Tour de France sous la canicule: la cuite monumentale de Zaaf
Un Tour sans sa journée de canicule ne serait pas vraiment un Tour ! Cette 111ème édition a connu la sienne mardi – probablement pas l’unique d’ici Nice, son terme, si l’on en croit la météo – lors de la 16ème étape Gruissan-Nîmes. Mais à la différence d’autrefois, la chaleur n’a eu aucune conséquence sur le déroulement de la course.
Boire un petit coup, c’est agréable
Les Tours d’antan ne disposaient pas de l’impressionnante logistique des actuels pour ravitailler les coureurs en boisson fraîche. Un coureur consomme en moyenne dans une étape comme celle de mardi entre 15 et 20 bidons d’eau (avec parfois quelques additifs), soit entre 10 et 13 litres. Les directeurs sportifs embarquent dans leurs deux voitures suiveuses pas loin de 150 bidons stockés dans des glacières. Ils en font aussi distribuer d’autres par des assistants disposés le long du parcours dans les endroits prévus par l’organisation.
Alors, autrefois, jusqu’aux années 60, les équipiers, dits porteurs d’eau, ne disposant pas de cette assistance pour étancher la soif de leur leader, se livraient à « la chasse à la canette ». Cela consistait à débouler en groupe dans les bistrots situés sur l’itinéraire et à se livrer à une razzia de tout ce qui était buvable, alcoolisé ou pas. Certains ladres tenanciers envoyaient la facture à l’organisation, en vain. Quant aux spectateurs compatissants, ils tendaient des bouteilles qui contenaient assez fréquemment du vin, surtout dans les régions vinicoles du sud.
C’est ainsi que ces « chasses à la canette » ont été sources de rocambolesques, épiques, cocasses, péripéties qui ont longtemps alimenté « la légende des cycles ». En voici une, la plus mémorable de toutes :
C’était la 13ème étape du Tour 1950, disputée un 28 juillet, un jour de cagnard. Le thermomètre indiquait quelque chose comme 40°C bien qu’à l’époque le dérèglement climatique ne s’était pas encore manifesté. Le départ avait été donné à Perpignan et l’arrivée était jugée à Nîmes, comme celle de ce mardi.
Le Tour se disputait par équipes nationales et régionales. L’Algérie était alors française. Elle disposait en conséquence d’une équipe baptisée Afrique du Nord composée à la fois de Pieds-noirs et de musulmans à parité dont un certain Abdel-Kader Zaaf, à deux reprises champion de France amateur entre autres mérites.
Le pays de la soif
Ce jour-là, il s’échappe avec son coéquipier Pied-noir, Marcel Molinès. Bien que rompus à courir sous un soleil de plomb, les deux fuyards ont la pépie, et l’étanchent avec les boutanches que le public leur tend. Et que contiennent-elles ? Du pinard, du jaja surtout blanc. On était dans une région où on faisait pisser la vigne et elle pissait ce qu’on appelle aujourd’hui des vins de soif, de la piquette quoi.
Malédiction que ces boutanches tendues généreusement ! Ne buvant pas d’alcool ainsi que le prescrit sa religion, Zaaf à qui la victoire d’étape semblait promise glougloute aux goulots un max et se ramasse une cuite monumentale. Dans un virage, il fonce tout droit et percute un de ces platanes qui ornaient les routes de l’époque. Il est groggy ; un groupe de vignerons du coin se précipite à son secours, l’asperge du contenu d’un sceau dont on dira plus tard avoir été du vin (ce détail invérifiable servira d’alibi). Zaaf revient à lui mais ne recouvre pas tout à fait ses esprits. Il enfourche sa bécane et repart… mais en sens inverse. Le public lui hurle qu’il est à contresens. Il prend ces vociférations pour des encouragements et fonce tête baissée dans l’espoir de rejoindre son acolyte d’échappée. C’était une époque où une échappée prenait facilement son quart d’heure d’avance.
Mais, à la sortie d’un virage, au lieu de revoir le dossard de ce dernier, il se retrouve face à la meute du peloton qui fonce sur lui. Coup de frein, chute collective, c’est la pagaille qui vaudra à Marcel Molinès la victoire et à Zaaf de terminer dernier, juste devant la voiture balai mais dans les délais.
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Par la suite, pour lui sauvegarder sa réputation de bon musulman, un journaliste, Jacques Augendre (déjà le politiquement correct !) prétendra qu’il n’était pas bourré. S’il puait la vinasse, c’est parce que le contenu du sceau qui lui fit reprendre conscience contenait du pinard, pas d’H2O.
D’accord, mais alors s’il n’était rond pas comme un petit-pois pourquoi est-il reparti en sens inverse ? Pourquoi a-t-il pris pour encouragements les vociférations d’un public qui n’en croyait pas ses yeux : on n’avait jamais vu dans une course un échappé rebrousser chemin pour réintégrer le peloton. Ce fut la première fois et la dernière de l’histoire du Tour.
En tout cas, ce déboire sera son aubaine. Il lui vaudra une gloire que ne lui aurait pas rapportée la victoire d’étape. Tous les organisateurs de critériums d’après-Tour où les coureurs se faisaient un joli bouquet d’oseille voudront l’avoir à l’affiche. Tout le monde veut voir le phénomène… Boire un coup de trop deviendra en Algérie « se faire Zaaf » ou encore « se Zaafer la tronche ».
L’année suivante, le seul Tour qu’il terminera sur les quatre auxquels il participa, il aura l’astuce de le terminer 66ème, dernier du général. Etre la « lanterne rouge » valait son pesant de contrats post Grande boucle. Le dernier était aussi convoité que le premier, certes moins bien payé, mais bien payé cependant. Et souvent, grâce à la complicité tacite du peloton, le dernier du Tour finissait premier du critérium.
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