Soirée mousse
Blonde, blanche, brune, ambrée… la bière se décline à l’envi et séduit de plus en plus d’amateurs, des campings aux restos étoilés. Ce breuvage millénaire, dégusté dans le monde entier, a trouvé en France une terre d’élection, jusqu’à constituer une véritable économie. Quelques conseils avisés pour siroter, cet été, une pinte à votre goût.
L’amateur de bière est certainement plus détendu que l’amateur de vin. Il ne crache pas, n’exhibe pas son savoir et se laisse aller au simple plaisir de boire… Ce n’est pas non plus un obsédé du terroir, la bière pouvant être fabriquée n’importe où sans qu’il soit possible d’identifier l’influence du lieu qui l’a vue naître (à l’exception, peut-être, des bières corses, qui intègrent des produits locaux comme la farine de châtaigne, le miel du maquis et la fleur d’immortelle). En commandant une pression, son plus grand plaisir est de « partager le fût » avec ses copains. Et face à une bière soi-disant d’exception, la première question qu’il pose est : « Est-ce que c’est pintable ? » (« Est-ce qu’on a envie d’en boire une pinte ? »)
La bière, une histoire universelle
Plusieurs fois millénaire, la bière est aujourd’hui la boisson la plus consommée dans le monde (après l’eau et le thé) mais aussi, peut-être, la plus méconnue. Son nom apparaît pour la première fois sur des tablettes d’argile gravées par les Sumériens qui l’appellent sikaru. C’est alors une boisson sacrée offerte à la déesse Nin-Harra. L’Empire babylonien, qui succède à Sumer, accorde une importance sociale très importante à la bière puisque le Code du roi Hammourabi (env. 1750 avant J.-C.) stipule que les brasseurs reconnus coupables d’avoir produit une boisson impropre à la consommation seront condamnés à être noyés dans leur propre bière… À cette époque, la bière, c’est essentiellement de l’orge germée (malt), broyée en farine, façonnée en pain, cuite au four, puis fermentée dans de l’eau. En Égypte, on l’appelle « vin du Nil ». La déesse Isis, protectrice des céréales, est associée à Osiris, patron des brasseurs. Des hiéroglyphes décrivent ce rituel de la bière servie dans des cruches fraîches et bue à la nuit tombante : rêver de bière dans son sommeil est perçu comme un bon présage. Avant que les Romains les envahissent et développent la culture de la vigne, les Gaulois aussi aiment la cervoise qu’ils conservent dans des tonneaux. Mais le plus étonnant, dans cette histoire universelle de la bière, c’est de constater que, jusqu’au début du XXe siècle, et ce quelle que soit la civilisation, elle reste l’apanage des femmes chargées de la fabriquer. La femme, seule, possédant dans l’imaginaire des mythes le pouvoir de transformer les céréales en une boisson désaltérante et enivrante (comme chez les Incas, où seules, des « vierges du soleil » ont le droit de préparer la bière de maïs de l’empereur). Longtemps, dans les tréfonds de l’Allemagne luthérienne, la jeune mariée récite cette prière en pénétrant dans sa nouvelle demeure : « Notre Seigneur, quand je brasse, aide la bière, quand je pétris, aide le pain. » De même, en 1900, en France, des campagnes publicitaires incitent les femmes à boire de la bière censée favoriser l’allaitement… (C’était avant la loi Évin !)
Depuis quelques années, le monde de la bière est en pleine effervescence. Et la France, que l’on connaissait pour être la patrie des grands vins, se révèle aussi comme le pays d’Europe qui, ô surprise, compte le plus grand nombre de brasseries : 2 500 ! D’ailleurs, 70 % des bières consommées sur notre territoire sont produites localement. La première région brassicole est l’Auvergne-Rhône-Alpes qui abrite à elle seule 386 brasseries. De l’épi au demi, l’économie de la bière représente pas moins de 130 500 personnes pour 15 millions d’euros de chiffre d’affaires. La France produit aussi 4 millions de tonnes d’orge (la plus vieille céréale du monde), ce qui fait d’elle le second exportateur mondial. On recense 207 houblonniers (répartis surtout en Alsace et dans le Nord). Ce faisant, la bière a changé de statut : artisanale, elle est devenue une boisson qualitative que de plus en plus de grands chefs étoilés n’hésitent plus à proposer, à l’égal d’un bon vin, et à marier avec des plats (comme Édouard Chouteau, dans son restaurant La Laiterie, à Lambersart, près de Lille). Dans les concours de meilleurs sommeliers de France, les questions portant sur les différents types de bières sont devenues incontournables. Bref, la bière est devenue une boisson chic !
