Kamala Harris - Donald Trump : comment la panique a changé de camp
Au sortir des studios de CNN à Atlanta, au soir du 27 juin dernier, la campagne démocrate est au bord de l’implosion. Après le débat catastrophique de Joe Biden, les appels au retrait du candidat octogénaire se multiplient, à mesure que grandissent les craintes de voir Donald Trump poursuivre sa route inexorable vers la Maison-Blanche. A peine un mois plus tard, le chamboulement de la campagne américaine est à la hauteur des inquiétudes suscitées alors. Un peu plus d’une semaine après le retrait de Joe Biden, l’élan autour de la candidature au pied levée de Kamala Harris a redonné une bouffée d’air frais presque inespérée à la campagne démocrate.
Bien aidée par le soutien de tous les poids lourds du parti, dont celui de l’ex-président Barack Obama, la campagne de la vice-présidente s’est d’ores et déjà mise en ordre de marche. "Il est impressionnant de voir à quelle vitesse la question d’une primaire ouverte pour remplacer Biden a été balayée, pointe Françoise Coste, auteure de Reagan (Perrin, 2018) et historienne spécialiste des Etats-Unis. En deux ou trois jours, le débat ne portait déjà plus sur le fait de savoir si elle serait candidate, mais sur qui serait son vice-président."
De quoi revivifier une campagne démocrate plongée dans les limbes depuis des mois. Seulement une semaine après avoir repris le flambeau, les équipes de Harris ont annoncé avoir récolté 200 millions de dollars de dons (en plus de la cagnotte déjà constituée par Biden). Dans le même temps, le nombre de bénévoles prêts à s’engager a explosé avec 170 000 inscriptions supplémentaires. "Tout s’est transformé la semaine dernière pour les démocrates, résume Jacob Heilbrunn, rédacteur en chef de la revue américaine The National Interest. Les républicains commencent à montrer des signes de désunion et ne savent pas comment procéder."
Inversion de la dynamique électorale
Galvanisé par la réussite de Trump lors du premier débat, puis par la réaction du milliardaire après la tentative d’assassinat raté contre lui le 13 juillet, le camp républicain assiste aujourd’hui médusé à un basculement spectaculaire de la campagne. "Le jeu politique était extrêmement favorable à Donald Trump ces dernières semaines, retrace Romain Huret, historien des Etats-Unis et président de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Mais la candidature de Kamala Harris a permis d’opérer une inversion très forte de la dynamique électorale." Et pour les démocrates, de reprendre enfin la main.
Selon un sondage ABC News/Ipsos publié le 28 juillet, la cote de popularité de la vice-présidente a grimpé à 42 %, contre 35 % une semaine plus tôt. Un bond encore plus marqué dans la catégorie des électeurs indépendants, chez qui elle atteint désormais 44 %, contre seulement 28 % sept jours auparavant. Selon un autre sondage publié par Fox News deux jours plus tôt, Harris et Trump sont même désormais au coude-à-coude dans quatre Etats-clés. Les deux candidats sont donnés à égalité dans le Michigan et la Pennsylvanie, tandis que la démocrate s’impose de 6 points dans le Minnesota (52 % contre 46 %) et que le républicain domine le Wisconsin d’un seul petit point (50 % contre 49 %).
Face à cette montée en puissance de la candidature démocrate, plusieurs responsables républicains ont d’ores et déjà tenté de mettre en garde contre des attaques ouvertement racistes ou sexistes visant la vice-présidente d’origine indo-jamaïcaine. "Cette élection portera sur les politiques et non sur les personnalités, a déclaré le président républicain de la Chambre des représentants, Mike Johnson, dès le 23 juillet. Il n’y a rien de personnel en ce qui concerne Kamala Harris et son appartenance ethnique ou son sexe n’ont rien à voir avec tout cela."
Donald Trump "panique"
Signe de la nervosité ambiante, Donald Trump s’en est pris à la chaîne conservatrice Fox News le 29 juillet, lui reprochant de couvrir les meetings de son adversaire. "Pourquoi Fox News diffuse-t-elle des rassemblements de Kamala Harris la folle ? Pourquoi permet-elle aux pervers du Lincoln Project (NDLR : un comité d’action politique fondé par des républicains anti-Trump), qui a échoué et s’est déshonoré, de faire de la publicité sur Fox News ?", s’est insurgé le candidat républicain, avant d’ajouter : "Nous allons devoir GAGNER SANS FOX !" Le même jour, Donald Trump a mis en doute sa participation au deuxième débat prévu le 10 septembre.
De fait, la candidature de l’actuelle vice-présidente bouleverse tous les plans de bataille échafaudés par les équipes républicaines ces derniers mois. "Aujourd’hui les attaques contre l’âge de Biden se retournent inexorablement contre Trump", souligne Romain Huret. Confronté à une candidate de près de 20 ans sa cadette, le milliardaire se retrouve désormais à son tour dans le rôle peu flatteur du candidat le plus âgé à se lancer à la conquête de la Maison-Blanche. "Mon oncle panique", a estimé, dès le 24 juillet, Mary Trump, la nièce du milliardaire, très critique envers lui, sur son blog Substack The Good in Us. "Il se présente contre une femme noire forte - et une ancienne procureure - qui n’a pas peur de l’interpeller ou de se moquer de lui. Toute sa stratégie de campagne était fondée sur l’attaque de Joe Biden - son âge, son infirmité, son déclin cognitif."
A moins de 100 jours du vote, reste à savoir si la "lune de miel" autour de la campagne de Harris pourra tenir jusqu’à l’élection. "Les démocrates devraient dominer le débat politique au moins jusqu’à leur convention fin août, glisse Françoise Coste. Mais cela pourrait se corser à la rentrée lorsqu’il faudra mettre les mains dans le cambouis à l’approche de l’élection." La campagne américaine réserve encore sans doute son lot de rebondissements.