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Август
2024

Avec Sirius Space Services, la France tient-elle son SpaceX national ?

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Son temps ? Précieux. Son débit de paroles ? Affolé, mais plein d'assurance. Antoine Fourcade, cofondateur et président de Sirius Space Services, start-up née en 2020 développant une gamme de minilanceurs réutilisables et durables, est à vrai dire en pleine course vers l'espace et il n'est pas évident de le saisir en vol. Le compte à rebours est d'ores et déjà lancé : chaque étape vers le lancement inaugural de son premier mini-lanceur Sirius1, programmé pour 2027, est cruciale. La concurrence dans le secteur est rude, et les places extrêmement chères. D'autant que l'enjeu est de taille pour le spatial français, qui a investi pour 400 millions d'euros de vols inauguraux en vue de se doter d'un - ou plusieurs - champions sur le marché des minilanceurs en réaction aux ambitions américaines et chinoises et face à l'émergence de nouveaux acteurs en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Mais le jeune dirigeant de 22 ans, la force tranquille, maintient sa trajectoire : " On ne développe pas un lanceur pour faire rêver des ingénieurs, décoche-t-il. On est là pour avoir une société pérenne dans le temps et qui ne se repose pas sur les subventions publiques. On doit être les meilleurs sur le marché ", affirme d'emblée Antoine Fourcade. Le ton est donné. 

Un projet étudiant stratosphérique à l'origine d'une start-up du New Space 

" Je suis tombé dans le monde du spatial à l'âge de 13 ans ". Le PDG de Sirius Space Services est encore adolescent lorsqu'il rejoint le projet Perseus (Projet Étudiant de Recherche Spatiale Européen Universitaire et Scientifique), né en 2005 à l'initiative du CNES (Centre national d'études spatiales). Rassemblant quelque 350 d'étudiants de toutes les écoles d'ingénieur, cet ambitieux projet cherche à faire naitre des vocations dans le domaine des lanceurs - marché clé du New Space et quasiment monopolisé par SpaceX, l'entreprise d'Elon Musk - et apprend aux étudiants " à conduire un projet d'ingénierie, notamment sur les différentes revues (conception système, etc.) qui jalonnent un programme de développement ", précise Antoine Fourcade. Un projet est entre autres piloté par le GAREF, club de loisirs scientifiques pour les jeunes de 8 à 25 ans où il occupera le rôle de vice-président jusqu'à ses 18 ans. " J'ai commencé à entreprendre, en tout cas en termes d'expérience de gestion ", confie-t-il. Le bac en poche, ce dernier entre en prépa scientifique et cible les écoles d'ingénieur rencontrées dans le cadre de Perseus. Pour son TIPE [travaux réalisés tout au long de la prépa et évalués lors des concours d'entrée aux écoles, ndlr], et grâce à son expérience antérieure sur des ballons-sondes et fusées-sondes, il réfléchit avec son binôme étudiant, Ghislain Benard (aujourd'hui co-fondateur et CIO de l'entreprise), à " remettre au goût du jour le Rockoon - contraction de " rocket " et " balloon " - technologie consistant à lancer une fusée non plus au sol mais en altitude. " Les choses évoluent rapidement avec le Covid : disposant de plus de temps pour travailler sur leur TIPE, les deux étudiants intègrent l'accélérateur de l'agence spatiale européenne (l'ESA BIC) adressé aux startups du spatial de moins de cinq ans.  " Il n'y avait pas encore beaucoup de mini ou de microlanceurs en France, c'était maintenant ou jamais. On nous disait que d'ici un an ce serait déjà trop tard. " Inévitablement, Antoine Fourcade et Ghislain Benard mettent en pause la prépa pour se focaliser entièrement sur leur projet et lancer la start-up... 

... Qui prendra surtout son envol grâce à la rencontre avec son troisième co-fondateur, François Maroquène-Froissart, ancien directeur commercial d'Arianespace. Fort de ses 30 ans d'expérience dans des entreprises du spatial, ce dernier va grandement aider à façonner le " business plan " de la société basée, aujourd'hui, à Colombes (Hauts-de-Seine). " Le spatial étudiant et le spatial professionnel ne sont pas du tout pareils : on n'a pas les mêmes problèmes de sauvegarde, on ne vole pas au-dessus des populations, etc. François a amené tout cet aspect business et opérationnel du lanceur, reconnait Antoine Fourcade. Imaginez une fusée lancée par un ballon de la taille de plusieurs terrains de foot et volant au-dessus de la Chine ... Si on créé un conflit géopolitique à chaque lancement raté, ça risque d'être un peu compliqué ", concède-t-il. Grâce aux connaissances de l'ancien directeur commercial d'Arianespace, l'entrepreneur remet donc en quelque sorte les pieds sur terre et écarte progressivement la partie " rockoon " du projet pour se concentrer sur des minilanceurs plus conventionnels. " On est plus seulement là pour créer un accès à l'espace pour un Etat, souligne le jeune chef d'entreprise. On a besoin d'un lanceur qui se vend et dans ce contexte-là il faut réduire les coûts. François a amené toutes les briques nécessaires à sa commercialisation. "  

