Un été littérature – 13) Huis-clos
Les Justes, d’Albert Camus
Cette pièce d’Albert Camus est basée sur des faits réels, ceux de l’organisation d’un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar, en 1905, par un groupe de terroristes appartenant au Parti socialiste révolutionnaire.
On suit ici les discussions parsemées de convictions et de doutes ou d’hésitations entre ses différents membres, depuis la préparation de l’attentat jusqu’à la prison, en passant par la terrible douleur du constat de la mort d’enfants innocents, qui accentuent tous les troubles de conscience que peuvent avoir certains des protagonistes.
Jusqu’où conduit l’idéalisme ? Peut-on attenter sans remords à la vie des autres pour défendre un idéal de justice par lequel on est convaincu ? Quelle liberté défend-t-on au juste et à quel prix ? Peut-on aller jusqu’à considérer, face à la tâche de tuer par idéalisme, et comme les khmers rouges en avaient fait leur profession de foi, que « notre cœur ne nourrit ni sentiments ni esprit de tolérance », a-t-on envie de demander.
La question est grave. Albert Camus affirme pourtant éprouver « respect et admiration pour des hommes et des femmes qui, dans la plus impitoyable des tâches, n’ont pas pu guérir de leur cœur ». C’est ce qui l’a conduit à écrire cette pièce, ajoutant toutefois : « On a fait des progrès depuis, il est vrai, et la haine qui pesait sur ces âmes exceptionnelles comme une intolérable souffrance est devenue un système confortable ».
Souffrance ou pas, le résultat est le même. Et je me garderai bien d’éprouver, pour ma part, une quelconque admiration pour ces terroristes. La lecture du livre n’en revêt pas moins un certain intérêt, au même titre que le Crime et châtiment de Dostoïevski, sur un sujet voisin. Avec un même point commun : l’analyse psychologique de l’assassin.
— Albert Camus, Les justes, Folio, 160 pages.
La symphonie pastorale, d’André Gide
Quel plaisir j’ai eu à relire ce roman qui m’avait marqué par la qualité de sa narration et la profondeur des sentiments qui y sont décrits !
Une histoire qui commence à la manière du film Nell, si vous connaissez (peut-on penser que le scénariste se serait inspiré du célèbre roman d’André Gide ?). Ici, un pasteur appelé à se rendre au chevet d’une vieille dame tout juste décédée et vivant retirée, découvre une jeune fille recluse dans un coin de la vieille maison. Cette sorte d’enfant sauvage est en fait aveugle, et a subi l’absence d’éducation et de soin de la vieille dame qui l’avait en charge et était quant à elle sourde.
Ému par la situation et n’écoutant que son cœur, le pasteur décide de recueillir la jeune adolescente au sein de son foyer, au dépit de son épouse, qui a déjà fort à faire avec quatre enfants à nourrir et éduquer, dans une modeste demeure déjà exiguë.
Le pasteur va ensuite s’évertuer à tenter de sortir la jeune aveugle de son monde cloisonné, tenter des premières formes de communication, avant de lui apprendre le langage et l’éveiller au monde qui l’entoure. Tâche difficile, dans laquelle les résultats sont excessivement lents et la patience primordiale. Les premiers temps seront d’ailleurs au découragement. Mais son épouse lui sera d’une aide particulièrement précieuse.
Après tout, d’autres n’ont-ils pas réussi, dans des temps passés, là où la situation pouvait être autrement plus difficile, à l’image de cette Helen Keller, par exemple, qui était, elle, à la fois aveugle et sourde (ainsi que muette en apparence) ?
Mais, comme souvent, ce n’est pas seulement la jeune femme qui va apprendre. À l’instar du personnage principal du Pays des aveugles, ou encore en s’inspirant des leçons du Grillon Du Foyer de Charles Dickens (cité par André Gide), le pasteur va découvrir encore des choses sur la nature humaine, à commencer par la nature de ses propres sentiments…
Un superbe roman, profond, à l’écriture soignée, dont le langage qui peut paraître un tantinet désuet aujourd’hui, est un véritable ravissement pour ceux qui aiment la douce musique (ou symphonie) des mots.
— André Gide, La symphonie pastorale, Flammarion, 160 pages.
Hygiène de l’assassin, d’Amélie Nothomb
Jamais Amélie Nothomb n’a atteint, me semble-t-il, un tel sommet que dans ce premier roman (tout au moins le premier à être édité), même si j’en ai également aimé tout autant d’autres, notamment Les catilinaires.
L’un des reproches que l’on peut établir à l’encontre de la plupart de ses productions est leur très faible longueur, même si la qualité d’une production ne se mesure pas forcément à son épaisseur, comme chacun sait. Mais voilà au moins un reproche que je ne puis exprimer à l’endroit de ce premier volume, un peu plus long que les autres. L’écriture est enlevée, le rythme rapide, le style incisif et original. Pas le temps de s’ennuyer.
