Lucie Castets à Matignon ? Ce que révèle vraiment sa gestion des finances de Paris
Abroger la réforme des retraites, engager une "grande réforme fiscale", améliorer le pouvoir d’achat, restaurer les services publics… Dans la liste des priorités de Lucie Castets, une grande absente : la réduction de la dette française. La candidate du Nouveau Front populaire au poste de Première ministre, dont le nom est sorti du chapeau de la coalition de gauche mardi soir, occupe pourtant, depuis octobre 2023, le poste de directrice des finances et des achats de la Ville de Paris. Elle était précédemment conseillère au cabinet d’Anne Hidalgo, en charge du budget et des finances. "Son profil est excellent, elle est passée par le Trésor, une administration d’élite", veut croire Michel Bouvier, directeur de la Revue française de finances publiques, qui se désespère qu’un responsable politique s’attaque enfin aux plus de 3 000 milliards d’euros de dette accumulée par la France.
Les comptes de la Ville de Paris n’incitent toutefois pas à l’optimisme. Dans l’opposition, on s’inquiète depuis des années de la gestion financière de la capitale. "Lucie Castets à Matignon ? Ce serait une très mauvaise nouvelle pour les Français, synonyme de hausse massive des impôts et de dérive de la dette, assène David Alphand, membre LR de la commission en charge des finances. En tant que conseillère de la maire de Paris, elle n’a pas été que l’exécutante des décisions politiques prises par les élus. Elle est l’une des architectes de l’effondrement des finances de la ville depuis 2020". Plus que doublée en dix ans, la dette de la capitale dépassait 8 milliards d’euros fin 2023. Les détracteurs de la majorité y ajoutent les loyers capitalisés, portant le fardeau à près de 10 milliards d’euros. De quoi s’agit-il ? Depuis 2016, Paris transfère à des bailleurs sociaux des logements de son parc, loués au prix du marché. En échange, les opérateurs de HLM sont tenus de verser en une fois des loyers actualisés sur les cinquante ou soixante prochaines années, s’endettant pour s’acquitter de la facture. Depuis le passage de Gabriel Attal à Bercy, chargé alors des comptes publics, la Ville de Paris n’est plus autorisée à utiliser cette manœuvre comptable pour couvrir des dépenses de fonctionnement. Mais le principe a toujours cours, en vue de financer des investissements.
Chute des recettes liées aux transactions immobilières
Interrogée mercredi matin sur France Inter, Lucie Castets s’est défendue : "La dette de la Ville de Paris n’a aucune commune mesure avec la dette de l’Etat français, il est donc un peu ironique d’entendre des leçons de la part des personnes responsables de la dette de l’Etat français". Michel Bouvier ne voit pas la situation de cet œil, appelant toutes les parties à une gestion plus rigoureuse des deniers publics. "Si les collectivités territoriales ne sont pas bien gérées, cela a un impact sur les dépenses de l’Etat, et inversement", souligne l’universitaire. Malgré tout, les notations des agences sont clémentes avec la ville lumière : AA- chez Fitch et S & P, AA2 chez Moody’s. Mais la note financière n’est pas une note de bonne gestion. Elle mesure la capacité d’une organisation à rembourser ses dettes.
Les membres de Changer Paris, qui réunit Les Républicains, les centristes et les indépendants du Conseil de Paris, sont vent debout. Côté recettes, ils dénoncent la dépendance de la ville aux droits de mutation – ces taxes prélevées sur chaque transaction immobilière – qui ont gonflé les caisses de la capitale durant les années fastes du marché de la pierre. En 2022, elles ont culminé à 1,7 milliard d’euros, soit près du cinquième des recettes de fonctionnement totales. L’an dernier, avec la hausse des taux d’intérêt, le vent a tourné. Cette source de revenus s’est tarie de 24 %, soit 418 millions d’euros en moins au compteur. Une chute dont l’ampleur avait été sous-estimée dans le budget de la ville, critique Changer Paris. Cette année, dans un marché encore atone, les droits de mutation poursuivre leur repli.
