La Mauritanie, îlot de stabilité dans une Afrique de l’Ouest turbulente
Alors que son voisinage du Sahel a été secoué ces dernières années par une série de coups d’État militaire et que son voisin sénégalais a opté pour un net changement d’orientation, la Mauritanie, elle, a renouvelé le mandat de son président en place depuis 2019. L’un des principaux succès fut d’écarter la menace djihadiste qui n’a cessé de gonfler dans cette région sensible à la jointure entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne.
En reconduisant Mohamed El Ghazouani, qui a emporté l’élection présidentielle du 29 juin avec 56, 12 %, la République islamique de Mauritanie, pointe la plus avancée de la Ligue arabe en terre africaine, a opté pour la permanence, la sécurité et le développement. Pour Nouakchott, qui fait figure de rare pôle de stabilité dans une Afrique de l’Ouest marquée par les attentats djihadistes, les coups d’État prétoriens, et un mécontentement d’une jeunesse largement désœuvrée et malléable à toute tentation de révolte ou de violence l’ère Ghazouani témoigne de la continuité d’une politique sécuritaire qui a fait ses preuves.
Le choix de la continuité
La reconduction de l’ancien général Mohamed El Ghazouani fait d’autant plus exception qu’il avait pris part jadis à deux des six coups d’État qui ont secoué la Mauritanie depuis son indépendance en 1960. Mais son élection en 2019 à la magistrature suprême avait déjà représenté la première transition pacifique du pouvoir dans ce vaste pays désertique de quelque 4,9 millions d’habitants s’étendant sur un million de km², jouxtant le Maroc auquel son destin fut un moment lié.
Le nouveau chef de l’État est parvenu à force de patience, de discussions et d’habiles compromis à contrôler le système politique maure (la communauté dominante). Il le doit d’abord au fait qu’il est issu de l’influente tribu maraboutique des Ideiboussa, la plus prospère et la plus puissante de ce pays multiethnique où les combinaisons politiques résultent de subtiles alliances entre tribus. Mohamed El Ghazouani a tendu sans réticence la main à l’opposition, a étendu les avantages sociaux et s’est émancipé de son prédécesseur dans l’ombre duquel il avait longtemps évolué Mohamed Ould Abdel Aziz, condamné en décembre 2023 à cinq années d’emprisonnement pour « enrichissement illicite » et « blanchiment ». Mais son ascension est due surtout à sa parfaite carrière militaire dont il a gravi tous les échelons.
Sorti de l’Académie royale militaire de Meknès, au Maroc, après avoir été responsable du renseignement, il a revêtu l’uniforme de chef d’état-major, avant celui de ministre de la Défense. L’armée n’a donc cessé d’être au centre de ses préoccupations : les soldes ont été revalorisées, des formations à l’étranger ont été proposées aux officiers. Tout ceci lui a permis de mobiliser des troupes fidèles, compétentes et bien équipées qui ont porté des coups entre 2005 et 2011 aux divers groupes liés à Al-Qaida, venus souvent de l’Algérie voisine à travers Tindouf, base forte du Polisario.
Mohamed Ould Ghazouani a pris les rênes de l’Union africaine
Membre du G5 Sahel, la Mauritanie a tenu à sauvegarder sa neutralité lors des différents changements antidémocratiques qui ont secoué la région. Elle a refusé de trancher entre soutien aux putschistes et alignement sur l’attitude de la Cedeao. Après le coup d’État au Niger, elle a d’abord dénoncé le coup de force du général Abdourahamane Tiani, ancien chef de la garde présidentielle alors qu’elle n’a jamais officiellement pris position sur le sort du Malien Ibrahim Boubacar Keïta, renversé en 2020, du Guinéen Alpha Condé, en 2021 ou du Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, en 2022.
Homme de consensus, Mohamed Ould Ghazouani, apprécié de ses pairs et des partenaires internationaux, a été porté en février à la tête de l’Union africaine. C’est en effet le candidat idéal pour relancer les discussions avec les régimes putschistes au Mali, pays avec lequel il partage 2 236 km de frontières, au Burkina Faso et au Niger.
Le scrutin du 29 juin
Mohamed El Ghazouani, 68 ans a emporté le scrutin présidentiel qui mit aux prises sept concurrents. Plus sérieux challenger, le député « antisystème » Biram Ould Abeid, dirigeant d’une ONG antiesclavagiste, plusieurs fois emprisonné, 59 ans, est arrivé deuxième avec 22,10 % des voix. Selon les résultats de la Commission électorale nationale indépendante, la CENI, le candidat islamiste de Tawassoul, premier parti d’opposition à l’Assemblée nationale, Hamadi Ould Sidi El Mokhtar, se classe troisième avec 12,76 % des suffrages.
Cette stabilité rassure naturellement les investisseurs internationaux. D’autant que les prévisions économiques sont flatteuses : 4,9% de croissance pour la période 2024-2026 grâce au lancement de la production de gaz au second semestre 2024. Le lancement du gisement Grand Tortue Ahmeyim, situé sur la frontière maritime avec le Sénégal procurera au pays des ressources non négligeables. Un second filon, Bir Allah, situé à 60 km plus au nord, présenterait les quatrièmes plus importantes réserves du continent. Leur exploitation pourrait, selon le Fonds monétaire international (FMI), faire tripler le PIB mauritanien dès 2025, de quoi faire saliver une fois de plus les investisseurs. Hydrogène, terres rares et minéraux : les occasions sont nombreuses dans d’autres secteurs et la France ne doit pas rater ce train. Les intérêts hexagonaux sont déjà présents, et cette dynamique peut et doit se renforcer : Méridiam investit dans les infrastructures de transports-logistique, CMA-CGM réalise du transport de conteneurs au port de Nouakchott, Total est présent en Mauritanie à travers sa filiale Total Marketing & Services… une liste vouée à s’allonger.
Enfin, Mohamed Ould Ghazouani entend faire de l’aide aux plus démunis et à la jeunesse l’une de ses priorités, dans un pays où les moins de 35 ans représentent plus de 70 % de la population et sont de plus en plus nombreux à vouloir partir vers l’Europe ou les États-Unis