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Июль
2024

L’affaire de Julian Assange : Jour noir pour la liberté de la presse ?

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En 2006, Julian Assange fonde WikiLeaks, une ONG qui publie des documents classifiés, les leaks (fuites), provenant de sources anonymes, souvent liés aux activités gouvernementales et militaires. Assange s’est notamment fait un nom en 2010 lorsqu’il a publié une série de documents classifiés de l’armée américaine. Accusé de conspiration pour avoir commis un piratage informatique et le fait d’être potentiellement un « espion », les États-Unis ont rapidement demandé son extradition, suivis par la Suède pour une accusation tout autre, à savoir des agressions sexuelles qui auraient été commises en… 2010 (Ndla : des poursuites qui seront abandonnées par le parquet suédois le 19 novembre 2019).

Pour éviter l’extradition, Julian Assange avait alors trouvé refuge à l’ambassade d’Équateur à Londres.  Il y restera 2487 jours avant d’être arrêté le jeudi 11 avril 2019 par Scotland Yard, puis incarcéré en attente de la décision de son extradition vers les États-Unis. (Selon Wikileaks[1], l’arrestation d’Assange a eu lieu à l’invitation de l’ambassadeur équatorien, dans les murs de l’ambassade. La Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques précise qu’une intervention des forces de l’ordre du pays hôte est possible « avec le consentement du chef de la mission » en l’occurrence l’ambassadeur équatorien à Londres.)

Dans cet article, nous examinerons en premier lieu les nuances de cette affaire très délicate, tant d’un point de vue des droits fondamentaux, et ce, à travers une analyse d’un parcours juridique hors norme (plus de quatorze ans) et des possibles impacts de sa libération « sous condition ».

Quand j’écris « sous condition », je me réfère à la procédure spécifique des États-Unis du « plaider coupable ». C’est ce dernier qui a conduit à la libération d’Assange tout en provoquant une réaction internationale mitigée.

D’un côté, lors de la plaidoirie, ses avocats ont naturellement évoqué la liberté de la presse en soulignant les conséquences qu’impliquerait sa condamnation sur le journalisme d’investigation (omettant toutefois que le « plaider coupable » est en soi une problématique, nous y reviendrons), tandis que l’accusation était sur une tout autre ligne du fait des implications légales et politiques de cette affaire extrêmement complexe, défendant que des fuites de cette sorte pouvaient mettre des vies en danger et compromettre la sécurité nationale.

Enfin, nous nous demanderons si le verdict prononcé, dans les conditions que nous avons évoquées, augure d’une nouvelle ère pour la liberté de la presse.

 

Le plaider-coupable d’Assange : une décision controversée

Le plaider-coupable est au cœur du système judiciaire américain et a suscité de vifs débats.

Pour certains, ce plaidoyer ne faisait, in fine, qu’attester de sa culpabilité. Pour d’autres, cette approche démontrait qu’il avait « cédé » à la pression pour éviter la suite d’un procès long et coûteux (plus de 14 ans) en soulignant que ce choix ne signifiait pas pour autant qu’il acceptait l’ensemble des accusations.

 

Les conséquences du verdict

Quoi qu’il en soit du choix du prévenu et de ses défendeurs pour recouvrer sa liberté, sa décision aura probablement de profondes conséquences politiques et juridiques.

D’une part, cette libération pourrait avoir un impact sur les relations diplomatiques entre les États-Unis et d’autres pays. Il est évident que « le cautionnement », en quelque sorte, des fuites de WikiLeaks ne sont pas pour plaire à de nombreux États. Ce verdict pourrait encourager d’autres personnes à prendre des risques similaires en espérant bénéficier du même soutien international. À l’évidence si ces fuites peuvent, comme cela a été le cas dans cette affaire, dénoncer des dérives graves d’un gouvernement[2], elles sont aussi susceptibles de faire émerger des documents confidentiels qui pourraient se révéler être des menaces pour la sécurité nationale.

Compte tenu de ces éléments, certains États pourraient interpréter l’issue de cette affaire comme un défi à leur souveraineté et réagir de façon hostile : tensions diplomatiques, rétention d’informations, renforcement de leurs propres lois etc.

Si Assange est libre, la procédure du plaider-coupable est cependant à double tranchant. Vu sous un autre angle, l’option choisie pourrait inquiéter des journalistes travaillant sur des dossiers délicats et confrontés alors à une problématique kafkaïenne : poursuivre leurs investigations tout en sachant qu’ils devront s’attendre à d’éventuelles conséquences légales, et à devoir envisager un plaider-coupable pour recouvrer leur liberté.

 

Nouvelle ère pour la liberté de la presse, ou jour noir pour la presse ?

À ce stade, la libération d’Assange est en quelque sorte une victoire à la Pyrrhus.

Pour la femme d’Assange « l’aveu de culpabilité » ayant conduit à la libération de son mari, aura été « un jour noir pour la presse ». De son point de vue, pour que l’affaire serve réellement la liberté de la presse, une réforme de la loi américaine contre l’espionnage – qu’elle appelle de ses vœux –  est impérieuse.

À l’heure où j’écris, Julien Assange se repose loin du barnum. Il faudra donc attendre sa prochaine réapparition publique pour avoir l’éclairage précieux du principal intéressé, qui ne manquera probablement pas d’évoquer les conditions requises pour que cette victoire toute relative se transforme en victoire absolue, une victoire qui ouvrirait une nouvelle ère pour la liberté de la presse. Un nouveau combat attend peut-être le célèbre lanceur d’alerte : revisiter la loi sur l’espionnage pour protéger au mieux les professionnels de l’information.

Affaire Assange :  To be continued.

« La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas. » – Anonyme
Julian Assange libre : les grandes dates de l’affaire WikiLeaks

[1] La police avait-elle le droit de l’arrêter dans l’ambassade ? par La rédaction de TF1info Publié le 11 avril 2019 .

[2] Ndla. C’est précisément la dénonciation de pratiques abusives qui vaudra de nombreux tourments, et c’est un euphémisme, à l’une des sources de Wikileaks,  Chelsea Manning, (activiste américaine, lanceuse d’alerte, politicienne et ancien soldat américain)