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Июль
2024

"Quand il veut, qui il veut" : Emmanuel Macron, son jeu dangereux avec la Constitution

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Les années passent, et il y a des réflexes qui demeurent chez Emmanuel Macron. En ce début d'année 2020, la Cour des Comptes a perdu la tête. Son président Didier Migaud a pris le large, direction la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique. Personne n'est surpris, ce changement était prévu depuis un an. Le poste reste pourtant vacant pendant des mois. La juridiction est même contrainte de reporter de quelques jours la publication de son traditionnel rapport annuel. Cette vacance va bien à Emmanuel Macron, qui prend tout son temps pour trouver un successeur au socialiste. Il réclame "une femme, issue de l’immigration, très bonne analyste", rapporte la journaliste Corinne Lhaïk dans Président cambrioleur (Fayard, 2020). Le président veut alors "casser le système", selon ses propres mots. Au diable les horloges, il est "à la recherche du geste parfait", narre la journaliste.

Rien n'a changé. Le chef de l’Etat se joue de tout, de tous et du temps. Affres du présidentialisme jupitérien. Ses deux derniers "coups" ont ajouté au brouillard, sinon au capharnaüm politique. En juin, il ouvrait, avec la dissolution, une crise institutionnelle dans une Constitution qui n’en connut guère, et qui fut modelée de telle manière à les éviter. Voilà la Ve entravée, qui ressemble un peu plus la IVe, et où les partis politiques ont repris vigueur, où aucun des trois blocs de l’Assemblée nationale ne peut gouverner librement. En juillet, le même Emmanuel s'amuse de cette paralysie politique, et réclame une "trêve olympique".

"Quand il veut, qui il veut"

Le sport transcendant la Constitution. Son gouvernement démissionnaire, chargé des affaires courantes, passe les plats. Et puisqu’il est démissionnaire, le Parlement n’a plus le pouvoir de le censurer. Il faut ajouter à cela son refus de nommer un Premier ministre de cohabitation. Un gouvernement inutile, un Premier ministre inexistant, et un Parlement bien incapable, d’aucuns diraient bloqué. "L’article 8 alinéa premier de la Constitution se borne à prévoir que le président de la République nomme le Premier ministre, sans plus de précision, c’est-à-dire, prosaïquement : quand il veut, qui il veut", explique Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’université de Poitiers, dans une tribune au Monde. Emmanuel Macron, seul en scène, jouant de l’absolutisme que la fonction lui octroie.

"La majorité sortante a perdu cette élection", admet-il ce mardi 23 juillet sur France 2. Mais sitôt l'aveu prononcé, il dessine les contours de ce gouvernement idéal. Il prône une grande coalition des "forces républicaines" ayant fait barrage à l’extrême droite dans les urnes. "Il faut que toutes les forces, encore une fois, qui ont travaillé ensemble dans l’entre-deux-tours fassent collectivement de même", a-t-il intimé dans son interview. Comme si le front républicain était un programme de gouvernement. Le programme, il l'a déja en tête. Il plaide pour "plus de fermeté, plus de sécurité et plus de justice, plus de simplicité et mieux vivre de son travail".

Sphynx

Croit-il encore qu’il peut l’emporter, contre vents et marées ? Contre l’habitus de la Constitution, qu’importe qu’il ait perdu deux élections, coup sur coup ? Les européennes le 9 juin puis les législatives anticipées le 7 juillet. Il cherche à rebondir, comme François Mitterrand en son temps. Le 2 mars 1986, à l’aube des législatives qu’il sait perdues, François Mitterrand s’invite sur le plateau de la vedette de TF1, Yves Morousie. À la droite de Jacques Chirac, pas encore victorieuse mais déjà gourmande, l’alors président recadre : "Personne ne désignera le Premier ministre à ma place, croyez-moi ! […] On ne pose pas de conditions au président de la République."

Mais n’est pas sphynx qui veut… Emmanuel Macron a beau marteler que "personne n’a gagné", il n’est guère maître de la situation politique. La coalition de gauche qui est arrivée en tête dans l’hémicycle, et a d’autant plus récupéré nombre de postes-clefs à l’Assemblée, a toute légitimité de réclamer le poste de Premier ministre, quand bien même souhaite-t-elle un gouvernement "à la petite semaine". Cela importe peu à Emmanuel Macron. Sur France 2, il a balaye les demandes du Nouveau Front populaire. Il opte pour une lecture personnelle du verdict des urnes. La gauche est certes en tête en sièges, mais trop loin de la majorité absolue pour réclamer Matignon. C'est donc niet.

Merci mais non merci

Qui écoute encore ce président si démonétisé ? La gauche continue de réclamer un dû quand la droite, elle, ne veut pas entendre parler d’une alliance. Elle reste à distance d’un pouvoir finissant en vue d’incarner l’alternance en 2027. Tout juste Laurent Wauquiez propose-t-il un "pacte législatif", au contenu réel plus modeste que son intitulé ambitieux : une série de mesures que la droite s’engage à voter si le nouveau gouvernement venait à les présenter à l’Assemblée. Soit, en réalité, le travail de tout groupe parlementaire d’opposition. "Laurent réaffirme une ligne classique avec des mots nouveaux", sourit un fidèle.

La gauche n’est pas plus allante. Le camp présidentiel a fait le pari d’une désintégration du Nouveau Front populaire, alliance électorale viciée par des désaccords stratégiques comme idéologiques. Son hypothétique implosion ne jetterait pas mécaniquement les "socialistes modérés" - comme le veut la formule consacrée - dans les bras du bloc central. Des tentatives de prises de contacts ont bien eu lieu, comme le racontait il y a peu L’Express, mais le président fait face à un mur qui tient encore. "Les députés socialistes n’attendent pas des coups de téléphone de ceux qui ont perdu les élections. Ils veulent le respect des électeurs, c’est-à-dire la nomination de Lucie Castets à Matignon", réplique Boris Vallaud, le chef de file des députés socialistes. L’union de la gauche tient, d’autant plus désormais qu’elle a sa candidate au poste de Premier ministre : Castets, une énarque, venue des rangs socialistes et que La France insoumise soutient. En octobre dernier, la haute fonctionnaire s’affichait au meeting de lancement de Place Publique, le mouvement de Raphaël Glucksmann.

Pression invisible

Reste qu’Emmanuel Macron n’a pas renoncé à son arme constitutionnelle suprême : la dissolution de l’Assemblée nationale, qu’il pourrait prononcer dans un an en cas de blocage. Plusieurs macronistes jugent que cette menace d’un retour aux urnes empêche toute coalition. Elle emprisonne les députés dans leurs sociologies électorales respectives, et freine leurs initiatives. "Renoncer à toute dissolution remettrait de la tension et favoriserait une coalition, note un ministre. Les députés n’y ont aujourd’hui pas intérêt. Si on repart dans une campagne dans un an et que j’ai fait valoir l’idée d’une alliance avec la gauche, les électeurs vont me couper la tête."

A défaut, la situation se fige. Les petits pas vers l’autre sont pétris d’ambiguïté et de prudence. On mime l’esprit responsabilité pour s’éviter le mauvais rôle. On ne va guère plus loin pour ne pas se "compromettre". Le temps file, chaque heure qui passe renforce la pression sur le chef de l’État. Une pression invisible, masquée par le gigantisme des Jeux olympiques. Le maintien de l’actuel exécutif ne saurait se prolonger. Il est déjà trop tard pour l’heure du choix.