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Июль
2024

Eric Ciotti, la nouvelle vie du paria de la droite : stratégie face au RN, guerre avec Wauquiez…

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Même pendant la guerre froide, Américains et Soviétiques échangeaient grâce au téléphone rouge. Alors, Les Républicains (LR) peuvent se permettre un peu de diplomatie. En ce début juillet, Jean Leonetti reçoit Eric Ciotti à la mairie d’Antibes. Le président de LR a sollicité un échange avec l’édile, éternel casque bleu de la droite. Quand ça va mal, Leonetti est là ! Laurent Wauquiez quitte la tête du parti avec le fiasco des européennes en 2019 ? Il en devient président par intérim. Les barons s’écharpent sur une hypothétique primaire en vue de la présidentielle de 2022 ? Il est chargé de les mettre d’accord.

Autant tenter l’impossible avec Eric Ciotti, en guerre avec les siens depuis son alliance avec le Rassemblement national aux législatives. Jean Leonetti s’est opposé au choix du Niçois, mais entretient des relations saines avec lui. Il faut bien cela pour sortir la droite d’une crise historique. Inextricable, aussi. Chaque camp est campé sur ses positions. Eric Ciotti est marginalisé dans son parti. Il n’a embarqué presque aucun cadre dans son aventure, la quasi-totalité des dirigeants réclament son départ. L’homme est à la tête d’un vaisseau fantôme. Au siège, d’anciens collaborateurs du député des Alpes-Maritimes sont en arrêt maladie. Un salarié a exercé son droit de retrait pour ne pas obéir aux ordres de son employeur. Mais l’homme a le droit pour lui. Les tentatives judiciaires de l’exfiltrer de la présidence de LR ont échoué, dans l’attente d’un nouveau jugement à l’automne.

Cette guerre judiciaire, Jean Leonetti veut y mettre un terme. Il sonde Eric Ciotti sur une sortie de crise. Un départ de la présidence de LR, la fin des procédures judiciaires et l’arrêt des provocations verbales de toutes sortes. "C’est toi qui as quitté le parti. Pas nous", lui lance-t-il en substance. Il est urgent que la pression retombe. Jean Leonetti a l’impression qu’une porte s’entrouvre. Elle se referme vite. Soupçons de fuite dans la presse et attaques publiques éteignent cette ébauche de dialogue. Retour à la case départ. "Papa et maman divorcent, mais vivent encore dans la même maison. On ne sait pas ce qui va se passer", résume un proche d’Eric Ciotti.

Wauquiez, "petit pion de la majorité macroniste"

Voilà la droite engluée dans un vaudeville, mélange de guerre d’ego et de divergences stratégiques. Le 21 juillet, Laurent Wauquiez présente son pacte législatif, paquet de mesures que le nouveau patron du groupe Droite républicaine (DR) s’engage à soutenir si le futur gouvernement les soumettait au vote. Au même moment, Eric Ciotti annonce l’organisation d’un vote des militants sur les grandes orientations stratégiques du parti, entre "intégration des Républicains dans le camp macroniste" et "alliance des droites dans l’indépendance". Qu’importe si cette formulation fait peu de cas de la ligne autonomiste défendue par les LR canal historique. Tant pis si sa validité juridique prête à discussion. Une guerre d’usure vaut bien quelques raccourcis.

Eric Ciotti a en tout cas trouvé son angle d’attaque. L’homme s’arroge le monopole d’une droite menacée de dilution dans un pouvoir honni. Il lâche ses coups contre son ancien "ami" Laurent Wauquiez, dépeint en "petit pion de la majorité macroniste" après un accord noué avec le bloc central pour la répartition des postes clés à l’Assemblée nationale. Le 20 juillet, les présidents de groupe négocient la répartition des sièges dans l’hémicycle. Laurent Wauquiez discute avec le responsable Horizons & Indépendants Laurent Marcangeli pour trouver un terrain d’entente. Eric Ciotti, président du groupe "A Droite !", fait face à son nouvel ennemi. "L’histoire est en marche !", s’amuse-t-il devant ses homologues.

En privé comme en public, la guerre est totale. Aux attaques d’Eric Ciotti répondent celles des cadres LR, satisfaits de l’échec du plan du Niçois aux législatives. Il s’imaginait ministre d’Etat de Jordan Bardella ? Le voilà à la tête d’un groupe de seize députés, allié minoritaire d’un parti d’opposition. "Nouveau Dupont-Aignan", "paria", "il a tout perdu"… Les élus se répandent en sarcasmes contre leur ancien chef. L’ironie se mêle à la menace. Le trésorier du parti, Daniel Fasquelle, songe à une action en justice pour lui réclamer des dommages et intérêts au titre du préjudice financier subi par LR lors de cette crise. "On a perdu des voix au premier tour des législatives, on a perdu des députés. Tout cela joue sur la dotation de l’Etat", juge-t-on en interne.

Seul consensus frappé du sceau de l’évidence : un armistice est indispensable. Nul n’a intérêt à s’enliser dans ce triste feuilleton. Un cadre LR résume l’équation soumise à Laurent Wauquiez, nouveau patron officieux de la droite : "Il est entouré de gens qui lui disent de le crever. Mais Wauquiez veut être président de la République et aura besoin de récupérer les électeurs qui se sont tournés vers le RN et pour qui l’union des droites est salutaire."

