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Август
2024

"Il donnait son amitié, il ne la prêtait pas", témoigne l'ancien maire de Montluçon Daniel Dugléry, un proche d'Alain Delon

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En 1996, Daniel Dugléry est fait chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur en présence d’Alain Delon. Les deux hommes sont tout sourire.À la faveur d’un service rendu sur un lieu de tournage, à la fin des années 80, l’ancien maire de Montluçon (Allier), Daniel Dugléry, qui était à l'époque haut fonctionnaire de police à Paris, avait noué une belle relation d’amitié avec Alain Delon. Alors que l'on a appris le décès de l'acteur ce dimanche 18 août 2024, à l'âge de 88 ans, Daniel Dugléry se souvient.

Interview

Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Alain Delon ?

Daniel Dugléry : "Très bien car c’est à cette occasion que nous avons scellé notre amitié. En 1988, il tournait un film dont je ne me rappelle pas le nom (Ne réveillez pas un flic qui dort, N.D.L.R) dans la banlieue parisienne. Il jouait le rôle d’un commissaire de police et, le dernier jour du tournage, la société Manurhin voulait lui remettre une arme de grande qualité dont la crosse avait été façonnée dans la nacre à sa main. Quelques minutes avant la cérémonie qui rassemblait la presse internationale, ils se sont aperçus qu’ils n’avaient pas d’autorisation de détention d’arme. Dans l’urgence, la production a demandé qu’un arrêté soit pris par le préfet de police, ce qui a été refusé."

C’est là que vous intervenez…

"Tout à fait. En fait, celui qui assurait la dotation d’armes pour le film était mon voisin quand j’habitais à Paris. À l’époque, j’étais président du syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires et j’entretenais de très bonnes relations avec Pierre Verbrugghe, le préfet de police. Je lui ai expliqué la situation, il m’a dit “ce n’est pas parce que c’est Delon”.

J'ai répondu au préfet que c'était une star internationale et qu'on pouvait de temps en temps accélérer les choses.

Comment cela s'est-il terminé ?

"J'ai finalement eu gain de cause. En ronchonnant, le préfet m'a dit que je pouvais passer chercher l'arrêté de détention d'arme à 17 heures. Quand j’ai eu l’arrêté, je me suis perdu pour arriver sur le lieu du tournage car on n'avait pas le téléphone portable. La fin du tournage avait lieu dans le réfectoire de l'hôpital et je suis arrivé avec beaucoup de retard. Je me suis retrouvé à une barrière, un portier m'a dit que je ne pouvais pas entrer. Je lui ai répondu : "dites à Monsieur Delon que monsieur Dugléry est arrivé". Cinq minutes après, j'ai vu mon voisin qui m'avait sollicité courir tout excité, car il ne savait pas si j'avais le précieux document."

"On est ensuite parti tous les deux dans les méandres de l'hôpital et on a rejoint la grande salle où tout le monde était rassemblé. Delon était tout seul dans une sorte de caravane. Quand il a su que j’avais l’arrêté, il m’a pris dans ses bras en me disant “tu sauves mon honneur. Je ne l’oublierai jamais, nous sommes amis pour la vie”."

Ce jour-là, vous avez un peu discuté avec lui ?

"Oui. Il m'a posé des questions sur mon métier de policier. Il m'avait expliqué qu'il était très attentif aux problèmes des policiers. Je me rappelle très bien de sa conclusion. Il m'a dit : "comme on est du même âge, c'est normal que l'on partage les mêmes valeurs". Je n'ai pas pu le dissuader qu'il avait dix ans de plus que moi." 

Cela aurait pu être des paroles en l’air…

"Ce ne l’était pas. Car après on s’est revu à de très nombreuses reprises. Il était toujours présent lors des cérémonies de remise de la Légion d’honneur. Quand on m’a remis les insignes d’officier à Montluçon, il était là. Il avait pris exprès l’avion du Japon pour arriver à Roissy, louer une bagnole et être à l’heure dite à Montluçon. On se voyait aussi régulièrement à Paris où on déjeunait ensemble. Le problème, toutes les trois minutes, même au Fouquet’s où il y a beaucoup d’artistes, les gens venaient lui raconter des histoires ou solliciter un autographe. Sa notoriété lui rendait la vie difficile."

Quand on allait au restaurant, on essayait toujours de trouver un coin tranquille.

De gauche à droite : Daniel Dugléry, Pierre Joxe, Alain Fabius, Michel Rocard, Alain Poher et Alain Delon, en 1988, lors des vœux des commissaires à "la conciergerie". "Delon était monté sur scène, ce qui n'avait pas plu à Pierre Joxe", sourit Daniel Dugléry.

Vous l’avez eu au téléphone il y a quelques mois. Quelle impression vous a-t-il laissé ?

"Celle d’un homme qui avait abandonné tout attachement à cette vie d’aujourd’hui. Il m’avait dit qu’il avait hâte de partir car plus rien ne le retenait dans ce monde. J’ai compris ce jour-là qu’il était extrêmement las, que les problèmes avec son entourage lui pesaient énormément et qu’il aspirait à partir. Il ne voulait plus se battre."

Votre discussion a duré longtemps ?

"On a parlé un bon moment car, contrairement à ce qu’ont pu dire certains, il avait toute sa tête. On a échangé sur la marche du monde, la politique française et il avait d’ailleurs eu des mots très durs sur la nouvelle génération de politiques qui oublie un certain nombre de valeurs essentielles. Il me disait que les politiques agissaient dans l’instant sans jamais se soucier du lendemain. J’ajoute qu’Alain était un grand patriote. Il avait racheté aux enchères l’appel du 18 juin du général de Gaulle. Il était imprégné des peurs d’une certaine France, notamment la France de la libération. Il avait connu la guerre d’Indochine."

Alain Delon était censé revenir un jour à Montluçon, pour inaugurer un nouveau complexe cinématographique, qui n’a toujours pas vu le jour...

"C’est vrai. La dernière fois, j’avais dit à Alain : “il faut quand même tenir car il y aura le multiplexe à inaugurer”. Il m’a dit en plaisantant que je pouvais donner son nom à titre posthume."

En 1996, Daniel Dugléry est fait chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur en présence d’Alain Delon. Les deux hommes sont tout sourire.

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Fabrice Redon