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Июль
2024

Rare et menacé, le crapaud sonneur à ventre jaune trouve en Creuse l'un de ses derniers refuges

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Il faut avoir l’œil aguerri et la botte étanche pour trouver ce petit batracien qui a fait de la Creuse, l’un de ses derniers bastions. C’est souvent son chant, discret hou, hou, hou, qui trahit sa présence. Le sonneur à ventre jaune affectionne les petits trous d’eau, sans trop de profondeur, qui baignent au soleil dans les prairies humides ou les lisières de forêt.

« Un litre d’eau suffit pour héberger soixante têtards », dévoile Rob Veen, ancien professeur de biologie et herpétologue passionné qui s’est imposé comme le Monsieur Sonneur de la région.Autour de cette mare encaissée sur une parcelle agricole, de petits trous d'eau se sont formés après le passage des vaches, de petits aquariums idéaux pour le sonneur à ventre jaune @Julie Ho Hoa

« C’est une espèce très menacée, aux limites de l’extinction », rappelle-t-il. Et strictement protégée en France et en Europe. Le Groupe mammalogique et herpétologique du Limousin confirme son déclin au niveau national. 

« Comme beaucoup d’espèces, il pâtit de la disparition de ses habitats et ses populations sont aussi très impactées par le changement climatique »

Dans ces trous d'eau, le sonneur n'a pas à craindre de concurrence de tritons, salamandres ou larves de libellules et peut garder sa progéniture en sécurité @Julie Ho Hoa Ses habitudes de vie, et surtout de reproduction, sont devenues son talon d’Achille. « Il va se reproduire dans de petites mares temporaires où aucune autre espèce n’a eu le temps de s’établir (triton, salamandre, larve de libellule), parce qu’il a besoin qu’il n’y ait pas de prédateurs pour sa ponte et ses têtards », détaille la chargée de mission herpétologie. « Quand ces trous d’eau s’assèchent comme ces dernières années avec des canicules, parfois dès le mois d’avril, il n’y a aucune chance de réussite pour la reproduction. »

Les beautés naturelles aussi rares que méconnues des vallées creusoises de la Tardes et du Cher

Le sonneur à ventre jaune se caractérise par son ventre jaune tâché de noir mais aussi sa pupille en forme de coeur @Julie Ho HoaD’autant que le petit batracien n’est pas grand voyageur et ne se disperse pas assez pour rejoindre d’autres groupes de population ou des conditions plus propices.

« Si une population est mal en point à un endroit, elle va juste s’éteindre sur place en quelques années »

Petit mais costaudAussi petit soit-il, le crapaud sonneur à ventre jaune fait souvent parler de lui, notamment dans des projets d'aménagement ou des projets industriels qui empiètent sur son habitat. « Il a d'ailleurs empêché la construction du barrage à Chambonchard », sourit Jean-Marc Vasseur, agriculteur à Baillier-le-Franc. Plus récemment, cette espèce protégée et menacée a refait parler d'elle dans le projet d'implantation de l'usine de granulés Biosyl, à Guéret, qui est prévu sur des parcelles de zones humides où elle se reproduit, ou encore sur les parcelles agricoles convoitées par le projet d'extension du Smipac de La Croisière.

@Julie Ho HoaLe petit crapaud est donc très surveillé. C’est lui que sont venus trouver, expressément des Pays Bas, quatre étudiants en biologie sous la houlette de Rob Veen. « Pendant deux mois, ils ont pour mission de détecter et de répertorier le plus grand nombre de sonneurs en Creuse et leurs zones de reproduction, en parcourant les secteurs déjà identifiés et d’autres qu’ils découvriraient. »

Adulte, le sonneur secrète une toxine par les pores de son dos qui repousse ses éventuels prédateurs. Ses couleurs ventrales sont un premier avertissement pour déjouer @Julie Ho Hoa Il y a deux semaines, en sillonnant les prairies de Baillier-le-Franc, les stagiaires du Centre nature Tigouleix ont fait une heureuse trouvaille : une quinzaine d’individus. « Ils ont trouvé des pontes, des têtards, des juvéniles et des adultes », se réjouit Rob Veen.  En quantité assez remarquable puisque « dans d’autres zones, on a trouvé qu’un ou deux individus, pas forcément de reproduction, là, on est sur une mine d’or ». @Julie Ho Hoa

Les prairies pentues qui surplombent le Cher convergent vers une mare alimentée par une source et le ruissellement naturel des eaux de surface. Les vaches s’y abreuvent et leurs passages ont créé tout autour des trous de la taille d’un sabot qui se sont remplis d’eau. De petites piscines idéales pour le sonneur.

Rob Veen et Jean-Marc Vasseur @Julie Ho HoaLe propriétaire des parcelles, Jean-Marc Vasseur, éleveur de charolaises, est aussi surpris que ravi d’héberger l’emblématique petit crapaud.

