile Balland : "Ce qui fait aussi la notoriété, c’est le nombre de bouteilles que l’on peut mettre sur le marché : statistiquement, il y a moins de chance de trouver au restaurant un coteaux-du-giennois qu’un sancerre. Mais quand on veut sortir des sentiers battus, les coteaux-du-giennois peuvent être sur ce créneau, dans un sens, c’est un vin d’amateurs." C’est comme à vélo : les chemins de traverse sont l’assurance de plus de plaisir.

idée découverte

Le 25 août. Échappée à vélo à la découverte des environs de Briare. Trois parcours de 13, 22 et 37 km sont proposés entre Gien et Briare, en direction de Châtillon-sur-Loire et enfin vers Dammarie-en-Puisaye. Animations et producteurs locaux au programme. C’est gratuit ! Plus de détails sur www.echappeesavelo.fr

Philippe Cros