Malgré tout, les recettes totales ont bien progressé en 2023, de près de 5 %. "Cette hausse est le résultat de l’explosion de la taxe foncière, décidée par Anne Hidalgo", s’emporte le collectif d’élus de l’opposition. + 62 % en moyenne. "Ainsi, l’exécutif a pu récolter 1,745 milliard d’euros de taxes foncières en 2023, contre 1,096 milliard d’euros en 2022". Une inflation impressionnante, à nuancer néanmoins. Comme le rappelait l’agence de notation Fitch fin 2023, le taux de la taxe foncière parisienne, à 20,5 %, demeure inférieur à la moyenne nationale (35,6 %). Les analystes y voient même un facteur rassurant.
Une dette plus lourde que les autres grandes métropoles
Car Paris est une ville riche. Il y a encore de la marge pour ponctionner les ménages, d’autant que la base fiscale – valeur des biens sur laquelle se fonde la taxe - y est plus élevée qu’ailleurs. "Elle bénéficie de points forts structurels, notamment en cas de ralentissement économique, grâce à des recettes diversifiées, une moindre exposition aux dépenses de RSA que d’autres départements, un très bon accès au financement", ajoute Pierre Charpentier, senior director au sein de l’équipe Finances publiques de Fitch. L’analyste, qui a d’ailleurs pour interlocutrice Lucie Castets depuis qu’elle occupe le poste de directrice financière, reconnaît toutefois que "le ratio d’endettement de Paris n’est pas très bon par rapport à d’autres villes". Pour en juger, il s’appuie sur un indicateur : la capacité de désendettement. Elle se mesure en rapportant la dette à l’épargne brute, soit l’écart entre recettes et dépenses de fonctionnement. En clair : en combien d’années d’épargne la municipalité est-elle capable de rembourser sa dette ? "En 2023, il fallait compter dix ans, c’est deux fois plus que la moyenne des collectivités locales françaises, régions, départements et villes confondues", relève-t-il. Cette année, entre l’alourdissement de la dette et la dégradation de l’épargne brute, cette durée pourrait grimper au-dessus de 15 ans, selon le budget 2024. La comparaison avec les autres métropoles européennes n’est guère plus flatteuse. "La dette de Paris par habitant est proche de 4 000 euros. A part le cas particulier de Berlin, qui est un Etat fédéré, elle est donc plus élevée qu’à Milan (moins de 3 000 euros), Londres (1 800 euros) et Madrid (500 euros)", chiffre Pierre Charpentier.
De possibles surcoûts liés aux JO
Du côté des dépenses de fonctionnement, Pierre Charpentier note qu’elles "n’ont pas explosé". Depuis 2013, elles ont progressé de 20 %, soit légèrement moins que les recettes de fonctionnement. Cependant, "le terme 'économies' est tabou à la Ville de Paris, alors que la trajectoire de la dette et ses conséquences sur les charges d’intérêt est alarmante, reproche Maud Gatel, ex-députée de Paris, membre du MoDem. Il n’y a pas de pilotage, pas d’évaluation ! Chaque dépense devrait être vue à l’aune de l’intérêt des Parisiens, et certaines ne passeraient pas ce filtre. Je pense notamment au rôle diplomatique que veut jouer la maire de Paris et qui occasionne d’énormes frais."
En cette année olympique, les Jeux viendront-ils encore charger la barque ? "La Ville dit s’attendre à 100 millions d’euros de dépenses exceptionnelles, ce n’est pas énorme au regard du budget de Paris, proche de 9 milliards", note Pierre Charpentier. Reste à savoir si l’espoir d’une hausse des recettes liées à la taxe de séjour acquittée par les visiteurs se concrétisera. Dans le budget 2024, la mairie rêve de capter 185 millions d’euros, contre 100 millions l’an dernier. Ce n’est pas gagné. David Alphand redoute les conséquences de l’effet d’éviction, qui a conduit les touristes habituels à différer leur séjour. Surtout, il estime "légitimes" les demandes d’indemnisation des professionnels de la restauration, pénalisés par les dispositifs de sécurité. Et s’interroge : "On s’oriente vers des surcoûts. La question est : jusqu’à combien ?"