"L’impression de croiser des gauchistes"

Eric Ciotti, lui, avance dans ce brouillard. Un pied dans ce parti qui ne veut plus de lui. L’autre, dans sa vie d’après. Le 8 juillet, il fait l’état des lieux. A la questure, il rassemble ses troupes, à peine plus d’une quinzaine d’élus. Maigre butin. Suffisant pour constituer un groupe, mais susceptible de vaciller à la moindre tempête. Lui se rassure : au moins, il ne reste que les fidèles. Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, désormais, c’est un regard plein de mépris que jettent sur lui ses camarades qui ont refusé l’alliance avec Marine Le Pen. Certains députés LR se contentent d’un serrage de main d’usage, d’autres lui disent ses quatre vérités. "On ne fait pas cela à des amis politiques", lui glisse en substance le député de l’Isère Yannick Neuder, proche de Laurent Wauquiez.

"L’ambiance est hypertendue, raconte une députée ciottiste. On dirait qu’on ne fait plus partie du même courant politique, on a l’impression de croiser des gauchistes tellement ils sont désagréables." Voici donc ces anciens représentants de la droite confrontés à la réalité du cordon sanitaire. 18 juillet, dans l’hémicycle. Les députés sont réunis pour élire le nouveau président de l’Assemblée. A la tribune, Hanane Mansouri, députée LR-RN, chargée de surveiller le vote, tend la main aux élus venus déposer le bulletin dans l’urne… et essuie plusieurs refus des représentants de la gauche, goûtant pour la première fois ce traitement réservé à l’extrême droite.

Plusieurs réactions dans les rangs ciottistes. Les uns dénoncent "l’hypocrisie crasse" de leurs anciens camarades qui "jouent aux antifascistes en public alors qu’ils partagent 99 % des idées du RN en privé". Les autres se projettent et réfléchissent aux options qui s’offrent à eux pour cette mandature. "Avec l’attitude des LR, le cordon sanitaire est aujourd’hui démultiplié, commente un député. On a donc une marge de manœuvre relativement réduite. On s’attend à faire de l’opposition toute simple, mais surtout, la plupart d’entre nous vont se concentrer sur le terrain, et investir au maximum leur circonscription."

Délaisser un peu les bancs de l’hémicycle et leur préférer le terrain, donc. Car beaucoup, parmi les nouveaux élus LR-RN, en sont conscients : leur groupe "A droite !", composé de seulement 16 élus, ne constitue pas la force pivot qu’Eric Ciotti ambitionnait de créer, et se retrouve à la merci du groupe de Marine Le Pen.

Rêve d’indépendance

Pour l’heure, à en croire les deux formations, les relations sont au beau fixe entre les deux chefs de groupe qui s’entendraient "à merveille". Côté organisation, les choses restent bien délimitées. Chacun dispose de son groupe, de ses réunions, de son secrétaire général. Et aucune tentative d’ingérence n’aurait été détectée de la part du RN, y compris dans le choix des collaborateurs. "Ce n’est certainement pas Renaud Labaye (NDLR : le secrétaire général du groupe RN et bras droit de Marine Le Pen) qui nous appelle pour nous dire quoi faire", veut se persuader un élu.

Pour asseoir son indépendance, Eric Ciotti a d’ailleurs fixé une ligne rouge lors de la première réunion de son groupe : ils ne voteront pas comme les frontistes sur la question des retraites. Alliés de Marine Le Pen, oui, mais les anciens LR ne sont pas encore prêts à se dissoudre complètement dans le groupe lepéniste, et croient encore en la possibilité de tenir une ligne propre. "Moi, j’ai prêché pour une ligne très distincte et souveraine, avance un membre du groupe. Notre ADN, c’est une ligne libérale, conservatrice et identitaire, voilà ce qui fait notre différence."

2027, juge de paix d’une stratégie

Pour bien marquer cette décision, les ciottistes ont d’ailleurs refusé d’élargir leurs rangs aux trois proches de Marion Maréchal, élus sous l’étiquette RN. Thibaut Monnier, Anne Sicard et Eddy Casterman, "trop marqués politiquement", se sont vu refuser l’asile politique au sein du groupe "A droite !", malgré les tentatives de négociations de Marion Maréchal, et se retrouvent en marge des deux groupes, apparentés Rassemblement national. "Ok, trois élus de plus, ça aurait permis de verrouiller le groupe, mais on perdait en crédibilité en recrutant ces profils trop marqués. Anne Sicard vient de l’Institut Iliade (NDLR : un cercle de réflexion d’extrême droite, émanation du courant de La Nouvelle Droite), Ciotti n’avait pas envie de donner un nouveau prétexte pour s’en prendre plein la gueule."

Mieux vaut être seuls que mal accompagnés. Exit donc les marionnistes et place, pour ces LR-RN, aux nouveaux rêves d’indépendance sur une ligne "de droite qui s’assume". Le dernier week-end d’août, Eric Ciotti rassemblera ses troupes dans ses contrées niçoises pour la rentrée politique. Cette rencontre se fera en famille, les députés RN ne sont pas conviés à la fête. Reste dans les rangs une question, encore lointaine, qui divise déjà pourtant : la présidentielle de 2027. "Pour moi, il est évident qu’on devra se ranger derrière Marine Le Pen", assure un élu. Un autre s’étouffe : "Certainement pas, c’est un accord qui ne vaut que pour l’Assemblée, il n’est pas question que cette décision nous prive de candidat." Il reste deux ans et demi pour régler la question, et, en cas de désaccord, les déçus pourront toujours faire sécession.

Dans moins de trois ans, Eric Ciotti observera aussi la pertinence de son choix stratégique du 11 juin, annoncé sur le plateau de TF1. L’histoire fera de lui un pionnier ou un aventurier solitaire, condamné à la déshérence. L’homme assure à ses interlocuteurs qu’il a trois ans d’avance. A ses yeux, LR n’a plus d’espace politique propre et risque de mourir à petit feu. "Je pense être en avance d’une étape", a-t-il confié à un élu LR. La prochaine présidentielle fera office de juge de paix.