Des lanceurs 100% réutilisables conçus à partir de matériaux innovants 

C'est ainsi que Sirius Spaces Services va initier le développement d'une gamme de minilanceurs réutilisables en mettant l'accent sur la fiabilité et la durabilité. " On a commencé par développer un subscale [à échelle réduite, ndlr] du moteur ", explique Antoine Fourcade. Et ce dans un temps éclair. Pour se faire un ordre d'idée, la fabrication du moteur d'Ariane 6, lancée en grande pompe à Kourou (Guyane) le 9 juillet dernier, a commencé... il y a plus d'une décennie. " On n'a pas tout ce temps devant nous, ni les investisseurs pour nous suivre. " Trois mois après son premier tour de table, la jeune pousse accouche ainsi d'un premier subscale de moteur avant d'entamer les tests. " On a essayé de standardiser au maximum les composants (...) c'est la seule chose qui nous permet de réduire les coûts et de développer un lanceur aussi rapidement ", ajoute-t-il. Ce moteur, baptisé STAR-1, dont les premiers essais longue durée ont été réalisé en décembre 2023, est pour le moins innovant : celui-ci est en effet réalisé à 85 % en fabrication additive métallique (impression 3D), permettant de réduire à la fois les coûts et l'empreinte carbone. " Pour un moteur conventionnel, il faut des gros blocs d'aluminium, beaucoup de métal, il y a d'immenses pertes de matière, souligne Antoine Fourcade. Avec la fabrication additive, on fabrique en une seule fois le moteur avec une machine qui consomme autant qu'un gros serveur de calcul en une heure. "  

Une standardisation qui passe également par l'utilisation de composants COTS [commercial off-the-shelf, ndlr] requalifiés pour le spatial, par des carburants moins délétères pour l'environnement (de l'oxygène liquide et du biométhane) et évidemment par la réutilisation. Si elle permet d'importantes économies d'échelle, la réutilisation du premier étage de la fusée est surtout un principe général à adopter, entre autres, pour limiter l'empreinte carbone de l'industrie spatiale. " Aujourd'hui on peut plus créer un lanceur sans la réutilisation. Il faut être dans une logique de pompe à essence, comme avec un avion ", indique le président de la start-up. Ainsi, sur un principe assez similaire au Falcon Heavy d'Elon Musk, les lanceurs Sirius 13 et 15 sont conçus pour réutiliser respectivement trois et cinq fois le premier étage de Sirius1 en tant que booster. " Avec des techniques conventionnelles, on aurait peut-être mis trois ans à fabriquer une première itération de chambre de combustion. Grâce aux ruptures technologiques, on peut le faire en deux mois ", fait remarquer le PDG de la jeune pousse, qui estime qu'il faudra compter environ 10 ans après le vol inaugural de Sirius avant d'arriver à des lanceurs 100 % réutilisables. 

Les lanceurs de Sirius Space ServicesDevenir un acteur incontournable du New Space français 

Durabilité, compétitivité économique et souveraineté : tels sont les principaux enjeux de Sirius Space Services, qui font inévitablement écho à la volonté de la France de se maintenir dans la course à l'espace. La jeune pousse a fait une nouvelle fois partie, en 2024, des quatre startups lauréates - aux côtés de HyPrSpace, Maiaspace et Latitude - de l'appel d'offres micro et mini lanceurs initié dans le cadre de France 2030, dont le volet spatial avait été doté d'1,5 milliard d'euros afin de renforcer le New Space français. " Aujourd'hui c'est primordial, abonde le PDG de la start-up francilienne. Quand vous êtes abonnés à quelques personnes dans le spatial, vous vous apercevez que toutes les publications tournent autour de la souveraineté et de l'accès à l'espace. " Avec ses lanceurs, l'entreprise affirme être capable de mettre en orbite des charges utiles comprises entre 175kg (Sirius1) et 1,1 tonne (Sirius15, dont le vol inaugural est quant à lui prévu en 2028). Si l'Etat est aujourd'hui son principal client - le CNES lui aurait déjà commandé cinq lancements, annonce Antoine Fourcade - celle-ci pourrait à l'avenir intéresser des opérateurs de satellites comme Eutelsat voire un projet de constellation européenne tel qu'IRIS2. " On ambitionne d'être en quelque sorte un Uber de l'espace ", affirme-t-il. 

Un fleuron de l'industrie aérospatiale accéléré par Bpifrance  

Avec plus de 70 collaborateurs, Sirius Space Services entre à présent dans une nouvelle phase critique : celle de son industrialisation. Comment sortir des lanceurs en si peu de temps et internaliser à terme sa production ? La jeune pousse peut compter entre autres sur l'accompagnement prodigué par l'Accélérateur Néo Startups Industrielles de Bpifrance, dont elle a intégré la 2e promotion en 2023. " C'est très intéressant de se retrouver avec d'autres entrepreneurs confrontés aux mêmes besoins, ça nous a fait un peu sortir de notre solitude. Les missions de conseil étaient très pertinentes et ont permis de nous accompagner, de diagnostiquer nos problèmes, notamment de gouvernance, constate Antoine Fourcade. Ça nous a permis de bien positionner nos fiches de poste (...) de constituer une roadmap stratégique ou encore de placer des experts sur toutes nos thématiques. "  Aujourd'hui la start-up recrute jusqu'à cinq personnes par mois et est en chemin vers une ETI de 270 à 300 personnes dans les années à venir, années cruciales pour les startups françaises engagées dans la compétition européenne sur le marché des lanceurs. " À nous d'être les meilleurs commercialement ", réitère Antoine Fourcade alors que la course ne cesse de s'accélérer. Son but est d'atteindre les 150 millions d'euros de financement, d'ouvrir une première usine à Nanterre (Hauts-de-Seine) en vue d'un tout premier lancement suborbital en 2026 pour Sirius1. " Notre seule ambition, conclut-il avec assurance, c'est de mener à bien notre projet et de créer un acteur européen souverain et leader incontesté pour le lancement des micro et des minisatellites. "   

Cet article a été publié initialement sur Big Média Avec Sirius Space Services, la France tient-elle son SpaceX national ?