Laurent Cicurel, le patron de La Fine Mousse (l’un des premiers bars à bières de la capitale) résume bien cette tendance : « Demander un demi, comme le faisait le commissaire Maigret, n’a plus aucun sens aujourd’hui… Un demi de quoi ? Blonde, blanche, brune, ambrée ? Gueuze, kriek, IPA, stout, Barley Wine, Porters, bière de saison ? La diversité est immense et la palette aromatique est plus large que celle du vin : une bière peut être herbacée, florale, fruitée, boisée, caramélisée, épicée, acide, amère… On vient ici pour découvrir de nouveaux goûts. La Fine Mousse ne sélectionne que des bières artisanales produites par des brasseries indépendantes : sur 2 500 brasseries françaises, j’estime qu’il y en a moins de 50 qui ont un haut niveau d’excellence. »
Jusqu’à la fin des années 1990, les industriels de la bière régnaient sans partage et se contentaient de servir de la blonde légère (type lager ou pils – la bière inventée par les Tchèques de Pilsen il y a cent cinquante ans).
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Depuis le début des années 2000, c’est l’IPA (India Pale Ale) qui est devenue la bière de référence aux yeux des connaisseurs. Cette bière anglaise blonde, pâle et amère, est le fruit du mariage génial entre le malt et le houblon. En effet, pour que les bières supportent le voyage en bateau jusqu’en Inde ou en Afrique du Sud, les brasseurs de Manchester et d’ailleurs avaient eu l’idée d’ajouter de la fleur de houblon, dont les huiles essentielles miraculeuses protègent la bière de l’oxydation et des contaminations microbiennes. Surnommé l’« épice de la bière », le houblon apporte de surcroît au breuvage une amertume virile et des notes délicieuses d’agrumes et de fruits exotiques. La bière houblonnée, pourtant, est restée longtemps oubliée, et ce sont les brasseurs américains qui l’ont remise sur le devant de la scène.
En 1978, le président Jimmy Carter abroge une loi datant de la prohibition qui interdisait le brassage de la bière à domicile. Une nouvelle génération de microbrasseurs apparaît alors aux États-Unis, dont l’objectif est de redonner du goût à la bière, qu’ils baptisent « Craft Beer ». Pour cela, rien de tel que la bonne vieille recette des brasseurs anglais de l’empire des Indes ! Le houblon fait alors son retour.
Une « bière artisanale », toutefois, n’est pas nécessairement gage de qualité. Souvent, la « petite bière locale » n’est rien d’autre qu’un attrape-touristes (comme celle de l’île de Ré). Surtout, la mode de l’IPA a généré un certain conformisme : en forçant sur le houblon et ses notes de fruits exotiques, les brasseurs se contentent d’appliquer une recette commerciale. Sur les dizaines de bières dégustées, voici celles que nous vous recommandons pour cet été.
Brasserie Thiriez
Fondée par le pionnier Daniel Thiriez, au village d’Esquelbec, près de Dunkerque, cette brasserie a été la première en France à produire des bières houblonnées vieillies en fût de chêne. Belle mousse blanc nacré, nez de foin séché et d’agrumes. Aux États-Unis, Daniel Thiriez est une star.
www.brasseriethiriez.com
La Micro-Brasserie du Vieux-Lille
Une institution depuis 1740 ! Amaury d’Herbigny fabrique ici des bières gastronomiques de toute beauté, non filtrées et non pasteurisées, à partir de houblons et de malts bio des Flandres. Idéales pour accompagner un homard cuit au beurre, une tarte welsh, des moules-frites, une salade de betteraves au magret de canard fumé, un waterzoï, une mimolette vieille…
www.celestinlille.fr
Brasserie Uberach
Située dans la région qui concentre le plus de brasseries en France (Kronenbourg, Heineken, Meteor, Fisher…), cette brasserie des Vosges fondée en 1999 par Éric Trossat utilise des houblons alsaciens et des céréales bio. Ses IPA, notamment celles parfumées à la rose et au gingembre, sont élégantes, légères, élancées comme un clocher alsacien surmonté d’une cigogne.
www.brasserie-uberach.fr
Les Brassées de Nantes
Cette microbrasserie nantaise créée en 2016 par Gabriel Charrin est l’une des meilleures de France. Gabriel utilise ses propres houblons, récoltés à proximité et non séchés, afin d’apporter à la bière un maximum de parfums et une texture soyeuse que je n’ai trouvée nulle part ailleurs.
www.lesbrasses.fr
La Brasserie du Grand Paris
Fabrice Le Goff est devenu en quelques années l’une des plus célèbres figures de la bière artisanale française. Brassées à Levallois-Perret, ses IPA percutantes et résineuses ont un côté très « rock » (entre Led Zeppelin et Frank Zappa).
www.bgp.com
Bière d’abbaye de Saint-Wandrille
C’est la dernière bière fabriquée par des moines, l’appellation « bière d’abbaye » ayant été récupérée par l’industrie d’une façon totalement mercantile. Ronde et dodue.
www.boutique-saintwandrille.com
Où boire une bonne bière artisanale à Paris ?
La Fine Mousse
6, avenue Jean-Aicard, 75011 Paris
www.lafinemousse.fr
La Binouze
72, rue Marguerite-de-Rochechouart, 75009 Paris
www.labinouze.fr
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