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Июль
2024

Fils de paysan, paysan et père d'agriculteur, il livre un témoignage "à hauteur d'homme" sur le métier et la vie de village en Haute-Loire

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Alain Beynier est un homme du pays, « profondément attaché à la terre qui l’a vu naître, Saint-Privat-d’Allier », explique René Dupuy. Le président du Centre d’histoire sociale de la Haute-Loire signe la préface du livre Rocher Grand et le Rouchoux m’ont raconté… Saint-Privat-d’Allier où Alain Beynier mêle souvenirs personnels et histoire de la vie rurale en Haute-Loire depuis la dernière guerre jusqu’aux années 60. L’auteur, octogénaire, fils de paysan, paysan lui-même à Mercury, père d’agriculteur (son fils Franck a repris la ferme) et peut-être un jour prochain grand-père d’exploitant, assure vouloir « témoigner pour les générations futures ». Sans doute y parviendra-t-il, tant son ouvrage écrit durant la période du Covid fourmille d’informations et d’anecdotes. Son intérêt dépasse de loin le simple clocher de Saint-Privat-d’Allier et son majestueux « rocher Grand », qui fait face à la maison d’Alain Beynier, à l’entrée du bourg.

Église à 300 places

Celles et ceux qui douteraient de l’importance qu’occupait Saint-Privat-d’Allier (et pas seulement dans le cœur de l’auteur) n’ont qu’à se référer à l’église et ses 300 places assises. En 1947, le curé y célébra 24 baptêmes, 13 mariages et 12 enterrements. À la fin du XIXe siècle, la commune comptait plus de 1.600 habitants. Le recensement de 1946 relevait encore 958 habitants sur Saint-Privat, 114 à Saint-Didier. Avec un millier d’âmes, le curé avait un emploi du temps chargé !L’auteur décrit les moments forts de la vie catholique : la semaine sainte, le chemin de croix, la fête-Dieu, les rogations, le mois de Marie, Noël…Et que dire du riche tissu commercial. Alain Beynier a photographié des dizaines de façades dont certaines gardent les stigmates d’anciens commerces. Livre en main on peut, à la manière d’un jeu de piste, les retrouver : le café hôtel-restaurant boucherie Beraud, le sabotier Chanut, l’épicerie Bonhomme, le café-tabac-régie Coudert, la maison du primeur Priouret et même une chapellerie, celle de Simone Brunel.Alain Beynier nous parle d’un temps, pas si lointain, les années 50, où les maisons ne disposaient pas d’eau ni de chauffage. La question de l’eau mérite bien à elle seule tout un chapitre quand on sait l’importance qu’elle revêt encore de nos jours, où notre peur est si grande d’en manquer. Le retraité se souvient : « Je pense à la joie de ma mère qui avait un évier et un robinet posés en 1950 lors de la construction de la maison d’habitation et qui a attendu neuf ans pour que l’eau en jaillisse ».