Ici, nous retrouvons un personnage qui a en commun avec beaucoup d’autres qui suivront dans l’œuvre d’Amélie Nothomb une forme évoluée de cynisme et de regard sans concession ni sens de la diplomatie sur les choses de la vie ou les comportements sociaux (hypocrisie, mauvaise foi, mimétisme…), sans d’ailleurs qu’il soit lui-même parfait ou irréprochable aux yeux des autres puisque, bien au contraire, on peut l’affubler de nombreux autres défauts : misogynie extrême, caractère odieux et prétentieux, affabulation, misanthropie, parmi d’autres encore.
Les dialogues entre cet écrivain prix Nobel de littérature proche de la mort et ses interviewers journalistes sont incisifs et sans concession, mêlant humour sombre et parodie.
Mais je n’en dis pas plus sur le contenu de l’histoire, afin que vous puissiez savourer pleinement ce roman très réussi, celui qui m’a donné l’envie de lire ensuite chaque année Amélie Nothomb pendant un temps, même si de plus en plus nombreuses ont été les déceptions au fil des années, n’en rendant pas moins l’auteur bien sympathique et digne d’intérêt.
— Amélie Nothomb, Hygiène de l’assassin, Le Livre de Poche, 224 pages.
Une partie de chasse, d’Agnès Desarthe
Bon petit roman que cette partie de chasse, qui nous entraîne hors des sentiers battus, nous invitant à la fois à un dialogue imaginaire, d’essence philosophique, entre un humain et un lapin, mais aussi à un dialogue, ou peut-être au contraire une absence de véritable dialogue, entre quatre hommes de nature bien différente, qui recèlent chacun un secret au fond de leur âme, qui les ronge et peut-être les rapprochera, à moins qu’il ne les sépare encore davantage.
Mais ce sont surtout ici les ravages du déchaînement des éléments de la nature qui vont agir comme révélateur et montrer les hommes dans toute leur authenticité et leurs contradictions.
Un récit qui commence calmement, puis s’accélère au gré du déferlement des éléments et de l’ouragan qui emporte tout sur son passage, jusqu’aux dernières illusions de certains d’entre eux.
Une histoire sombre, mais qui se lit très facilement et avec plaisir, emportant le lecteur avec lui, dans le tourbillon des mots et le souffle de la passion.
— Agnès Desarthe, Une partie de chasse, Belin – Gallimard, 224 pages.
Les naufragés de la salle d’attente, de Tom Noti
Ce roman en forme de huis-clos est à la fois captivant, facile à lire et agréable pour passer de bons moments de lecture tout en détente.
François, Hervé, et Gabriela sont trois personnages aux personnalités très différentes, que nous allons apprendre à découvrir. Ils ne se connaissent pas encore lorsqu’ils se retrouvent enfermés malgré eux dans la salle d’attente d’un psychologue grenoblois, à la suite d’un terrible accident de tramway qui a plongé tout le quartier dans l’obscurité et rendu inopérante l’ouverture du cabinet, moderne et automatisée, s’ouvrant donc par l’intermédiaire du courant électrique.
Or, étonnamment, le psychologue n’est pas là, pas plus que sa femme, qui officie également dans les mêmes locaux, ce qui renforce l’atmosphère particulière et quelque peu stressante des lieux, dans ces circonstances peu banales. D’autant qu’il leur semble bien qu’un autre individu se trouve apparemment présent dans l’une des pièces, mystérieusement enfermé et silencieux. Ce qui ne manque pas d’ajouter à leur angoisse.
Comment ces trois personnages vont-ils réagir à la situation, qui va de fait s’éterniser ? Quels liens ou méfiances vont-ils tisser ou éprouver les uns à l’égard des autres, chacun se demandant ce qui l’amène l’autre dans la salle d’attente d’un psychologue, et s’il est fou.
Tous les ingrédients sont réunis pour nous faire passer quelques heures de lecture plaisantes, où vont alterner scènes cocasses, instants dramatiques, méfiances réciproques, confessions intimes et tensions exacerbées. Un vrai plaisir.
Juste une petite réserve pour le dernier quart du livre, qui amorce une rupture avec ce qui précède et abandonne la relative légèreté et drôlerie de la situation pour s’enfoncer un peu trop dans le mélodrame. Mais on oublie volontiers cette faiblesse relative pour rester sur la très bonne impression précédente et conseiller sans autre réserve cette lecture bien sympathique.
— Tom Noti, Les naufragés de la salle d’attente, Paul et Mike, novembre 2016, 256 pages.
_________
À lire aussi :
- Un été littérature – 1) Grands classiques de la Littérature
- Un été littérature – 2) Littérature épistolaire
- Un été littérature – 3) Théâtre classique
- Un été littérature – 4) Théâtre moderne
- Un été littérature – 5) Théâtre moderne très récent
- Un été littérature – 6) L’univers des contes
- Un été littérature – 7) Littérature maritime
- Un été littérature – 8) Littérature témoignage
- Un été littérature – 9) Littérature sur les mots
- Un été littérature – 10) Littérature à suspense
- Un été littérature – 11) Littérature fantastique
- Un été littérature – 12) Littérature tragique ou tourmentée