« Je ne le savais pas, je l’ai découvert quand ils sont venus me voir pour me le dire. J’ai été agréablement surpris même, parce que pour plein de choses, on montre les agriculteurs du doigt et là, on voit que l’agriculture peut être utile finalement, parce qu’on ne participe pas seulement à entretenir le paysage, mais aussi la micro et la macrofaune. Ça m’incite d’autant plus à maintenir ce point d’eau. »

 @Julie Ho Hoa La présence du sonneur « dit beaucoup d’autres choses sur l’environnement où il se trouve. C’est une espèce qui garantit une certaine qualité environnementale », souligne Rob Veen. Il faut dire que tout sur ces parcelles encourage la présence de biodiversité : aucun produit phytosanitaire, des arbres pour multiplier l’ombrage, des haies qu’il laisse pousser librement comme brise-vent et ce point d’eau entouré de végétation. @Julie Ho Hoa

Qui sert d’abri idéal au sonneur hors de la période de reproduction mais aussi à d’autres batraciens, dont la grenouille rieuse ou, Rob Veen, en est certain, la rainette verte. La seule manœuvre mécanique que l’éleveur se permet, c’est le nettoyage superficiel de la mare lorsqu’elle est trop envasée « pour maintenir une surface d’eau ».

Qui aurait pu penser que ce minuscule crapaud pouvait s’acoquiner avec des vaches ? « Un animal de quelques grammes et un autre qui s’approche des 700 kg », le duo fait sourire l’éleveur. Et pourtant, la symbiose entre les deux espèces s’impose à Baillier-le-Franc. Ce lien intime entre bovins et sonneurs dans les territoires comme la Creuse fait d’ailleurs l’objet d’études. @Julie Ho Hoa« On a remarqué que quand il n’y a pas de vaches, les populations de sonneurs souffrent. C’est très complexe, on ne sait pas exactement ce qui favorise ou ne favorise pas le sonneur et ses liens avec l’agriculture », explique Rob Veen qui creuse la question depuis cinq ans avec le GMHL, étudiant les données et comparant les résultats.Le piétinement des vaches crée de petits trous d'eau sans trop de profondeur, habitat idéal du sonneur @Julie Ho Hoa« C’est une cohabitation très intéressante, mais il faut que ce soit bien géré, souligne Clémence Brosse, qu’il y ait un pâturage qui ne soit pas non plus trop intensif et que pendant la période de reproduction, les vaches ne piétinent pas les sites de ponte pour ne pas détruire les œufs et les têtards. »

En Creuse, environ 150 stations révélant la présence de sonneurs à ventre jaune ont ainsi été recensées jusqu’à aujourd’hui. « Ça peut aussi bien être une station avec 60 individus qu’un tout petit trou d’eau où on n’en a retrouvé qu’un. C’est assez disparate », précise Clémence Brosse. La petite mare de Baillier-le-Franc en est une de plus. Cet inventaire, transmis au GMHL et à l’Office national des forêts, animateur du site Natura 2000 des gorges de la Tardes et de la vallée du Cher (*), contribue à en apprendre plus sur l’espèce, à mieux protéger ses habitats et par là, ses populations. @Julie Ho Hoa 

« On étudie les lieux qui semblent lui convenir le mieux, dans quelle sorte de paysage, de mode d’agriculture ses populations prospèrent et à l’inverse, ce qui peut expliquer son absence » pour établir une stratégie de protection, détaille Rob Veen.

Depuis plusieurs années, le GMHL lui consacre des actions : la création de nouvelles mares, la multiplication d’habitats pionniers, des campagnes de sensibilisation aussi auprès du public. @Julie Ho Hoa

« Il faut essayer de conserver ses habitats, le fonctionnement des zones humides où il se trouve, ne pas les détruire évidemment », rappelle Clémence Brosse. Pour atténuer autant que possible les effets du changement climatique parce qu’encore une fois, « s’il n’y a pas d’eau pour sa reproduction, ça ne sert à rien », souligne la chargée de mission herpétologie qui se réjouit de cette année pluvieuse où le sonneur a pu se reproduire sans craindre l’assec. @Julie Ho Hoa 

On tente ainsi des expériences pour maintenir les populations, même si cela demandera au petit crapaud un peu de souplesse sur ses exigences avec la création de mares plus à l’ombre, un peu plus profondes pour conserver une lame d’eau, où il devra aussi faire face à d’autres espèces.

« On est quand même confronté au fait qu’avec son comportement biologique, ça va devenir de plus en plus compliqué pour lui. On l’observe d’année en année et ce n’est pas une bonne nouvelle… »

(*) Périmètre dans lequel se trouve cette mare.

Texte & photos : Julie Ho Hoajulie.hohoa@centrefrance.com