De l’eau… Et du vin

À Saint-Privat, les adductions se sont étalées sur une vingtaine d’années. Sous l’impulsion d’Alfred Ramey, expert géomètre et maire durant 35 ans (on relève la longévité des élus, les Privadois n’ayant « usé » que trois maires en un peu plus de 100 ans), une source était captée en 1928 au lieu-dit « Combetzabone », à droite sur la route du Puy. Cette adduction ne fut pourtant pas accueillie avec beaucoup d’enthousiasme. Explication d’Alain Beynier : « Il faut s’acquitter d’un abonnement annuel et les habitants ne veulent pas payer l’eau alors qu’elle coule librement dans quatre fontaines réparties judicieusement dans le bourg depuis 1880 ».Si l’eau est un bien précieux, un autre breuvage est consommé en revanche sans modération. Deux négociants en vin ont pignon sur rue dans la commune. Leurs caves sont côte à côte apprend-on, face à l’hôtel Chambon. Le vin du Gard arrive par camion-citerne. « Il n’est pas question de parcourir la campagne avec des litres. C’est avec des tonneaux de 110 à 120 litres que nos marchands ravitaillent les fermes », indique Alain Beynier. L’eau-de-vie se boit, elle aussi, facilement. La consommation a été évaluée à 7,5 litres par habitant en 1950. « Mais en campagne, il faut certainement multiplier ce chiffre par deux, car il y a beaucoup d’autoconsommation grâce au privilège accordé aux agriculteurs », assure l’auteur.Dans le livre il est question de Saint-Privat-d’Allier, mais nombre d’habitants de communes rurales en Haute-Loire se retrouveront dans le propos. © Alex JehannoAutre sujet, et pas des moindres encore aujourd’hui, la communication. Alors que la fracture numérique fait débat, les anciens ont trouvé le moyen de pallier le manque de téléphones. Ce n’est qu’en 1967 que Rochegude, Combriaux, Dallas et Nolhac en furent pourvus. Alors voilà comment les Privadois traitent les urgences : accident grave, décès… Ils mandatent une « porteuse de dépêches », en l’occurrence, la Marie de Pailhan. Un ingénieux système de sonnette relie le domicile de celle-ci au bureau de poste. La Marie récupère alors le télégramme et le porte directement à son destinataire. Dans les villages proches, elle s’acquitte aisément de sa tâche, mais monter à Varennes ou Bergougeac est une autre paire de manches. Une demi-journée s’avère nécessaire.La vie à Saint-Privat-d’Allier et dans les villages est rythmée par les travaux des champs. Alain Beynier livre par exemple le récit détaillé d’une journée de battage à Nolhac que seul vient interrompre le coup de sifflet s’échappant de la chaudière. Mais rien de grave. C’est juste « l’heure du canon » (du casse-croûte). Les travailleurs remettent ça vers 18 heures. Le soir venu, dans la cuisine, commence la « troisième mi-temps ».Les quintaux de blé ou d’orge péniblement stockés au grenier sont descendus en mars-avril une fois vendus à un négociant. Une autre étape attend la lentille. La légumineuse occupe une place de choix dans la famille Beynier qui encore aujourd’hui lui est restée fidèle. L’auteur raconte : « Il faut prélever un échantillon (1 kg environ) et le descendre au Puy, place aux Laines, samedi matin, pour le présenter aux nombreux négociants qui commercialisent la lentille verte du Puy. L’échantillon (« la mostre ») est analysé par plusieurs marchands qui font une proposition de prix et c’est au plus offrant que sera vendue la récolte ».

Un tracteur à Noël

Sur toutes ces années, Alain Beynier conclut : « Sans la guerre d’Algérie, notre génération aurait pu être la plus heureuse ». Lui qui s’est contenté de peu, qui a connu une forme de progrès. Il raconte, ému, l’arrivée du premier tracteur chez ses parents peu avant Noël 1955 et comment, à 17 ans, il s’est retrouvé au volant de l’engin lui qui n’avait alors touché que des manches d’outils.Le livre d’Alain Beynier n’a rien de nostalgique. Il faut le prendre comme un véritable plaidoyer pour le monde agricole d’aujourd’hui qu’il estime en péril. « Paysan, mon frère, toi le mal-aimé », lance l’auteur comme un cri d’amour envers « ceux qui sont devenus les pestiférés aux yeux de la nation, des pollueurs, des chasseurs de primes, des casseurs, des quémandeurs d’aides ».Avec son bon sens paysan, Alain Beynier rappelle : « De tous les travailleurs indépendants, le paysan est le seul à ne pas fixer ses prix de vente. L’éleveur laitier qui se rend au marché de Costaros pour vendre son veau et qui estime sa valeur à X francs doit revoir celle-ci à la baisse car c’est l’acheteur qui fixe le prix. Certes, il peut refuser à un voire deux négociants, mais à la fin du marché, il lui reste deux solutions : soit il ramène son veau à la ferme, soit il le brade au premier venu en perdant beaucoup d’argent car le négociant profite de la situation ».

Philippe Suc